La Protection Civileen Italie, ou le business des urgences
De la gestion des catastrophes à la gestion des profits
La Protection Civile italienne, de ressource pour le Pays, est devenue une véritable «usine à urgences», qui utilise les exigences environnementales et l’intérêt collectif et citoyen pour établir un état permanent de dérogation aux normes ordinaires, contrôler le territoire, gérer financements et appels d’offre et obtenir des profits importants.
Pendant des décennies, la gestion des secours en Italie relevait du Ministère des Travaux Publics. Suite au tremblement de terre de 1976 dans le Frioul et aux autres catastrophes environnementales des années 70, est venue la nécessité de mettre en place une structure spécifique, et de créer une autorité compétente sous la forme de la Protection Civile. Au commencement, ladite Protection Civile était un établissement public autonome, avant d’être intégrée au Ministère de l’intérieur puis placée sous le contrôle direct du Conseil des Ministres. Et si au départ son rôle se limitait à la prévention, à la prévision et aux interventions suite aux inondations, tremblements de terre, glissements de terrain, coulées de boue, ses compétences ont ensuite été augmentées. Aujourd’hui, plus que de s’occuper de la gestion des grandes catastrophes, elle se charge surtout de la gestion de grosses sommes d’argent. On trouve ainsi placé sous son pouvoir et domaine d’intervention des événements qui devraient être hors de sa compétence, comme l’organisation du G8, des mondiaux de natation, ou encore des funérailles du Pape Jean Paul II! Sa priorité semble donc être de s’assurer la gestion directe des appels d’offre pour les travaux de reconstruction, les préparatifs de grands événements, les œuvres publiques. Pour mieux pouvoir spéculer sur de tels évènements, elle peut se servir de sa faculté à promulguer des décrets sur mesure, qui lui permettent de se soustraire au contrôle de la Cour des Comptes, d’agir au dessus des normes en vigueur, d’échapper aux lois constitutionnelles. Depuis 2001 – quand Bertolaso en est devenu le directeur –, la Protection Civile a par exemple promulgué, sous prétexte de l’urgence, quelque sept cents ordonnances en dérogation à tous les codes pour les appels d’offre, contre les lois de protection de l’environnement, sans respect des plans d’aménagement urbain ni des normes concernant la santé, la sécurité des travailleurs ou la légalité des marchés…
En utilisant l’armée, elle à aussi la faculté de militariser des zones entières du territoire, déclarées comme sites d’intérêt stratégique national, et de les transformer en zones de “non-droit-ordinaire”, d’accès interdit, de “non-démocratie”. Pour consolider ces pratiques qu’elle applique déjà, il existe un décret de loi, daté du 17 décembre 2009, mais mis de côté et actuellement en voie de discussion. Ce décret permettrait à la Protection Civile une légitimation en tant que véritableentreprise à capital public discipliné par le droit privé, voté au profit et au contrôle du territoire. Et elle pourrait de cette façon accumuler des profits, détenir immeubles et actions, tout en ayant la faculté de ne pas divulguer ces bilans et de dissimuler l’information. Avec des simples ordonnances, elle pourrait même prendre des décisions d’intérêt national. Le gouvernement souhaiterait vivement la création de grandes et invincibles entreprises privées se nourrissant de l’argent public. En attendant sa privatisation officielle, la Protection Civile se comporte déjà comme une “usine à fric”, en se servant de sombres événements, tels le traitement des déchets à Naples ou le récent tremblement de terre qui a meurtri les Abruzzes, comme de véritables laboratoires pour mieux huiler ces mécanismes spéculatifs. Avant tout, l’utilisation propagandiste des évènements et le manque de transparence, le clientélisme, la corruption, le non-respect des normes d’aménagement, les accords avec des entrepreneurs souvent liés à des organisations louches préparent d’autant un terrain idéal à la mainmise des Mafie. Dans cet état permanente d’urgence, les acteurs institutionnels se désengagent des responsabilités, et il existe un fort manque des contrôles et de transparence : la frontière entre légal et illégal est estompée, voire définitivement brisée.
Dans un tel cadre, la Protection Civile représente un instrument très pratique aux mains de Berlusconi car son fonctionnement s’aligne sur la stratégie politique du Premier Ministre : le pouvoir législatif confisqué par l’exécutif en quête d’immunité et en fugue devant la justice, une structure autoritaire du pouvoir, un contrôle médiatique, une idéologie caractérisée par la recherche perpétuelle d’intérêts économiques.