La victoire du Hamas : tentation obscurantiste ?
Introduction
Mercredi 25 janvier 2006, pour la deuxième fois de leur histoire, les Palestiniens de la Bande de Gaza, de Cisjordanie et de Jérusalem-Est occupée, ont élu les 132 membres du Conseil législatif palestinien (CLP), une moitié à la proportionnelle et l’autre par circonscriptions. Le Hamas, mouvement de la résistance islamique (Harakat-ul-Muqâwamat-il-‘Islâmiyyah), a remporté à l’issue de ce scrutin une victoire écrasante contre le Fatah (74 sièges contre 45), principal parti de l’OLP [1].
Les élections, tenues sous occupation, ont suscité une très forte mobilisation de la population palestinienne. Plus des trois-quarts des électeurs se sont rendus dans les bureaux de vote : selon la commission électorale centrale palestinienne (CECP), le taux de participation est établi à 77,6 % des électeurs inscrits [2]. Les quelque 900 observateurs internationaux ont par ailleurs témoigné de la régularité du scrutin.
Le tableau ci-dessous montre la distribution finale des sièges du CLP :
Si l’on ajoute encore les quatre candidats indépendants ayant bénéficié du soutien du Hamas, la liste « Changement et réforme » a de facto remporté, au total, 78 sièges.
La différence en nombre de voix entre les deux principales listes rivales n’est pourtant pas si prononcée : selon les chiffres définitifs de la CECP, le Hamas recueille 44,45 % de la totalité des suffrages contre 41,43 % pour le vieux parti fondé par Yasser Arafat. Le système électoral et les dissensions internes ont été deux facteurs aggravants pour le Fatah. Au scrutin par liste, le Hamas ne devance que d’une courte tête le Fatah : 29 mandats contre 28. Mais c’est localement que le Mouvement de la résistance islamique a fait la différence, grâce à l’éclatement des votes Fatah.
Il reste qu’avec une telle répartition des sièges, le plébiscite populaire en faveur du Hamas est sans appel. Même les deux villes les plus libérales de Cisjordanie n’ont pas résisté à la progression du parti islamique (voir la carte ci-dessous). A Ramallah, le mouvement remporte quatre des cinq sièges tandis qu’à Bethléem, dont plus de la moitié des habitants sont chrétiens, le mouvement conquiert deux des quatre sièges. Il faut mentionner que les maires de ces deux villes, chrétiens et membres du Front populaire de libration de la Palestine (FPLP), ont gagné les élections municipales de 2005 avec l’appui du Hamas. A contrario, il est remarquable que le Fatah n’ait conservé que le seul siège réservé à la minorité chrétienne dans la « capitale politique » Ramallah. A Hébron, le Hamas maintient sa suprématie et laisse le Fatah sans le moindre représentation parlementaire.
LES ELECTIONS DU DEUXIEME CONSEIL LEGISLATIF PALESTINIEN – 25 JANVIER 2006
Comment un mouvement si jeune comme le Hamas a-t-il pu se tailler la part du lion sur le paysage électoral palestinien ? Quels en sont à la fois les facteurs et le sens ?
Premier élément de réponse à ces questions, il nous semble que c’est à l’aune de la percée des pragmatiques au sein du mouvement de résistance islamique qu’il faut interpréter le résultat de ces élections ; déconstruisant alors le discours d’une simple et univoque radicalisation du paysage politique palestinien, il faut au contraire tenter de comprendre sa recomposition, à la fois au travers de la décadence du Fatah et de l’émergence d’un nouveau visage du Hamas sur la scène publique.
Rupture avec l’Autorité Palestinienne (AP) et sa ligne politique
L’échec successif des accords signés
Si la majorité de la population palestinienne a accepté le processus d’Oslo, c’est parce qu’elle croyait que les Accords allaient amener la paix et la sécurité dans la région, en accordant aux Palestiniens le droit à l’autodétermination au travers de la construction d’un Etat souverain dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale et la reconnaissance du droit au retour des réfugiés. Tel, du moins, était le programme annoncé par l’Autorité Palestinienne. Les Palestiniens auront pourtant pu confronter les faits aux discours : en dix ans, leur vie quotidienne n’a cessé de se détériorer. Cela est vrai tant du point de vue de la libre circulation des biens et des personnes que sur le plan de la politique de colonisation et d’annexion que fige le tracé du « mur de sécurité ». A cela s’ajoutent encore l’invasion permanente des villes palestiniennes et l’arrestation de milliers des Palestiniens par l’armée israélienne. Loin d’un futur prometteur, s’est installé en Palestine le sentiment profond d’une disparition des perspectives d’une solution négociable. Pour beaucoup de Palestiniens, la situation précédant 1993 semble même meilleure que celle vécue de facto depuis.
