Approche géopolitique de la résistance aux vaccinations en France : le cas de l’épidémie de rougeole de 2008-2011
Lucie Guimier soutiendra sa thèse sur Approche géopolitique de la résistance aux vaccinations en France : le cas de l’épidémie de rougeole de 2008-2011. La soutenance aura lieu le lundi 7 novembre 2016 à 14h00 dans la salle des thèses de l’espace Gilles Deleuze (bâtiment A, 1er étage), 2, rue de la Liberté, à Saint-Denis, devant un jury composé de :
Jeanne-Marie AMAT-ROZE, Professeur émérite, Université Paris 13 (co-directrice de la thèse)
Béatrice GIBLIN, Professeur émérite, Université Paris 8 (directrice de la thèse)
Christine JESTIN, Médecin de santé publique, Direction de la prévention et de la promotion de la
santé à l’agence Santé publique France
Annick OPINEL, Chercheur, Institut Pasteur (co-directrice de la thèse)
Sophie de RUFFRAY, Professeur, Université de Rouen
Pierre SALIOU, Médecin biologiste, Professeur agrégé du Val-de-Grâce
Ces dernières années, la multiplication de controverses sur la vaccination et la méfiance à l’égard des autorités publiques ou de l’industrie pharmaceutique ont poussé de plus en plus de personnes à douter de l’utilité des vaccins. Ce contexte met en échec les objectifs élevés de couverture vaccinale et provoque de fait la recrudescence de maladies que l’on peut prévenir par la vaccination, comme la rougeole. Ces événements en chaîne mettent les États concernés face à un double défi : celui de répondre aux craintes de la population et celui de résorber le risque épidémique.
Entre 2008 et 2011, plus de 22 000 cas de rougeole ont été signalés en France. Au cours de cette période, on a déploré 1 023 victimes de pneumonie, 27 complications neurologiques et quatorze décès dus à la maladie. Les foyers épidémiques ont principalement été observés dans le quart Sud-Est du pays. À elle seule, la région Rhône-Alpes a enregistré près de 30 % des cas rapportés au niveau national entre janvier 2008 et septembre 2011. À l’aide d’un travail de terrain menée dans des cantons rhônalpins ayant les mêmes profils sociologiques, économiques et démographiques mais n’ayant pas affiché le même bilan face à la rougeole au cours de la vague épidémie de 2011, cette recherche explore les motivations des parents réfractaires à la vaccination en les reliant à leur territoire de vie. L’enquête menée dans le cadre de cette thèse met en évidence que les pratiques vaccinales sont reliées à des comportements de distinction vis-à-vis de la norme, qu’il s’agisse du rapport entretenus aux institutions et plus généralement à l’État ou, par exemple, du modèle éducatif choisi pour ses enfants (écoles alternatives ou religieuses). Ces comportements s’inscrivent dans des contextes socio-territoriaux qui ne sont pas neutres, ce qui rend leur lecture plus complexe. En effet, les pratiques locales de vaccination ne relèvent pas seulement du profil social des populations étudiées. Elles intègrent l’influence des médecins et responsables politiques locaux, souvent conscients des résistances locales observées et qui ont parfois même un rôle décisif dans le paysage sanitaire dont ils sont responsables.
À l’échelle nationale, l’image qui prévaut de la politique vaccinale est celle d’une dispersion des pouvoirs et des compétences, et donc d’une dissolution des responsabilités à mesure des différents maillons de la chaîne des exécutants. L’absence de clarté générée par cette dispersion n’a pas permis l’émergence d’un discours puissant et fédérateur sur l’utilité, les bénéfices et le symbole du vivre ensemble porté par la politique vaccinale en France. Ces lacunes ont nourri à la fois le manque d’intérêt des citoyens pour cette question mais, fait plus alarmant, elles ont permis le développement d’attitudes de rejet systématique de la vaccination.
La politique de vaccination publique telle qu’étudiée dans ce travail montre ainsi une réappropriation par l’État de sa légitimité dans la protection de la santé publique. Entre « approche impérialiste » écorchant les libertés fondamentales et « conception minimaliste »[1] générant des drames sanitaires (Tabuteau, 2009 : 99), la politique de santé publique, et singulièrement la politique vaccinale, sont à la recherche permanente d’un juste équilibre entre sécurité collective et démocratie sanitaire.