Analyse géopolitique du tramway de Jérusalem
Working Atlas, par David AMSELLEM
Introduction
Doctorants à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8), nous avons décidé de mettre en ligne une partie de nos travaux de recherche sous la forme d’un Working Atlas. Ce dernier, consacré au Proche-Orient, s’intéresse en particulier à Israël et aux territoires occupés*. Les deux sujets traités, s’ils sont différents, ont un axe commun : la politique israélienne d’implantation dans les territoires conquis après 1967.
Le premier traitera de la construction du tramway à Jérusalem. Souvent décrit comme un outil renforçant l’annexion de Jérusalem-Est, n’est-il pas aussi une infrastructure de transport public moderne dans une ville engorgée par un réseau de bus obsolète? De même, son tracé est presque toujours mis en cause pour des raisons politiques, mais ces dernières sont-elles les seules déterminantes?
Le deuxième sujet portera sur la présence de colons de gauche dans les territoires occupés par Israël depuis 1967. Aujourd’hui, presque un demi-million d’Israéliens vivent dans 164 colonies en Cisjordanie et sur le plateau du Golan, territoires conquis et colonisés par Israël à la suite de la guerre des Six Jours en 1967. Environ 5% de ces colons votent à gauche. Ce constat peut paraître fort surprenant : pourquoi des Israéliens de gauche s’installent-ils dans les territoires occupés, pour y participer à un projet de colonisation ?
Pour répondre à cette question, commençons par examiner où vivent les colons de gauche. Ils ne s’installent pas n’importe où dans les territoires occupés ; le choix de leur lieu de vie n’est pas le fruit du hasard. Il est déterminé par les représentations géopolitiques que partis et colons de gauche ont des colonies. Pour eux, les territoires occupés ne forment pas un ensemble homogène. Chaque espacecorrespond à des enjeux géopolitiques et à une stratégie territoriale précise. Ces zones ont été colonisées par différents gouvernements, à des moments distincts, pour des raisons variées et ont attiré divers types de colons. En conséquence, ces espaces font appel à des représentations géopolitiques contrastées. D’autre part, pour comprendre la présence de colons de gauche, il faut également s’interroger sur leurs motivations, sur les raisons qui leur ont fait choisir telle ou telle colonie et qui les ont poussés à franchir la ligne verte. Certains ont été encouragés par des incitations économiques et l’espoir d’une meilleure qualité de vie à bas prix. D’autres, mus par l’idéologie pionnière sioniste, avaient pour désir de développer des implantations agricoles dans des zones encore non-judaïsées. Les motivations varient selon les colonies et si les colons choisissent une implantation ou une zone en particulier, c’est pour des raisons bien précises. Aussi derrière le choix de leur lieu de vie on peut décrypter leurs représentations du territoire et les motivations qui les animent.
AMSELLEM David : amsellem.da@gmail.com (la construction du tramway à Jérusalem, article disponible en téléchargement en bas de cette page)
LAMY Claire : clairelamy77@yahoo.fr ( les colons de gauche dans les territoires occupés par Israël depuis 1967, article que vous pouvez également trouver dans la section Working Atlas de ce site)
Glossaire
Toutes les études portant sur le Proche-Orient se prêtent nécessairement à un exercice périlleux tant ce thème passionne. Il est en effet délicat pour le chercheur d’écrire sur ce sujet sans se faire taxer de partialité, et
d’être accusé – souvent à tort – de conforter un « camp ». Toutefois il est vrai qu’en sciences sociales, plus qu’ailleurs, l’impartialité est une notion subjective puisque chacun de nous est empreint de représentations
diverses liées à sa culture ou à son histoire. Quoi qu’il en soit, ce travail a tenté d’être scientifique et donc impartial, autant que faire se peut.
Plus qu’ailleurs, le choix sémantique devient inévitablement stratégique lorsqu’il s’agit du Proche-Orient.
Nos sujets nous obligeant à évoquer plusieurs mots ou expressions ambigües, il nous a semblé pertinent de les préciser et de justifier nos choix.
- Territoires occupés : Cette terminologie désigne les territoires conquis puis occupés par Israël à l’issue de la guerre des Six-Jours en 1967. Les territoires concernés sont :
- Le Plateau du Golan
- La Cisjordanie
- La Bande de Gaza
- Le Sinaï
- Ligne verte : Cette ligne correspond à la ligne d’armistice entre 1949 et 1967. Elle marque la séparation entre Israël et les territoires occupés depuis 1967. C’est cette limite que la majorité des Palestiniens revendiquent comme frontières de leur futur Etat.