Pour Jean-François Legrain, l’échec du Fatah doit être interprété comme une profonde remise en cause d’une certaine approche de la question nationale. On ne saurait omettre en effet que le parti de Yasser Arafat avait été au cœur de la construction de l’identité palestinienne et le moteur de la lutte de libération nationale. Une lecture pertinente de l’actuelle situation politique en Palestine serait impossible sans comprendre que l’injonction internationale à toujours plus de concessions sans contreparties – à Oslo, Charm el Cheikh, Le Caire puis Taba, etc. – a été ressentie comme une dévaluation de l’identité et de la cause nationale à laquelle l’AP n’a pas su résister. Pour beaucoup, une telle dérive défaitiste était devenue inacceptable.
Selon Pierre Stambul [7], vice-président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) :
Les accords d’Oslo auraient dû aboutir rapidement à la fin de l’occupation, au démantèlement des colonies et à la création d’un Etat Palestinien. Or, entre la signature de ces accords et l’assassinat d’Itzhak Rabin, plus de 50000 nouveaux colons se sont installés. Toutes les négociations qui ont suivi ont eu pour but de faire accepter à l’autorité palestinienne de reconnaître les annexions et d’accepter de limiter l’Etat Palestinien à des bantoustans reliés par des tunnels. Sur toutes les questions essentielles : Jérusalem, les colonies, le droit au retour des réfugiés, les gouvernements israéliens n’ont jamais bougé. Ils n’ont eu de cesse que d’exiger que l’occupé garantisse la sécurité de l’occupant. Le nombre des prisonniers est toujours impressionnant (8000) ce qui signifie que, même sur ce point, les accords d’Oslo ont été violés.
L’impasse des négociations aurait sans doute pu être surmontée si l’opinion publique palestinienne n’avait pas perçu le Fatah comme un instrument aux mains de gouvernement israélien. Depuis le déclenchement de la deuxième Intifada en septembre 2000, le processus de paix s’est en effet résumé à une coordination sécuritaire, aux seuls bénéfices des Israéliens : l’arrestation de centaines de militants par la police palestinienne (voire leur livraison aux services israéliens), dont le propre Secrétaire Général du FPLP écroué depuis quatre ans dans une prison sous contrôle américain et britannique.
Corruption
Les sondages réalisés avant les élections soulignent également le discrédit moral qui pesait sur les candidats du Fatah déjà députés au CLP ou membres des services d’ordres ; entachés d’accusations de corruption, ces candidatures-là souffraient d’un important déficit de soutiens. La chercheuse Aude Signoles [8] explique au journal La Croix :
Très divisé, [le Fatah] a très mal géré ces élections. En imposant en tête des listes électorales des personnalités réputées corrompues, le Fatah a creusé sa propre tombe, encourageant une multitude de candidatures indépendantes au sein des ‘dissidents’. Son autodestruction a ouvert un boulevard pour le parti islamique [9].
Le sondage post-électoral daté de février montre en effet que 43% des électeurs ayant voté pour les listes du Hamas considèrent la lutte contre la corruption comme une thématique de première importance [10]. Plusieurs indices pouvaient laisser pressentir que cette dernière occuperait le devant de la scène électorale ; les assassinats par des factions palestiniennes de plusieurs responsables accusés de corruption n’en sont pas des moindres. La « liquidation » de Moussa Arafat, ancien chef de la sécurité palestinienne à Gaza et neveu de Yasser Arafat, revendiqué par des activistes des comités de résistance populaire[Les Comités de résistance populaire regroupent principalement d’anciens membres du Fatah, le mouvement accuse les dirigeants palestiniens de corruption.]], est à ce titre exemplaire. Abou Abir, un porte-parole du groupe, déclarait ainsi dans un tract :
Nous avons exécuté la volonté de Dieu et appliqué la loi parce que [Moussa Arafat] a tué des gens, ordonné des opérations contre les combattants et avait un lourd passif en matière de corruption . Nous avons éliminé le collaborateur Moussa Arafat car nous avons des dossiers qui prouvent ses très nombreuses malversations ainsi que celles de son fils qui est interrogé et sera jugé selon la loi de Dieu.
