“Enjeux géopolitiques du pétrole”
Avec
Cédric DE LESTRANGE, ministère de l’économie
Christophe-Alexandre PAILLARD, maître de conférence à Sciences-Po, en économie de la Défense
Pierre ZELENKO, spécialiste du droit de la concurrence et de droit public
Ils sont auteurs aux Editions Technip de Géopolitique du pétrole. Un nouveau marché. De nouveaux risques. Des nouveaux monde 2005, 288 p.
Compte-rendu
Devant une salle comble, Frank Tétart lance la soirée dédiée aux enjeux géopolitiques du pétrole. Face à la hausse du prix du baril constatée depuis plusieurs mois, baril qui dépasse les 50 $, la dépendance énergétique et la multiplication des recherches technologiques pour en sortir rappellent que le pétrole est devenu, au cours des décennies, un besoin de la vie quotidienne. Cédric de Lestrange, évoque les facteurs de l’augmentation actuelle du prix du baril, Christophe-Alexandre Paillard les facteurs géopolitiques pesants sur le marché pétrolier et Pierre Zelenko les possibilités d’un après-pétrole.
Les facteurs de l’augmentation du prix du baril de pétrole. (Cédric de Lestrange)
Le monde pétrolier est confronté à trois crises : une crise du marché du pétrole, une crise géopolitique des mondes du pétrole et une crise de l’ère du pétrole (finira-t-elle un jour ? Dans quel sens évoluent la consommation et la technologie ?). Quelles sont les causes de l’évolution des prix ? Pourquoi se retrouve-t-on aujourd’hui avec un prix supérieur à 50 $ le baril ?
Trois marqueurs principaux permettent d’évaluer un prix d’équilibre entre 50 et 51$ le baril : le WTI (Western Texas Intermediate, basé sur un brut local produit aux Etats-Unis pour la consommation de la région de Chicago) pour l’Amérique, le Brent (basé sur différents bruts de la mer du Nord) pour la zone Europe- Méditerranée- Afrique et le Dubaï pour le Moyen-Orient et l’Asie. Ces 3 marqueurs oscillent depuis un an entre 30 et 60$ le baril. Il y a 5 ans nous n’étions qu’entre 10 et 30$ le baril, avec un prix d’équilibre à 25$, or cette période était déjà considérée comme une crise des prix. La réunion de Riyad avait alors défini un prix raisonnable à 25$ le baril. Mais actuellement nous en sommes au double. Pourquoi ?
Il faut tout d’abord considérer les facteurs à courts termes qui sont de plus en plus développés avec un marché pétrolier plus ou moins autonome. La vague de froid qui a touché une partie du monde durant l’hiver 2004-2005, le développement de certains secteurs économiques comme l’aéronautique et l’évolution générale du marché ont conduit à une consommation pétrolière beaucoup plus importante ces derniers mois. Les cycles de production se retrouvent ainsi régulièrement confrontés à des goulots d’étranglement, avec des manques sur la qualité de pétrole dont on a besoin (brut, raffiné, mazout, etc.).
Ensuite, à moyens termes, la demande augmente. En 2004, la croissance mondiale, notamment au sein des pays émergents présentant un profil industriel à forte consommation énergétique, a été plus forte que prévue, ce qui a entraîné une hausse de la demande en pétrole. La demande chinoise a ainsi explosé au-delà de toutes les prévisions. Dans ce contexte, l’offre n’a pas suivi.
Enfin, à longs termes, la capacité de l’OPEP n’est pas ouverte, alors qu’elle avait annoncé une croissance de la production. La situation n’est pas meilleure en Russie, au Nigeria ou au Venezuela, pays pétroliers producteurs confrontés à des problèmes internes tels qu’ils bloquent toute évolution de la production. Il est alors impossible de jouer sur le stock pour faire face à la demande croissante. Le robinet est ouvert au maximum mais la quantité est insuffisante. Il y a 5 ans, l’Arabie Saoudite possédait en permanence 3 millions de barils en stock. Aujourd’hui il n’en reste plus rien.
