Police : la peur doit changer de camp
Article paru dans Le Monde sous le titre : “Peur partout, sécurité nulle part!”
Depuis 2002, et plus encore depuis les émeutes de 2005, Nicolas Sarkozy et ses conseillers ont fait du thème de l’insécurité l’axe majeur de leur politique. Il fallait que “la peur change de camp”, ce qui a justifié depuis une politique d’emploi des forces de police et de gendarmerie dans une optique répressive.
Alors que chacun se prépare à la prochaine campagne présidentielle, il est temps de dresser le bilan de cette politique phare du président sortant. A dix-huit mois de la fin du mandat présidentiel, la peur a-t-elle changé de camp ? Sans doute. Mais plus précisément : qui a peur, aujourd’hui ?
Les policiers et les gendarmes ont-ils peur ? Oui, lorsqu’ils interviennent dans certains territoires devenus des ghettos, et craignent parpaings ou télévisions qui chutent des toits ou des étages sur leur passage. Oui, face à des délinquants dont la violence croît à la mesure de l’armement et des protections des policiers.
Oui, lorsqu’avec leur équipement antiémeute, ceux-ci utilisent contre des adolescents des armes aussi dangereuses que des Flash-Ball. Oui, enfin, comme en témoigne leur comportement de plus en plus brutal dans leurs interactions quotidiennes avec les citoyens.
Les délinquants ont-ils peur ? Non, malheureusement. Les trafiquants des cités ghettos ont bien compris que seule compte désormais la visibilité de l’action policière, et en aucun cas son efficacité. Des auteurs d’actes crapuleux sont parfois prêts à laisser leur victime inconsciente pour un sac à main, violence extrême produite par un environnement social et urbain très dégradé. Sans compter les escrocs en tout genre, les cambrioleurs, les trafiquants d’êtres humains, les proxénètes, les époux violents, les entreprises qui enfreignent les normes sanitaires, les corrupteurs… tous ceux qui savent que leurs crimes ou délits ne sont pas mis en exergue par le pouvoir et ne méritent pas que la police y consacre d’importants moyens.
Les citoyens ont-ils peur ? Oui. Peur de la police ou peur de son inefficacité, si ce n’est les deux. Des citoyens de plus en plus nombreux ont peur de la police, après avoir cru par exemple qu’un citoyen a encore le droit de protester s’il est indigné par le comportement d’un policier à son égard ou à l’égard d’un tiers ; combien ont relaté l’expérience de la garde à vue qui leur a servi de punition ? Combien de parents inquiets que leurs enfants, lycéens et manifestants, puissent être victimes de violences policières ?
D’autres, également de plus en plus nombreux, ont peur après avoir constaté que les policiers ne les protègent pas dans leur quartier, qu’ils sont impuissants à prévenir les actes violents ou délictueux comme à les sanctionner, qu’ils aggravent les tensions dans leur ville plus qu’ils ne les réduisent, qu’ils refusent d’enregistrer les plaintes, ou bien les reçoivent en faisant comprendre à quel point ça ne les intéresse pas et qu’ils n’ont pas la moindre intention d’enquêter.
Sans aucun doute, la politique d’emploi des forces de sécurité en France depuis près de dix ans est un échec total, ce que chacun, journaliste ou policier, commence à dire. Pourtant, ce qu’à coup sûr va nous proposer le président sortant pour 2012, ce sera plus de police, plus de répression, plus d’armes… L’escalade jusqu’où ?
Il est temps de tout changer en ce qui concerne les missions et les modalités d’intervention des forces de police et de gendarmerie. C’est à la gauche qu’incombe la responsabilité de produire à ce sujet un discours clair, réaliste et innovant. Prendre en considération les phénomènes de violence et de délinquance et leurs victimes, c’est bien ; cela ne justifie pas de sombrer moralement, en approuvant le sécuritarisme. La politique de Nicolas Sarkozy en la matière est non seulement brutale et dangereuse, elle est aussi inefficace.
Il faut donc rappeler que ceux qui composent les forces de police et de gendarmerie sont des citoyens, égaux à tous les autres. Si les premiers sont dotés de pouvoir de contrainte, et d’armes, c’est dans un unique but : protéger les seconds. Les forces de police et de gendarmerie doivent s’en souvenir ; c’est la responsabilité du pouvoir. La peur doit à nouveau changer de camp, car il est insupportable dans une société démocratique que la population ait peur des délinquants et de la police.
La meilleure politique de sécurité ne remplacera jamais une politique sociale ambitieuse, seule à même de favoriser l’inclusion de chaque citoyen et de redonner l’espoir aux enfants des classes populaires et des ghettos. On ne réduit la délinquance qu’en asséchant son terreau.
Une nouvelle politique de sécurité exige de nouvelles politiques judiciaires et pénitentiaires. Néanmoins, une mauvaise politique de sécurité contribue à détruire l’indispensable lien de confiance entre les citoyens et à l’égard de l’Etat, et ainsi à aggraver la délinquance comme la peur de l’autre. L’enjeu est d’importance, même si la politique de sécurité ne cause ni ne règle tous les problèmes.
Pour rétablir la confiance avec les citoyens, il est temps de distinguer les corps d’exécution et d’inspection dans la police. Pour que l’action policière redevienne efficace, il est urgent de nous doter d’une politique d’emploi des forces de police et de gendarmerie différente. Il faut privilégier la police judiciaire, une police d’enquête et d’investigation. Une police diffuse et immergée dans la population, qui n’a besoin ni de casques ni de Flash-Ball. Une police en laquelle tous les citoyens aient confiance, et donc apte à mener une prévention efficace.
Par Jérémy Robine, docteur en géopolitique
http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/11/03/peur-partout-securite-nulle-part_1434901_3232.html