- Mur / barrière de séparation : Le “mur” construit par Israël se matérialisant par un mur de béton sur une partie de son tracé, mais également par des tranchées et des portiques électroniques selon les cas, nous avons accolé les termes « mur » et « barrière » pour le désigner dans son ensemble. En revanche, lorsqu’il s’agit d’un tronçon précis, nous avons choisi l’un ou l’autre selon la réalité du terrain.
- Colonies de peuplement / implantations israéliennes : Cette terminologie désigne les communautés de peuplement établies par l’Etat d’Israël dans les territoires occupés par Israël depuis 1967. Ces territoires n’étaient pas sous contrôle israélien à l’issue des accords d’armistice israélo-arabes de 1949. Les colonies / implantations israéliennes sont considérées comme illégales par la Communauté internationale de par le droit international, sur base de l’article 49 de la 4ème Convention de Genève, qui interdit à toute force occupante la possibilité de transférer les habitants de son propre territoire sur un territoire occupé. Le Sinaï fut rétrocédé à l’Egypte dans le cadre du traité de paix israélo-égyptien en 1979. De même, les colonies de peuplement israéliennes de la Bande de Gaza et 4 colonies du nord de la Cisjordanie ont été évacuées dans le cadre du plan de désengagement unilatéral d’Israël en 2005. Les colonies / implantations font appel à toutes sortes de terminologies selon les différentes représentations des acteurs. Dans la sémantique israélienne, elles sont désignées de plusieurs façons. Ces dénominations varient au vu des opinions politiques des acteurs, mais aussi de la localisation des colonies. Elles peuvent ainsi être désignées par le terme de hitnahalout (qui signifie «installation sur la terre» et qui comprend le terme biblique de nahala, c’est à dire une terre qui «vous» appartient, qui «vous» revient de droit). Cette expression est utilisée exclusivement pour l’installation de villes ou villages israéliens dans les territoires situés au-delà de la ligne verte. Les colonies peuvent aussi être appelées yishouvim (qui signifie aussi «installation sur la terre», mais qui vient du verbe lachevet, qui signifie s’asseoir). Yishouvim est le terme utilisé pour définir tous les centres de population en Israël. Ceux qui utilisent cette formulation souhaitent marquer qu’il n’existe – à leurs yeux – aucune différence entre les villes et villages israéliens situées à l’intérieur ou à l’extérieur de la ligne verte. Jérusalem-Est (zone comprise entre le tracé de la ligne verte et le tracé municipal israélien de Jérusalem) a été annexé en 1967 par Israël. Le plateau du Golan a lui aussi été annexé par Israël en 1981. Ces deux annexions ont été condamnées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies et ne sont donc pas reconnues par le droit international (résolutions 478 et 497).
- Colons israéliens : Cette terminologie désigne les habitants israéliens des colonies.
- Kibboutz : Inspiré par les idées du socialisme associatif, le kibboutz est un village collectiviste à vocation agricole dans l’Etat d’Israël. Il est basé sur la propriété commune des biens et des moyens de production. Le kibboutz préconise l’égalité entre tous et la coopération de tous ses membres dans les domaines de la production, de la consommation et de l’éducation. Les décisions sont prises par l’assemblée de ses adhérents, qui travaillent dans les diverses branches de son économie. Au départ, l’économie des kibboutz était essentiellement fondée sur l’agriculture. Aujourd’hui, de nombreux kibboutz vivent aussi de l’industrie, du tourisme ou des services et tendent à se privatiser et à abandonner leur attitudecollectiviste traditionnelle.
- Mochav : Le mochav est un village coopératif à vocation agricole dans l’Etat d’Israël. Contrairement au kibboutz où tout est organisé en commun, le mochav n’est pas collectiviste. Chaque famille y gère sa propre exploitation agricole. Toutefois, il existe une coopération entre les membres via la mise en place de nombreux services collectifs (miseà disposition du matériel agricole, commercialisation de la production du mochav, activités culturelles, services sociaux, etc.).
