“Domination féminine et géographie”
Le Monde parle d’Hérodote :
L’usage veut que l’on retienne, pour la naissance du féminisme français,la date symbolique du 26 août 1970 : ce jour-là, une dizaine de femmesdéposent une gerbe sur la tombe du Soldat inconnu en proclamant qu’il y a“plus inconnu que le Soldat inconnu, sa femme”. C’était il y aquarante ans, un anniversaire qu’Hérodote, la revue de géographieet de géopolitique publiée par les éditions La Découverte, a choisi decélébrer en consacrant un numéro aux femmes et à la géopolitique.
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Voir le numéro “Femmes et géopolitique” sur le site d’Hérodote
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A première vue, le lien entre ces deux termes n’a riend’évident. “On peut se demander en quoi l’approche géopolitique -l’étude des rivalités de pouvoir sur des territoires – est utile pourcomprendre les complexes rapports de domination que, de par le monde,les hommes exercent sur les femmes”, admet d’emblée la directrice dela revue, Béatrice Giblin. Il existe cependant une géographie desrapports de domination, estime-t-elle : leur évolution crée, ou non, descontextes favorables aux inégalités, voire à l’exploitation des femmes.
Ilfallait donc aller voir ces situations de plus près en recourant à desmonographies documentées. Hérodote a fait appel à desethnologues, des géographes, des spécialistes de géopolitiques ou dessociologues qui analysent à la fois la situation des femmes et sadimension territoriale. Prostitution, port du voile, droits politiqueset sociaux : la revue voyage du Maghreb à l’Asie en passant par leBrésil ou les Philippines. L’éclectisme est de mise, au risque, parfois,d’un certain fouillis.
L’un des articles s’attarde sur lesconséquences de l’intervention de la communauté internationale sur lasituation des femmes afghanes. “Depuis 2001, des progrès ont étéaccomplis, mais l’insécurité qui y prévaut, le faible engagement del’Etat dans le renforcement du rôle des femmes, la corruption et lesfortes traditions de cette société patriarcale, religieuse et coutumièreannihilent les efforts pour renforcer leurs droits et leur rôle dans lasociété”, écrit Sonia Jedidi, de l’Institut français degéopolitique de l’université Paris-VIII.
La communautéinternationale avait proclamé qu’elle agirait en faveur des droits desfemmes, mais son action n’est pas dénuée d’effets pervers : dans cettesociété “rurale, traditionnelle et tribale”, l’émancipation desfemmes apparaît désormais comme une idée “étrangère et importée”.“Si les acteurs de la reconstruction ne parviennent pas à ce que lamajorité de la population, et particulièrement les hommes, s’approprieles réformes, les femmes risquent de subir une nouvelle régression deleurs droits, et probablement de manière violente”, estime SoniaJedidi.
L’un des articles les plus intéressants est consacré à unphénomène étrange analysé, il y a vingt ans, par l’économiste indienAmartya Sen : les femmes manquantes d’Asie. En raison du manquechronique de soins apporté aux femmes, mais aussi des avortementssélectifs pratiqués sur les filles, le continent compte un surplus de…91 millions d’hommes. Dans beaucoup de pays, le sex-ratio à lanaissance dépasse ainsi 113 garçons pour 100 filles, une “valeurau-delà de la norme biologique”, note Christophe Guilmoto.
Etudiantavec précision la géographie de ces déséquilibres, le démographeconclut que cette prédilection repose notamment sur la “prégnance desstructures patriarcales”. Les bouleversements économiques quitouchent ces régions pourraient cependant modifier la donne. “Cechangement progressif représente une menace à la domination masculine :éducation, accès à l’emploi et autonomie sociale confèrent aux femmesune identité nouvelle dans la société, allant à l’encontre des rapportsde genre traditionnels.”
Hérodote,Femmes et géopolitique, La Découverte, 234 pages, 22 euros
Anne CheminArticle paru dans l’édition du 21.03.10.