La Protection Civile en Italie bis (2) ou comment spéculer en déplaçant un sommet du G8
La Protection Civile est aussi impliquée dans les scandales liés aux chantiers publics destinés au G8 de juillet 2009, au départ prévu sur la petite île sarde de la Maddalena, puis déplacé dans les Abruzzes, malgré les travaux déjà avancés en Sardaigne.
Le 23 avril 2009, Silvio Berlusconi, un casque jaune de maçon bien visible vissé sur la tête, a annoncé sur ses chaînes de télé le transfert du sommet à l’Aquila, ville qui fut l’épicentre du séisme des Abruzzes, et outil rêvé pour le «Cavaliere» afin de soigner son image. En effet, sous prétexte d’une solidarité hautement symbolique avec les habitants de l’Aquila, il a pu ainsi prolonger l’attention des médias sur ce centre dévastée et mieux les détourner de ses problèmes avec la justice, mais aussi lancer la course aux marchés d’offres pour sa reconstruction, tout en y faisant converger les financements nécessaires à l’organisation de cet événement international.
Mais pour en revenir à l’ île de la Maddalena, essayons d’analyser quelles furent les conséquences de ce changement brutal de lieu. Avant de devenir un siège abandonné, elle a été le théâtre d’importants travaux. L’environnement a été lourdement remodelé et le trésor public local a été amplement mis à contribution, la faute à la réalisation de grandes infrastructures et la dépense de sommes d’argentconsidérables en un temps record.
Le sommet du G8 a été déclaré événement d’intérêt national et placé sous gestion de la Protection Civile, qui devrait s’occuper d’ordinaire des cataclysmes et des autres urgences environnementales.
Une telle décision a permis l’application de procédures «spéciales» pour attribuer les financements et réaliser les travaux. Il n’y a pas eu par exemple d’appel d’offres nécessaire pour l’adjudication de ces travaux, ni pour la conduite des chantiers, puisque la Protection Civile peut éviter les longues et complexes démarches garantissant la libre concurrence et la transparence de ce genre d’opérations.
Le Non-G8 à la Maddalena a coûté la remarquable somme de 327 millions, dont 209 ont été dépensés pour les travaux de démolition, reconstruction et rénovation des édifices – il fallait entre autres traiter l’amiante présente dans les toits et fondations des immeubles sélectionnés. Les analyses d’impact environnemental n’ont pas été accomplies sous prétexte de la vitesse avec laquelle il fallait agir. Sous les directives de la Protection Civile, des espaces, qui étaient la propriété de la Région, ont été vendus à des entreprises privées pour des prix dérisoires. Les bâtiments ont ainsi été érigés sans consultation préalable de plans urbains, et des terrains à la base non constructibles ont même été déclarés “aptes”. En raison de la situation d’urgence, les dépenses ont dépassé les coûts initialement prévus. C’est la Région Sardaigne qui a avancé cet argent, destiné a priori à un événement qui aurait dû créer de nombreux emplois et permettre une reprise économique. Mais au final, la Région elle même a été complètement exclue des procédures décisionnaires, les habitants directement concernés par les travaux n’ont pas été inclus à participer non plus.
Le chef de la Protection Civile, Guido Bertolaso, et ses hommes ont décidé seuls qui seraient les bénéficiaires de ces 327 millions d’euro, sans avoir compte à rendre à personne. Les chantiers ont ainsi été conduits par des entreprises privées choisies sur des critères plutôt flous. L’origine des matériels, les procédures utilisées et les bilans ne sont pas vérifiables non plus. Les travaux ont été réalisés à grande vitesse et ont tous bénéficié de dérogations vis-à-vis des normes urbaines et environnementales en vigueur. Sans qu’on sache bien comment, des énormes édifices ont poussé tels des champignons sur l’île, avant d’être abandonnés, suite à la décision de déplacer le G8 dans la Péninsule.
Aujourd’hui, ces chantiers sont encore ouverts mais plus personne n’y travaille. Les constructions en partie terminées se sont irrémédiablement détériorées et celles déjà achevées restent vides. Les bâtiments qui auraient dû accueillir le Président Obama et les plus importants chefs d’État sont aujourd’hui très abimées, à l’instar de la «maison sur l’eau», une salle de conférences imaginée par le fameux architecte italien Stefano Boeri dont la construction a coûté environ 52 millions, et victime de nombreuses infiltrations. Il y a aussi un ex-hôpital militaire transformé en hôtel de luxe, qui reste inutilisé et décrit comme «une structure spectrale, une boîte vide, réchauffée pendant la journée et illuminée la nuit»
. Cette métamorphose a coûté 75 millions, alors que chacune des 101 chambres ont couté 742 000 euro… Mais actuellement, personne ne veut racheter cet hôtel et tout le mondeest resté sourd à l’appel d’offre de septembre 2009.
Alors, qui a le devoir politique de gérer telle situation et trouver des solutions? Malheureusement, il y a de fortes chances pour que ce soit les mêmes personnes qui ont fait d’importants profits, économiques et politiques, à l’occasion du «G8 manqué» de la Maddalena.
Cet événement est la représentation emblématique de la façon dont sont gérés généralement les grands travaux en Italie. Et on peut y voir une démonstration de l’efficacité de la «machine de la Protection Civile» quand il s’agit de s’occuper de business des urgences.
Depuis, Bertolaso fait l’objet d’une enquête privée et est accusé de corruption, au même titre que ses collaborateurs et de nombreux entrepreneurs. Deux procès ont déjà été ouverts, et il a été montré que le marché d’offres s’est déroulé à base d’échanges de faveurs financières, immobilières et sexuelles
. Les enquêtes sont actuellement en cours, le degré de corruption n’a pas encore été définitivement déterminé et on ne sait pas quelles sont toutes les personnes engagées dans ce scandale. Pour le moment, la seule certitude est que l’Italie est l’unique pays à avoir organisé un G8 au prix de deux.Et que sur l’île de la Maddalena, où manquent les infrastructures les plus basiques, où règnent de graves problèmes d’eau potable et où les égouts ne sont pas aux normes, les hôtels de luxe restent vides. Et attendent.