L’assassinat de ce responsable, considéré par beaucoup de Palestiniens comme un symbole de la corruption, est une illustration du mécontentement qui se généralisait alors dans la Bande de Gaza contre la direction palestinienne. Détournements du bien public, rançonnement par certaines institutions sécuritaires faisant partie de l’AP, privilèges accordés aux responsables de cette autorité, voire même implication de certains hauts fonctionnaires dans certains marchés douteux avec des entreprises ou des responsables israéliens : cette mauvaise gestion publique faisait l’objet de discussions quotidiennes chez les Palestiniens qui attendaient l’occasion pour marquer leur volonté de changement. Dans un sondage réalisé le 17 juillet 2004 par Al-Jazeera, 70,4% des palestiniens apparaissaient ainsi d’accord avec le kidnapping de hauts fonctionnaires jugés corrompus – seul moyen, selon eux, de lutter contre la corruption face à l’inaptitude de l’AP.
En axant sa campagne sur la lutte anti-corruption, le mouvement de la résistance islamique ne s’y est pas trompé. Celle-ci figure en effet parmi les 19 points doctrinaires du parti :
La corruption affaiblit le front palestinien et mine l’unité nationale, les enquêtes ouvertes dans des affaires de corruption [seront suivies] pour s’assurer que la justice punisse les corrompus. Il faut assurer la transparence, développer la décentralisation et trouver un équilibre avec le pouvoir de l’Autorité [palestinienne], réviser les procédures d’embauche pour garantir l’égalité d’accès aux emplois publics, privilégier les compétences pour lutter contre les interférences et les embauches partisanes [11].
Chaos sécuritaire
On ne saurait, enfin, omettre comme dernier facteur de décadence du Fatah, sa responsabilité dans l’augmentation sans précédent des violences intra-palestiniennes. Deux facteurs ont en effet contribué au chaos sécuritaire : l’invasion de la Cisjordanie (2002) d’abord, dans la mesure où les barrages militaires et les attaques répétées de l’armée israélienne contre le dispositif sécuritaire de l’AP (bâtiments, prisons et même la Mouqâta) n’ont eu de cesse d’entraver le fonctionnement des institutions ; la mort d’Arafat (novembre 2004) ensuite, comme point de départ d’un conflit fratricide pour le pouvoir au sein du Fatah.
Ce dernier élément est central car cette rivalité, si elle existait auparavant, était contenue par Yasser Arafat. Sans la figure tutélaire du mouvement, la compétition a pris une tournure tragique. Des personnalités de l’AP sont apparues sur la scène politique réclamant plus de pouvoir et formant autour d’elles des groupes armés qui s’affrontent entre eux. L’enlèvement le 16 juillet 2004 de Ghazi Jabali, le chef de la police de Gaza, par des hommes armés proches de la faction du Fatah fidèle à Arafat, en est une illustration.
Ces heurts entre services d’ordres ont envahi les rues des principales villes palestiniennes : attaques contre les restaurants, agressions de journalistes, assassinats, prises d’otages – les violences envers la presse se sont multipliées de manière inquiétante depuis septembre 2003 dans les territoires palestiniens, notamment à Gaza. Aggravées par le climat de non-droit, ces violences ont toutes été causées par des règlements de comptes politiciens et des luttes de clans au sein du Fatah.
De nombreux observateurs soupçonnent ainsi Mohammed Dahlan, l’homme fort de Gaza, ancien chef de la police préventive et élu dans la circonscription de Khan Younes, d’être un des principaux pompiers pyromanes. Dahlan est en effet un vieux rival de Ghazi Jabali et de Moussa Arafat. Ses hommes – notamment Samir Mesharawi (son adjoint, battu à Gaza ville) – et lui se sont en effet attachés à occuper les postes clefs de l’appareil sécuritaire, afin de prendre le contrôle de la bande de Gaza lors du retrait israélien. Yasser Arafat a soutenu son cousin dans sa rivalité avec Dahlan. Parallèlement, des supporters du plan de désengagement d’Ariel Sharon, ainsi que des diplomates occidentaux, ont placé leurs espoirs en Dahlan, pour incarner une nouvelle forme de leadership à Gaza, indépendante d’Arafat. L’assassinat de Moussa Arafat en 2005, fait partie de cette rivalité du pouvoir. Selon les analyses et les rumeurs, Dahlan est impliqué de l’assassinat de son rival Moussa Arafat.
