Géopolitique au coeur de l’exode postcolonial
article de JEAN-DOMINIQUE MERCHET dans libération du lunid 17 mai 2010
La Question post-coloniale, une analyse géopolitiqued’Yves Lacoste
Fayard, 432 pp. 24 €.
L’air de ne pas y toucher, le géographe Yves Lacoste pose des questions dérangeantes dans son dernier livre consacré à «la question post-coloniale». Une question posée en France de manière «dramatique» et «compliquée»au travers de l’immigration, dont les émeutes de 2005 ont été, à ses yeux, un révélateur. Yves Lacoste constate que «le paradoxe français de l’immigration post-coloniale est qu’elle fut principalement algérienne, en dépit de la guerre qui venait de se dérouler en Algérie. Restent encore assez obscures les raisons pour lesquelles, malgré cette guerre et ses atrocités, des Algériens patriotes vinrent vivre en France peu après. Ce sont des questions que l’on évite toujours de poser […] et ce non-dit est l’une des raisons profondes pour lesquelles la question post-coloniale prend depuis peu la forme d’une crise politique grave».
Yves Lacoste connaît bien le Maghreb, il est né au Maroc il y a 80 ans, a enseigné en Algérie et il est le mari d’une grande ethnologue de la Kabylie. Il fut, par ailleurs, un militant anticolonialiste et a consacré plusieurs ouvrages au tiers-monde et au Maghreb. Il ne croit guère à l’idée communément répandue selon laquelle les Algériens auraient été «amenés de force» en France, au lendemain de l’indépendance de leur pays. Si émigration il y eut, c’est, selon le géographe, des conflits politiques internes à l’Algérie, entre les différentes tendances du mouvement national, avec le cas particulier des Kabyles. Revenant sur cette histoire, il parle de «déni des causes de l’exode post-colonial».
Son livre propose une relecture du colonialisme puis des luttes pour l’indépendance : une sorte de «manuel» historique, nourri d’une vie de réflexions et de lectures géopolitiques, qu’il entend opposer à l’enseignement dispensé dans le secondaire, trop imprégné, à ses yeux, des diatribes des«Indigènes de la République». Des thèses sur la «fracture coloniale» que critique et dénonce ce républicain convaincu.