Si une crise majeure devait advenir, il serait impossible de faire quoique ce soit. Les prix pourraient alors atteindre, selon les prévisions, les 300 $ le baril. Nous sommes en passe d’une crise nouvelle dans la géopolitique pétrolière. En effet, on reste encore sur l’image des chocs pétroliers au cours desquels l’OPEP maîtrisait tout. La crise était alors contracyclique : les prix élevés du pétrole étaient limitateurs de croissance. La crise actuelle est procyclique : les prix du pétrole montent avec la croissance forte des pays consommateurs. Les situations sont ainsi très différentes mais la clé est d’abord géopolitique.
Cependant, l’impact de la crise sur l’économie française est limité car nous sommes dans une économie de service. Nous demeurons toutefois dans une forte dépendance vis-à-vis des pays producteurs de pétrole. Si certains disparaissaient, les implications industrielles, militaires et politiques seraient difficilement contrôlables. Or, l’Europe n’a pas de stratégie à long terme en matière pétrolière, car les effets d’une crise y sont plus limités que dans les pays émergents (consommation européenne moins forte) et qu’aux Etats-Unis (nombreuses politiques d’économies d’énergie en Europe). De plus, les facteurs monétaires (Euro fort par rapport au dollar) atténuent l’impact financier de la hausse du prix du baril. En revanche, il faut en tirer les conséquences sur les évolutions géopolitiques du pétrole qui débouchent sur des enjeux et des risques mondiaux.
Les facteurs géopolitiques du marché (Christophe -Alexandre Paillard)
Les facteurs géopolitiques du marché sont liés à trois données : l’offre, la demande et l’investissement. L’offre augmente peu alors que la demande croît très vite, et plus vite que prévu surtout en Asie (où on a atteint la consommation qui était calculée pour 2009), ce qui provoque une plus grande tension sur le marché. L’une des clés pour sortir de la crise est l’investissement, or il n’a pas été fait pour des raisons économiques et géopolitiques. Certes, les raisons géopolitiques ont toujours existé dans le monde du pétrole, mais ce qui a changé par rapport aux années 1990, c’est que les bouleversements géopolitiques sont concomitants. Entre les années 2001 et 2005, les pays producteurs de pétrole ont été confrontés à la guerre en Irak, aux troubles au Moyen-Orient (terrorisme en Arabie), aux troubles sociaux au Venezuela et aux troubles politiques au Nigeria et en Russie (affaire Ioukos, mafia, chantage à la fiscalité exercée par le gouvernement russe).
Les risques géopolitiques s’accroissent, surtout dans certaines zones. L’Iran totalise 15% des réserves mondiales de gaz et 12% des réserves de pétrole. Il détient la deuxième place après l’Arabie Saoudite (et devant l’Irak). Ce pays a par conséquent un rôle essentiel sur la stabilité du marché. Or, ce pays clé cherche à se doter de l’arme nucléaire, car il se sent menacé par l’Amérique et Israël. L’Iran représente actuellement une production de 3,5 millions de barils par jour. Si cette production s’arrêtait, le prix s’élèverait à 80$ le baril.
De nombreuses incertitudes pèsent sur l’Arabie Saoudite, notamment sur la survie du régime avec la multiplication des réseaux islamistes. Le pays concentre 25% des réserves mondiales de pétrole. Si sa production venait à faire défaut, une crise générale s’étendrait sur le monde.
Le Golfe de Guinée développe sa production pétrolière depuis les années 1990 (il totalisait alors 2 à 3% de la production mondiale). Les Américains estiment que la région leur fournira 25% des importations. Là-aussi, des tensions politiques occasionneraient un impact direct sur les marchés mondiaux.
