Clinton : quitte ou double sur le Texas
Frédérick Douzet est maître de conférences, IFG-Université Paris 8 et Institut Universitaire de France, auteur de “La couleur du pouvoir”, Belin, 2007.
Alors que son adversaire Barack Obama enchaîne avec allégresse les victoires dans les primaires américaines depuis Super Tuesday le 5 février, Hillary Clinton adopte une stratégie qui fut fatale au républicain Rudolf Giuliani : tout miser sur deux grands Etats à venir pour reprendre la tête de la course et s’imposer au finish. Clinton joue son va-tout sur le Texas et l’Ohio, une stratégie risquée mais obligée.
La dynamique Obama oblige la candidate à rétablir l’équilibre par une victoire retentissante dans les Etats qui comptent le plus de délégués. Avec ses 228 délégués et sa large population hispanique, le Texas est la carte maîtresse de la candidate qui a d’ores et déjà amorcé sa campagne pour le 4 mars. Clinton cherche ainsi à rééditer l’exploit californien où la mobilisation hispanique (29% des électeurs !) et leur soutien, à 60 voire 70% des voix dans les circonscriptions latinos, fut particulièrement remarquable. On peut l’attribuer d’abord à une stratégie de campagne efficace. Clinton a très tôt compris l’intérêt de conquérir cet électorat, d’autant que l’électorat noir s’est rapidement rallié à Obama. Clinton s’est adjoint d’entrée les services et le soutien de personnalités latinos en vue : Antonio Villaraigosa, le très populaire maire de Los Angeles, Fabian Nuñez, président de l’Assemblée de Californie, Dolores Huerta, cofondatrice du syndicat des travailleurs agricoles mais aussi Patty Solis Doyle, jusqu’il y a deux jours sa directrice de campagne, et Ace Smith, chef de campagne californien qui connaît parfaitement les ressorts du vote latino en Californie et a su mobiliser l’électorat de la communauté. Clinton bénéficie par ailleurs de la popularité de son mari Bill, qui avait signé l’ALENA et s’était vigoureusement opposé à une proposition de loi en 1994 visant à priver les immigrants clandestins de l’accès aux services publics. Par contraste, Obama ne s’est pas précipité pour courtiser l’électorat hispanique et il a très vite jeté l’éponge en Californie.
Ensuite, Clinton bénéficie et exploite les rivalités de pouvoir entre les communautés noires et latinos qui se trouvent en concurrence pour l’accès à un certain nombre de ressources : emplois, contrats publics, logement, aide sociale mais aussi représentation politique. Les guerres de gangs et la situation dégradée des ghettos noirs dans lesquels s’installent les immigrants alimentent une défiance que le responsable des sondages de Clinton a mise en exergue, affirmant que les Latinos étaient « peu enclins à voter pour un candidat noir ». Le propos, susceptible d’envenimer les relations entre communautés, a déclenché une belle controverse. Après tout, de nombreux élus noirs américains le sont grâce à des voix hispaniques et vice-versa, Antonio Villaraigosa lui-même étant très populaire dans la communauté noire.
La troisième raison, qui a de fortes implications pour la suite de la course, est la corrélation avec d’autres variables socio-économiques. Clinton est beaucoup plus populaire qu’Obama auprès des électeurs de faible niveau d’éducation aux revenus inférieurs à 50 000 dollars. Ses scores les plus élevés en Californie sont dans les circonscriptions où se trouve le plus fort taux de personnes peu ou pas diplômées. Or, une large part des immigrants de première et deuxième génération appartiennent à ces catégories. Obama séduit en revanche les démocrates à plus haut niveau de revenus et d’éducation, qui lisent ses livres et les journaux nationaux, les Africains-Américains, les jeunes et les indépendants.
La réussite de Clinton dépend de la capacité ou non d’Obama à pénétrer cet électorat, les « beer democrats » par opposition aux « wine democrats », dans des Etats fortement peuplés où son charisme se dilue nécessairement dans l’espace à arpenter. L’Ohio comme la Pennsylvanie comptent de nombreuses victimes des délocalisations d’entreprises en proie au chômage, à la crise du crédit et en panne d’espoir, qu’il faudra convaincre. La victoire d’Obama dans le Wisconsin démontre clairement qu’il a réussi à gagner des voix dans cet électorat. Par ailleurs, Obama a cette fois perçu l’enjeu hispanique et multiplie les gestes envers la communauté, avec des spots en espagnol et l’appui du très populaire Ted Kennedy, qui sillonne pour lui les circonscriptions hispaniques, et d’autres élus hispaniques. Les sondages montrent qu’il pogresse également auprès de cet électorat. Il ne fait aucun doute que Clinton mettra toute son énergie dans ces deux Etats où elle possède un réel avantage, mais elle est susceptible de se heurter à trois obstacles. Le système de répartition proportionnelle risque de faire également gagner de nombreux délégués à Obama et de ne pas creuser suffisamment l’écart. La focalisation revendiquée par la candidate sur les grands Etats peut apparaître comme du dédain pour les électeurs des multiples petits Etats à travers le pays qui ont soutenu Obama. Enfin et surtout, avec l’enchaînement des victoires d’Obama le 19 février, l’attention médiatique qu’il suscite et l’argent qui afflue, il est possible que nombre d’électeurs considèrent que l’espoir et le changement ne sont finalement pas du côté de Clinton.