- Implantation communautaire (yishouv kehilati) : Contrairement au kibboutz et au mochav, ce modèle d’implantation rurale ne fonctionne pas sur la base d’une coopération économique car la majorité de ses habitants vont travailler hors de la communauté. La coopération est d’ordre social. Les affaires de la communauté sont gérées collectivement par ses membres qui s’investissent aussi volontairement dans les activités communes (éducation, culture, activités des jeunes, etc.). Il y a une procédure d’intégrationpour venir vivre dans une implantation communautaire. Le concept de l’implantation communautaire a été inventé au début des années 1980 sous l’initiative du Bloc de la foi (Goush Emounim), groupe nationaliste-religieux ayant pour objectif la colonisation des territoires occupés. Son idéologie est basée sur le principe du Grand Israël : la terre d’Israël (l’ensemble des territoires occupés) appartient au peuple juif par un droit divin. L’objectif était de créer des communautés fortes avec une vie sociale attrayante dans un environnement hostile, pour palier à l’isolement et à la distance. Si le principe de départ de ce type d’implantation était de créer une société solidaire et quasi idéale pour les partisans du Grand Israël, le modèle a évolué depuis et a gagné en souplesse. Il est maintenant utilisé dans de nombreuses colonies qu’on peut qualifier d’économiques* et de qualité de vie et dont les habitants sont loin des idéologies de ses fondateurs. * Les habitants de ces colonies ont été attirés par les bas prix de l’immobilier et les incitations financières mises en place par le gouvernement.
- Autres types d’implantation : Il s’agit d’implantations urbaines ou rurales dirigées par des comités locaux. Il n’y a pas de cadre de coopération financière ou économique, ni de procédure particulière pour l’adhésion. Le Bureau Central des Statistiques israélien définit une implantation comme urbaine si sa population est de 2000 habitants ou plus, alors que les implantations rurales sont celles de moins de 2000 habitants.
- Conseil local : Un conseil local est une implantation qui comprend plus de 2000 habitants. A ce titre, elle peut, si elle le désire, s’affranchir de la tutelle du conseil régional dont elle dépend, pour s’auto-administrer.
Notes sur les légendes des cartes :
Le classement des partis israéliens en termes de gauche, droite et centre est fait en fonction des positions de ces partis par rapport au processus de paix, aux implantations et à l’établissement d’un état Palestinien. Ont été classés dans le groupe «autres partis», ceux dont je n’avais pas trouvé les opinions concernant ces sujets.
Les informations portant sur l’origine de nouveaux immigrants dans les colonies sont le fruit d’un travail de terrain. Il n’existe pas de chiffres officiels au Bureau Central des Statistiques israélien sur ce sujet. La liste des colonies où on peut trouver de nouveaux immigrants israéliens originaires de France et des pays anglophones n’est donc pas exhaustive.
Réalités et représentations : l’enjeu géopolitique du tracé du tramway de Jérusalem
La carte se révèle indispensable à toute réalisation de grands projets urbains tels que la construction d’un tramway. Il est en effet nécessaire de savoir où se situe le(s) centre(s) d’activité(s), les populations, les grands axes de communications, les sites touristiques, les bureaux, pour décider du tracé de la ligne ou des lignes à construire.
A Jérusalem, la démarche cartographique est rigoureusement la même pour la construction du tramway. Mais parce qu’on se trouve à Jérusalem, ville hautement géopolitique, la carte devient aussi un formidable outil politique.
Pourquoi le tracé du tramway passe-t-il par ce territoire plutôt qu’un autre ? Dessert-il toutes les populations ou en favorise-t-il une ? N’est-t-il guidé que par des impératifs d’utilité publique ? En somme, ce tramway est-il une simple infrastructure de transport ou l’outil d’une nouvelle stratégie territoriale israélienne ?
Composée de 12 cartes, cet Atlas tente, au-delà des idées reçues, d’analyser les facteurs qui ont déterminé le choix du tracé du tramway de Jérusalem.
Sommaire
- Carte n°1 – Juifs, Musulmans et Chrétiens à Jérusalem
- Carte n°2 – Complexité du réseau de transport à Jérusalem
- Carte n°3 – Réseau de tramway en construction et en projet à Jérusalem
- Carte n°4 – Les attentats à Jérusalem : une des raisons du retard dans la construction du tramway
- Carte n°5 – Extension du tramway et principales zones d’activités de Jérusalem
- Carte n°6 – Un réseau qui répond aux besoins
- Carte n°7 : Enjeux et stratégies du tramway dans le “Grand Jérusalem”
- Carte n°8 – Différentes représentations du tramway de Jérusalem
- Carte n° 9 – Un tracé uniquement guidé par des impératifs politiques ?
- Carte 10 – Topographie et tramway à Jérusalem
- Carte n°11 – Choix du tracé du réseau du tramway et contraintes topographiques : le cas du sud de Jérusalem-Est
- Carte n°12 – Connexions entre le réseau de bus de la compagnie arabe et la ligne 1 du tramway