Enfin, le régime du président Hugo Chavez au Venezuela est incertain et risque de devoir faire face à une guerre civile. De cette manière, tous les pays producteurs sont au taquet de leur capacité de production. Le moindre retrait de barils conduit à une hausse du prix du baril de 5 à 6 $. La situation est extrêmement tendue et les conséquences pourraient en être dévastatrices. Les facteurs de risques sont élevés et le risque est en croissance sur le dossier iranien. La question reste entière pour les pays consommateurs. Comment éviter une crise géopolitique et sinon, existe-t-il des moyens technologiques pour pallier le pétrole ?
Quel est l’avenir du pétrole ? Y aura-t-il un après-pétrole ? (Pierre Zelenko)
La crise de l’ère du pétrole pose deux questions. Va-t-on atteindre le pic de production pétrolière ? Quelles seraient alors les énergies de substitution ?
La date buttoir de la fin de l’ère du pétrole est non tranchée à ce jour. Le débat oppose les géologues (principalement Colin Campbell et Jean Laherrère), tenants de la thèse pessimiste qui fixent, à partir d’extrapolation des ressources actuelles, en 2020 le pic et le début du déclin de l’ère du pétrole, et les économistes, tenants de la thèse optimiste qui pensent que les réserves seront suffisantes pour le XXIème siècle. L’écart s’explique, car les économistes prennent en compte les éventuelles rentabilités économiques de certains gisements encore non exploités.
Au-delà de ce débat, le pic est soumis à aléas. Si le prix du baril est durablement élevé, les compagnies pétrolières vont dégager des bénéfices et investiront dans les progrès technologiques. De nouveaux gisements moins rentables pourront alors le devenir comme les pétroles non-conventionnels. Mais une autre incertitude pèse : les grands pays producteurs ouvriront-ils leur amont pétrolier ?
De nombreux substituts existent déjà à ce jour : le gaz (utilisé dans des centrales électriques au gaz), le nucléaire (mais les opinions publiques y sont souvent opposées), le charbon (développé en Allemagne et en Chine) et les énergies renouvelables (marginales, non rentables et insuffisantes à ce jour).
Les facteurs de substitution ne peuvent être que des facteurs de long terme et sont multiples :
le prix durablement élevé du baril à long terme rendrait d’autres sources compétitives. Le seuil de substitutiabilité défini à 30$ le baril dans les années 1970-80 est en fait bien plus haut, comme le démontre la situation actuelle.
un changement des modes de consommation dans les pays développés ou des économies d’énergie dans les pays émergents.
Mais à court terme, il faudrait que les pays qui imposent une forte pression sur la demande fassent des économies d’énergie, tandis que la carte de production se recomposerait grâce à de nouveaux gisements devenus plus rentables. Il y a donc beaucoup d’incertitudes.
Débat
Après les interventions percutantes des trois intervenants, à 20h45, le débat s’ouvre et de nombreuses questions fusent qui vont conduire le café jusque vers 21h20. La question du pétrole semble passionner.
Yves Montenay demande si les problèmes actuels ne sont pas liés à une mauvaise gestion des réserves par les Etats, car les compagnies pétrolières ont gardé un horizon de réserve pas trop éloigné pour éviter les pertes financières et pas trop proche pour limiter les risques.
Pierre Zelenko abonde dans le sens d’Yves Montenay, mais en précisant que les compagnies, qu’elles soient nationales ou privées, sont impliquées à même hauteur. Il y a toutefois un changement récent de stratégie. Le manque d’investissement est d’autant plus coupable que les prix sont élevés depuis plusieurs années, ce qui conduit à poser la question suivante : le niveau d’investissement sera-t-il en phase avec les prix élevés ?
