Hérodote dans “Le Monde”
L’Amérique des ghettos urbains
Pour les centres urbains américains, la crise économique est une épreuve supplémentaire. Désertés depuis des décennies par la classe moyenne blanche, ils subissent de plein fouet l’effondrement du système financier. “
L’Amérique d’Obama “, à laquelle la revue Hérodote consacre un numéro entier, trouvera-t-elle une solution à cette crise urbaine ancienne, tenace, qu’amplifient l’éclatement de la ” bulle ” immobilière et la désindustrialisation ?
Cette revue, fondée par Yves Lacoste, se veut une ” revue de géographie et de géopolitique “. On y trouve des articles sur la politique étrangère du 44e président. Mais aussi des contributions sur l’Amérique des villes les plus originales.
Le géographe David H. Kaplan (Kent State University) rappelle, par exemple, que la crise des subprimes a pour foyer initial quelques quartiers bien précis de Saint Louis (Missouri), Minneapolis-Saint Paul (Minnesota), Akron (Ohio)… Dans ces quartiers et beaucoup d’autres, des prêts à taux exorbitants ont mis le feu aux poudres. Peuplés de Noirs et de Latinos peu au fait des règles du crédit hypothécaire, ils étaient une proie tentante pour les financiers peu regardants.
Ces minorités n’avaient pas accès aux prêts de ” premier ordre ” réservés à l’élite blanche, solvable, des périphéries urbaines. Pour les habitants de ces suburbs, le taux de remboursement dépassait rarement 8 %. Pour ceux des ” ghettos “, il pouvait atteindre 25 %. Voilà comment la machine infernale s’est mise en branle.
David H. Kaplan reproche aux banquiers leurs préjugés, sinon leur racisme. Il cite une étude du ministère du logement montrant que ces prêts destructeurs ont fait deux fois plus de victimes parmi les Noirs aisés que chez les Blancs du bas de l’échelle.
Cette ” ghettoïsation ” des subprimes illustre un mal plus profond de la société américaine, la crise de l’espace urbain. Barack Obama, ancien travailleur social de Chicago Southside, a promis d’y remédier. Il sait de quoi il parle. Depuis plusieurs décennies, les grandes villes américaines sont rongées par la pauvreté, la ségrégation raciale, la violence et l’impéritie des pouvoirs publics.
Géographe à l’université Paris-VIII, Allan Popelard s’attarde sur le cas de Detroit, berceau de l’industrie automobile. Depuis les années 1950, cette ville du Michigan a perdu la moitié de sa population. ” Shrinking City “, la ville qui rétrécit, est la seule métropole américaine à ne pas disposer de transports en commun reliant le centre aux suburbs. Et comme 33 % des familles n’ont pas de voiture… A ” Motor City “, autre surnom de Detroit…
La solution : penser Detroit et son agglomération comme un même tissu urbain. Malheureusement, écrit Allan Popelard, cette intégration ” reste un serpent de mer “. D’un côté, les élus de Detroit ont peur de partager le pouvoir. De l’autre, les représentants des suburbs ne veulent pas partager les richesses.
Cette impasse est une illustration supplémentaire des défis qui attendent Barack Obama, au-delà de ses premiers cent jours. Une politique de rénovation urbaine se mesure en décennies, rappelle, en parlant d’Harlem, Charlotte Recoquillon, doctorante à Paris-VIII. Trois maires de New York se sont attelés à sa réhabilitation : Ed Koch, Rudolph Giuliani et Michael Bloomberg. Les conflits d’intérêts n’ont pas manqué. Mais aujourd’hui il fait bon arpenter la 125e Rue, le coeur symbolique de l’ancien ” ghetto “. C’est dire s’il ne faut pas désespérer.
Bertrand Le Gendre
Hérodote
L’Amérique d’Obama
1er trimestre 2009, La Découverte, 192 pages, 22 ¤ © Le Monde