L’implication de responsables dans ces violences (ministres, chefs de sécurité, membres du CLP) qui sont représentés à l’AP a provoqué la colère de la population palestinienne. Parce qu’il a créé « des gangs qui sèment le désordre dans la bande de Gaza [12] », certains membres du Fatah accusent ainsi Dahlan d’être responsable de leur défaite électorale. Jean-François Legrain note queLa totalité des officiers généraux chargés, à un moment ou à un autre, des forces de sécurité ont été écartés, à la seule exception de Muhammad Dahlan, chef de la sécurité préventive devenu ministre – mais les éventuelles fraudes devront être évaluées. Ses confrères à la tête de la sécurité préventive, tout comme Amin al-Hindi (Gaza), ancien chef des renseignements généraux, ou le responsable des budgets de la sécurité auprès de Yasser Arafat ont été rejetés par la voix populaire [13].
Et de fait : trois seulement des vingt-deux anciens ministres candidats dans les circonscriptions ont été élus.
Les autres partis politiques ont d’ailleurs fait campagne de la critique de l’incapacité de l’ANP à contrôler ses hommes. Pour un responsable du FPLP, Rabah Mouhanna, « les groupes responsables de tels actes sont normalement affiliés à des responsables ou à des symboles de l’Autorité palestinienne ou de la sécurité et veulent ainsi satisfaire leurs exigences illégales [14] ».
Ce chaos interne, qui a fait de nombreuses victimes, a provoqué un vif sentiment d’insécurité chez les Palestiniens.
Le vote pour le Hamas pour son projet religieux :
Généalogie de la tendance pragmatique au sein du Hamas
En 1995, Cheikh Yassine, fondateur spirituel du Hamas, provoquait un séisme politique en Palestine, en proposant d’accepter de vivre en paix aux côtés d’Israël, dès lors que l’ensemble des Territoires Occupés depuis 1967 serait libre de l’occupation israélienne [15].
La présentation puis la victoire du Hamas aux élections législatives ne sont pas étrangères au processus déclenché il y a plus de dix ans par le Cheikh Yassine.
Rompant avec la ligne traditionnelle du Hamas qui consiste à réclamer la construction d’un Etat islamique sur l’ensemble de la Palestine historique, la déclaration unilatérale du Cheikh Yassine a en effet provoqué un débat d’une ampleur inédite au sein du mouvement. Les conférences et réunions se sont multipliées parmi les dirigeants polarisant le Hamas autour de deux positions a priori inconciliables : la première s’opposant au leader spirituel et privilégiant la stratégie militaire des attentats-suicides pour parvenir à la destruction de l’Etat d’Israël, la seconde soutenant le principe de deux Etats et remettant en cause l’efficacité militaire, politique et symbolique de ce type d’opérations.
L’assassinat le 22 mars 2004 du Cheikh Yassine par l’armée israélienne a un temps laissé croire que l’option pragmatique devrait être enterrée avec l’homme symbole du Hamas, et ce d’autant plus que lui succédait alors le docteur AbdelAziz Al Rantissi, considéré comme la figure la plus radicale du mouvement. Bien que foncièrement opposé à l’idée d’un Etat palestinien dans les Territoires Occupés de 1967 comme à tout type de négociations avec les Israéliens, ce dernier fait cependant face à un débat acharné et finit par adopter une position de compromis. Il déclare ainsi le 26 janvier 2004 à Reuters, « les discussions au sein du Hamas sur une acceptation provisoire d’un État palestinien limité à la bande de Gaza et à la Cisjordanie ne sont pas nouvelles, mais le mouvement a pris une décision à ce sujet. Il a précisé que la trêve pourrait durer 10 ans, mais pas plus de 10 ans ».
Le charismatique responsable politique est néanmoins à son tour assassiné en avril 2005. Un nouveau leader est désigné mais reste anonyme, pour échapper à la promesse de liquidation faite par le gouvernement israélien. Khaled Mashaal [16], issu des rangs pragmatiques, prend finalement le relais à l’extérieur en devenant chef du bureau politique du Hamas.