Cédric de Lestrange ajoute que la situation actuelle s’explique aussi par un contrôle faible des ressources par les compagnies internationales. Or ce sont elles qui maîtrisent le savoir technologique. Même si les compagnies nationales veulent ouvrir leur amont, elles ne le peuvent souvent pas faute de maîtrise technologique. Mais ce n’est pas le cas partout. En Algérie, les compagnies internationales sont présentes depuis longtemps. La gestion des réserves et des ressources y a été bien menée. La situation dépend bien souvent des facteurs de politiques internes. De plus, les compagnies internationales n’ont pas pu investir partout comme elles l’auraient souhaité. En effet, dans l’OPEP, il y a des pays sur lesquels pèsent peu de risques (Algérie, Libye) qui concentrent les compagnies internationales qui exercent les unes contre les autres une forte concurrence. La vraie culpabilité est sans doute davantage à situer sur la question du raffinage et du goulot d’étranglement. La faute est plus sur l’aval que sur l’amont, aval sur lequel jouent des blocages géopolitiques complexes.
Quelle est la place de Total dans l’exploitation pétrolière ? Quel est le rôle du pétrole soudanais récemment découvert (en 1980) ?
Christophe- Alexandre Paillard explique que Total est la 4ème compagnie pétrolière internationale et que son rôle progresse. Il en profite pour rappeler la hiérarchie de ces compagnies : 1er rang pour Exxon Mobil, 2ème pour Shell, 3ème pour BP Amoco. Total est une compagnie qui représente entre 1 et 2% de la production mondiale. C’est la 1ère entreprise française en terme de capitalisation (mais 42% appartiennent aux fonds de pension américains). Elle joue un rôle important dans le Golfe de Guinée (zone où s’affrontent des compagnies européennes et américaines). La lutte y est d’autant plus âpre que les Américains craignent que le Moyen-Orient soit atteint par la crise politique et que les Américains veulent sécuriser leur approvisionnement en pétrole.
Quant au Soudan, c’est un pays pétrolier en marge. Les compagnies internationales en sont parties dans les années 1990 à la suite d’attentats. Aujourd’hui, c’est une chasse-gardée de compagnies chinoises (5 à 6 000 Chinois sur place). Mais les taux de récupération (part de la ressource totale d’un gisement qui peut être extraite dans un état donné de la technologie) y sont faibles : de 2/3 inférieurs à ceux des compagnies pétrolières occidentales. La Chine arrive partout en Afrique pour le pétrole off-shore comme au Pérou, au Cambodge ou en Birmanie. Le Soudan totalise environ 200 à 250 000 barils /jour, ce qui est faible sur le marché international.
Le pétrole est une ressource très précieuse et mal gérée. Il lui faut des millions d’années pour se former et il est consommé très vite. Quels sont les domaines dans lesquels il est indispensable ? Le pétrole peut-il être géré comme une ressource durable ? Quel est le pourcentage de pétrole utilisé comme matières premières et non comme combustible ?
Pour Pierre Zelenko, le pétrole est une matière surutilisée car elle demeure la meilleure source d’énergie : elle s’extrait, se stocke et se transforme facilement, et les rendements énergétiques sont très bons, c’est ce qui explique sa surconsommation.
Les domaines dans lesquels le pétrole est devenu indispensable sont les transports (routier, aérien), pour lesquels les substituts sont plus aisés à fabriquer, et le chauffage ou l’énergie. Mais là les substituts, quand ils existent, sont plus chers et rentables uniquement si le prix du baril reste élevé durablement.
Pour Cédric de Lestrange, le passé n’a été qu’un gaspillage plus ou moins important en fonction du prix du pétrole. Pourquoi un tel gaspillage ? Car contrairement à ce qu’on croit le pétrole n’a été cher que sur de courtes périodes : les années 1970 et les années 2000, c’est tout. Mais en dehors de ces deux décennies, le pétrole a été une matière première très bon marché donc gaspillée. Ainsi, le parc automobile américain est un gros consommateur de pétrole car il a été constitué à une époque où les prix étaient bas. Dans l’avenir, il faudra toutefois se rappeler l’adage de celui qui fut ministre saoudien du pétrole pendant 40 ans, le cheikh Ahmed Zaki Yamani : « l’âge de pierre n’a pas pris fin par manque de pierres ». La fin du pétrole n’est pas proche car les substituts existent. Mais il se peut qu’on atteigne la fin de l’ère du pétrole car on n’aura plus besoin du pétrole grâce aux progrès technologiques. La fin viendra du côté de la demande et non de l’offre. Il ne sert à rien de recréer l’épouvantail de la pénurie.
