George Bush, retour à la réalité ?
maître de conférences à l’Institut Français de Géopolitique, Université Paris 8.
Demeuré sourd et aveugle aux critiques au sein de son propre parti, à son effondrement dans les sondages, aux difficultés économiques de la classe moyenne, aux atrocités commises en Irak, à l’incapacité des soldats américains à faire diminuer la violence, au mépris de la morale et de la déontologie dans son plus proche entourage, à la montée de l’anti-américanisme dans le monde, bref, à l’échec d’une politique qu’il mène sans ciller, contre vents et marées depuis six ans, le président Bush vient de subir un rappel à la réalité pour le moins explicite.
Pendant une bonne partie de son mandat, il est vrai, le président s’est trouvé protégé, le traumatisme du 11 septembre ayant entraîné un quasi gel des contre-pouvoirs. Toute critique à l’égard de l’administration étant perçue comme un défaut de patriotisme, le Congrès, les médias, l’opinion publique et surtout les démocrates ont laissé les pleins pouvoirs à un président largement entouré d’idéologues. Et ce sont leurs fantasmes, dans lesquels le président Bush affiche une foi inébranlable, qui ont guidé l’administration dans sa politique internationale, qu’il s’agisse des armes de destruction massive, des liens entre Al Qaeda et Saddam Hussein ou encore l’idée néoconservatrice incroyablement naïve que la démocratie américaine est universellement exportable et nécessairement appelée à triompher des conflits les plus complexes.
Il a fallu un ouragan de force 5 pour que le rempart qui protégeait l’administration Bush se fissure enfin alors que les digues de la Nouvelle-Orléans s’effondraient. La démonstration d’incompétence dans la gestion de la catastrophe Katrina a déclenché une déferlante médiatique contre l’administration Bush, forçant le président à se défaire du directeur de la FEMA (agence fédérale de gestion de crises), Michael Brown et levant le tabou sur l’impossibilité de le critiquer. La remise en question de l’administration Bush est depuis montée en puissance, pointant les abus de pouvoir d’un président qui agit sans réel contrôle de ses décisions, même par les cours de justice qui ont fini par se rebeller contre le non-respect des droits constitutionnels des prisonniers et l’absence totale de supervision des programmes spéciaux du président.
George Bush, enfermé dans sa propre réalité, n’a pas varié d’un pouce dans son discours alors que tous les indicateurs étaient au rouge. Or si sa détermination forçait l’admiration des électeurs il y a deux ans, elle démontre aujourd’hui les dangers politiques d’une résistance exceptionnelle à l’épreuve des faits.
Il y a quelques mois encore, les analystes ne voyaient qu’une douzaine de sièges, au mieux, susceptibles de changer de camp, ne laissant aucun espoir de majorité à la chambre des représentants aux démocrates. Les Républicains se croyaient protégés par le verrouillage bien orchestré des circonscriptions grâce au redécoupage électoral et par l’avantage traditionnel des élus sortant dans ces élections. Mais la dégradation de la situation en Irak, la flambée des prix de l’essence, l’ambivalence à l’égard de l’immigration et les scandales de trop ont démontré les limites de la stratégie Karl Rove, conseiller du président et architecte de la campagne 2004. Et progressivement, ce ne sont plus 12 mais 20, puis 30, puis près de 50 sièges qui étaient susceptibles de basculer. Difficile de rassurer les électeurs en leur parlant de valeurs morales alors que les scandales de mœurs et de corruption éclaboussent l’administration. Les mesures contre le mariage homosexuel ont certes été adoptées mais, contrairement à 2004, n’ont pas drainé les masses dans les bureaux de vote. Difficile de rétablir la confiance des électeurs l’Ohio ou la Pennsylvanie alors que les emplois qualifiés et bien payés s’envolent par dizaine de milliers et le pouvoir d’achat se dégrade pendant que des lobbyistes s’enrichissent illégalement, en profitant de la domination sans partage des Républicains.
Cet échec n’était pourtant pas inéluctable, comme le démontre la victoire éclatante du gouverneur républicain Arnold Schwarzenegger en Californie. Celui-ci était au plus bas des sondages l’an dernier, après avoir convoqué une élection spéciale pour faire passer des mesures très conservatrices en court-circuitant le pouvoir législatif à majorité démocrate, une tentative de s’approprier la méthode Karl Rove qui s’est retournée contre lui. Mais Schwarzenegger a su admettre ses erreurs, s’asseoir à la table des négociations et regagner la confiance des démocrates et des électeurs en adoptant un mode de gouvernement bi-partisan. Peut-être fallait-il un M. Muscle pour convaincre George Bush que la force ne réside pas dans l’obstination…
Reste à savoir si cette cuisante défaite va réellement ramener le président Bush à la réalité. La question reste entière. La pression sera forte sur les démocrates pour tenter d’infléchir la politique étrangère et lancer des enquêtes sur les mensonges et pratiques de l’administration. Mais ils auront sans doute la prudence de ne pas multiplier les attaques comme l’avaient fait les Républicains entre 1994 et 1996 contre Clinton, de peur qu’un jeu trop partisan ne leur nuise. Et les nouveaux élus sont essentiellement des modérés (bluedogs democrats). Le pouvoir de la chambre des représentants en matière de politique étrangère reste de toute façon limité et risque d’être négocié contre le passage de lois intérieures très attendues par les démocrates. Le président risque surtout d’être contraint par son propre parti, notamment lorsque le rapport Baker-Hamilton sortira, proposant selon les échos publiés une stratégie de sortie de l’Irak pour l’armée américaine. Si la situation continue d’empirer d’ici à 2008 et que l’armée américaine est toujours enlisée dans le conflit, les Républicains s’attendent à perdre la présidentielle et le Congrès. Le sénateur John McCain, seul à proposer d’envoyer plus de troupes en Irak, ne serait suivi que par 15% de la population d’après les sondages de sortie des urnes (CNN), alors que 55% des électeurs souhaitent un retrait partiel ou total.
Cela dit, le président Bush n’a personnellement plus rien à perdre. Il lui reste deux ans de mandat, son vice-président ne sera pas candidat à la présidence et il peut tout aussi bien maintenir son cap, quitte à essuyer de belles confrontations avec le Congrès. La démission du ministre de la défense Donald Rumsfeld, réclamée par les démocrates et une partie des républicains, semble cependant être le premier signe d’une évolution de la politique du président Bush, un accusé de réception du changement de majorité au Congrès. Mieux encore, le choix de Robert Gates, proche de Bush père et familier de la question iranienne, laisse entrevoir la possibilité d’un retour vers une politique plus réaliste et moins idéologique.