Questions suscitées par le double attentat suicide d’Ankara Nora Seni
Plusieurs milliers de manifestants ont défilé à Istanbul, Izmir, Antalya, Eskisehir sous des banderoles Etat assassin à la suite du double attentat -105 morts et plus d’une centaine de blessés- à Ankara le matin du 10 octobre lors du meeting « paix et fraternité » organisé par plusieurs syndicats, celui des médecins, des ouvriers, et par le HDP parti d’origine kurde. Cet attentat ressemble fort à la répétition de celui qui avait tué 31 jeunes gens à Suruç à la frontière avec la Syrie le 20 juillet dernier. Ils étaient en route vers Kobané où ils apportaient du matériel scolaire et ludique pour les enfants. Dans les deux cas la cible est une action pour la paix conduite principalement par des organisations proche du HDP, le mode opératoire repose sur un kamikaze qui se mêle à la foule. L’attentat du Suruç n’a pas été revendiqué, celui de Ankara non plus…du moins pas encore. Il ne le sera sans doute pas et l’Etat n’élucidera sans doute pas les responsabilités dans les attentats de Suruç et d’Ankara. Si les regards se tournent vers l’EI ils se dirigent tout autant vers l’Etat turc, l’un n’excluant pas l’autre. La rhétorique guerrière du Président de la république joue sans doute un rôle non négligeable dans les orientations que prennent parmi ses partisans les va-t’en guerre… En décrivant la réunion de M. Erdogan avec les Turcs de la diaspora venus le 4 octobre dernier à Strasbourg de France, d’Allemagne et des pays limitrophes l’envoyé spécial du Monde ne manque pas de rapporter que son allocution fut précédée par un imam venu de Turquie, et qu’elle a martelé « la volonté d’Ankara de poursuivre le combat « jusqu’au bout » et son refus d’« abandonner le pays aux vauriens », condamnant dans un même élan le mouvement armé kurde, ses partisans installés en Europe et, à mots couverts, le Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde) ». Dans ce climat ainsi créé l’EI sert alors peut-être de réservoir à kamikazes, le mouvement kurde étant leur cible commune.
En tout cas mis à part l’ordinaire des propos du Premier ministre et des partisans d’Erdogan, propos accusant les Kurdes d’avoir posé eux-mêmes la bombe pour se parer des oripeaux de la victime, personne ne pense au PKK comme auteur de l’attentat. Ceci pour une bonne raison, ce mouvement n’a visé jusqu’ici que les membres de la bureaucratie civile ou militaire, des policiers ou des soldats.
Les résultats des élections législatives du 7 juin 2015 n’avaient eu l’heur de plaire au Président de la République. Il avait avoué désirer quelque 400 sièges à l’Assemblée Nationale, ce qui lui aurait permis de modifier la Constitution et d’instaurer un régime présidentiel. Il a donc fait en sorte de re-convier ses concitoyens à des élections anticipées prévues pour le 1e novembre 2015, 5 mois après les dernières…Néanmoins les enquêtes prévisionnelles ne donnent pas de meilleurs résultats pour le AKP (parti de Erdogan) aux élections prochaines. Le double attentat suicide du 10 octobre ne pourrait-il servir dès lors de prétexte pour ajourner les élections ?