Pour Christophe-Alexandre Paillard, tout se fera effectivement du côté de la demande. L’avenir du pétrole dépend de la manière dont chacun d’entre nous vit. En effet, les produits pétrochimiques représentent 90% des produits qui nous environnent (médicaments, électroménager, plastics). Il faut changer de mode de vie. C’est donc davantage un choix politique des politiciens : les Etats-Unis considèrent ainsi que leur mode de vie est vital donc qu’il faut le sauver par tous les moyens. Mais la vison n’est pas la-même de part et d’autre de l’Atlantique. De nouveaux pétroles non-conventionnels sont en développement : les sables bitumineux (dont les Etats-Unis et le Canada sont les 1er détenteurs), les sables asphaltiques (Venezuela, Utah, Madagascar, Argentine, Roumanie) et les schistes bitumineux (Brésil, Mandchourie, Maroc, Colorado). Ces pétroles sont caractérisés par leur haute densité et leur difficile et coûteuse extraction. Ils ne représentent actuellement que 5% de la production mondiale. Malgré des potentialités considérables (réserves estimées entre 400 et 600 milliards de tonnes), leur valorisation demeure limitée par leur manque de rentabilité au vue des coûts d’exploitation à engager.
La sécurisation physique du pétrole, notamment son transport, semble très liée aux Etats-Unis, mais que dire de la présence des autres pays et surtout au niveau des détroits ?
Christophe-Alexandre Paillard confirme que les Etats-Unis sont les seuls et uniques gendarmes sur les marchés pétroliers mondiaux, car ils sont les seuls à disposer des armes suffisantes. En ce qui concerne la sécurisation des voies d’approvisionnement, il s’agit principalement de routes maritimes qui totalisent les 2/3 du transport des produits pétroliers. Les risques sont faibles sur les détroits (Malacca et Ormuz en priorité) car il faut de gros moyens terroristes pour attaquer un pétrolier (l’attentat du 6 octobre 2002 contre le pétrolier français Limburg n’a été possible que parce que le navire était à l’arrêt près des côtes du Yémen).
Cédric de Lestrange précise que la présence américaine est très significative dans la région du Golfe : les effectifs humains s’y élèvent à 100 000 (hors Irak). En comparaison, l’ensemble de la marine française ne représente que 60 000 hommes dont 90% sont à terre. La question est plutôt de savoir si ce fardeau sera partagé. Financièrement, les Etats-Unis cherchent à le faire partager (ils considèrent que ce sont des services pétroliers et qu’il faut par conséquent les payer). En ce qui concerne la présence, L’Inde et la Chine développent leur capacité navale et militaire : ils veulent être présents directement dans leur zone d’influence naturelle (Océan indien et Mer de Chine). Ce sont donc de nouveaux pays consommateurs qui mettent en place une stratégie pétrolière offensive.
Pierre Zelenko rappèle que le rôle des Etats-Unis comme gendarmes est ancien. Le 13 février était la date anniversaire des 60 ans des accords du Quincy (signés entre l’émir Ibn Saoud et Roosevelt, sur le Quincy, au large de Djeddah en mer Rouge). L’Arabie saoudite cédait alors le monopole d’exploitation des gisements pétroliers aux Etats-Unis. Depuis, le couple américano-saoudien est central dans le monde pétrolier, car il symbolise l’alliance entre le gendarme pétrolier (l’Arabie saoudite) et le gendarme militaire (les Etats-Unis). Ce couple reste incontournable, même si l’Arabie est au taquet de ses capacités de production et connaît des difficultés internes liées à l’augmentation de l’influence des religieux extrémistes. Mais, l’alliance est remise en cause depuis 2001 avec les progrès d’Al Qaïda. L’allié saoudien peut être perdu, aussi les Américains recherchent-ils un nouvel allié au Moyen-Orient (c’est là l’une des causes de l’intervention américaine en Irak).
Dans le contexte de grandes compagnies quasi toutes américaines et d’une protection du transport menée par les Etats-Unis, quels seraient les intérêts de ce pays au développement d’énergies de substitution ?
Christophe-Alexandre Paillard précise que les grandes compagnies ne sont pas toutes américaines. Les Américains ont tout intérêt à faire autre chose que le pétrole car c’est une énergie à haut risque géopolitique et d’autres énergies existent aux Etats-Unis. Sous la présidence de Bush Junior a été mis en développement le plan Cheney qui vise à la diversification énergétique (nucléaire et ouverture des champs pétroliers d’Alaska malgré les problèmes environnementaux qu’elle engendrera, à l’horizon 2015 la production devrait s’y élever à 2 millions de barils /jour) et au lancement d’un programme de recherche sur les énergies renouvelables. Toutes les possibilités sont étudiées.
Cédric de Lestrange ajoute que les lobbies pétroliers sont très puissants aux Etats-Unis, mais le pays est avant tout un gros producteur et importateur qui doit faire face à une forte consommation due à un important gaspillage, aussi ne faut-il pas que les prix montent trop. Les stratégies énergétiques sont fondées sur l’offre et non sur la demande, ce qui conduit à une adaptation par l’addition par couches des différentes énergies. Il faudra pourtant bien qu’ils se posent la question de la soutenabilité de leur économie qui passera aussi par des économies d’énergie. Ce serait là une révolution intellectuelle énergétique !
Pourquoi ne pas évoquer l’extraction dans les zones de mers plus lointaines où les réserves peuvent être très importantes ?
Si les prix du pétrole se maintiennent à un fort niveau, la mise en scène de ces gisements (off-shore profond) à grande capacité, mais moins rentables, sera possible. L’ère de l’off-shore profond (gisement de fonds sous-marins enfouis à des profondeurs supérieures à 500 m., réserves évaluées à 6% des réserves mondiales d’huile) a déjà débuté. En septembre 2004, dans le Golfe du Mexique, un nouveau record en la matière a été enregistré avec la mise en exploitation d’un gisement à -2 600 m., alors que dans les années 1960 on forait à -20 m. ! Un autre grand projet se situe dans le Golfe de Guinée, mais l’ampleur de la réserve n’est pas connue. Le pétrole off-shore profond révèle également la dépendance technologique des pays producteurs de pétrole à l’égard des compagnies occidentales qui sont les seules en mesure d’effectuer de telles extractions (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Norvège, Pays-Bas uniquement). Le seul autre moyen de contrôle est alors la défense militaire, ce qui crée de nouveaux risques géopolitiques.
Quelles sont les capacités de production des ex-Républiques de l’URSS ?
L’ex-URSS possède principalement des réserves de gaz (35 à 37% des réserves mondiales). Pour le pétrole, c’est beaucoup moins : 10% au mieux (6% pour la Russie), et, en plus, une bonne partie est consommée sur place. Ce ne sont donc pas des acteurs majeurs. Ajoutons, que la Caspienne n’est pas un nouveau Golfe : elle ne concentre que 10% des réserves mondiales contre 60% dans le Golfe persique. La Caspienne est par ailleurs enclavée, situation qui nécessite la mise en place d’oléoducs sujets à de forts risques géopolitiques et faisant augmenter les coûts de transport (5 à 6$ par baril, dans le meilleur des cas, contre 1$ par Ormuz).
Compte-rendu : Alexandra Monot
En collaboration avec la revue Hérodote et les café-geo de Paris
Au Café des Phares ; 7, place de la Bastille ; 75004 Paris ; Métro : Bastille