L’instabilité au sommet du mouvement de la résistance islamique semble donc avoir plutôt profité à l’aile modérée dont fait également partie Ismaïl Haniyeh [17], actuel premier ministre du nouveau gouvernement issu des élections législatives – celui-ci a d’ailleurs longtemps joué le rôle de médiateur entre les radicaux du Hamas et les ex-dirigeants de l’Autorité Palestinienne [18].
Et de fait, en février 2005, le Hamas accepte la Hudnah, la trêve. Ismaïl Haniyeh n’y est pas étranger ; il a même joué un rôle-clé dans l’acceptation par le Hamas comme par les factions palestiniennes d’une trêve des attaques anti-israéliennes.
La percée du mouvement de la résistance islamique aux élections municipales de 2005 – il remporte alors un tiers des conseils municipaux – renforce encore les modérés et finit de convaincre le parti islamique de déposer pour la première fois une liste de candidats aux législatives. Ayant refusé de participer aux élections législatives de 1996, le Hamas n’avait en effet jamais été représenté au CLP. Cette décision est donc en soi historique : elle constitue en effet un premier pas vers la reconnaissance du processus de paix initié en 1993, dans la mesure où le processus électoral se tient sur la base de ces Accords signés entre l’OLP et le gouvernement israélien.
Ce renversement du rapport de forces au sens du Hamas doit cependant être relativisé. Fruit d’un consensus fragile, la prédominance des pragmatiques ne peut se stabiliser sans intégrer dans le processus politique un certain nombre de figures emblématiques de l’aile dure du parti. La désignation de Mahmoud Zahar, un des principaux dirigeants du mouvement islamique à Gaza et proche de Al Rantissi, comme chef du groupe parlementaire du Hamas au Conseil législatif et ministre des affaires étrangères est à ce sujet éclairante.
Vote religieux ou vote politique ?
La victoire du Hamas intervient dans un contexte de réislamisation des sociétés moyen-orientales à l’œuvre depuis la révolution iranienne de 1979, processus qui s’est accentué avec le recul des gauches arabes panarabistes, orphelines de l’influence de l’Union Soviétique.
Il convient pourtant de noter que l’arrivée des mouvements islamiques en Palestine est tardive, comparée au reste du monde arabe. Le Hamas et le Jihad Islamique restent, aux yeux de la société palestinienne, de jeunes mouvements sur la scène politique nationale.
La réislamisation de la société palestinienne, particulièrement visible dans l’espace public depuis le début de la seconde Intifada, implique-t-elle pour autant que le vote pour le Hamas relève du vote religieux ? Traduit-il la volonté de construire un Etat islamique et d’instaurer la charia comme principe de la loi ?
La plupart des observateurs de la vie politique palestinienne récusent cette idée et considèrent au contraire que l’élection du Hamas a prioritairement une dimension sociale. Selon Pénélope Larzillière [19]
Les facteurs de ce vote ne sont pas religieux. Le Hamas, c’est avant tout une mise en vocabulaire religieux d’enjeux sociaux et nationalistes. Les Palestiniens ont voté pour les enjeux sociaux, pour une gestion intègre, contre la corruption et pour des gens dont ils ont eu l’occasion de tester, à travers le réseau caritatif, leurs aptitudes à gérer les problèmes quotidiens des Palestiniens. Les jeunes sont séduits par la fierté que leur redonne le Hamas. Cela ne veut pas dire qu’ils croient que c’est une option politique.
Il y a eu de nombreux exemples d’alliances entre islamistes et chrétiens : un député chrétien de Gaza a été élu avec les voix des islamistes, le maire de Ramallah, une femme chrétienne élue également avec les voix des islamistes, a annoncé qu’elle formerait son conseil municipal avec les islamistes… Chrétiens ou islamistes, ils sont palestiniens : ils ont la même vie, en ont eu assez de la gestion du Fatah, vivent cette aggravation de la vie quotidienne [20].
Le sondage du « Jerusalem Media & Communication Center -JMCC », publié le 20 février, montre ainsi que seuls 18.8 % des électeurs affirment avoir voté pour le Hamas pour des raisons religieuses et, de façon plus surprenante encore, seuls 11.8 % l’ont choisi pour son ordre du jour politique.
Cette dernière donnée prouve à quel point ce n’est pas le programme politique du Hamas qui représente aujourd’hui 60 % de la société palestinienne, mais bien une masse hétérogène de mécontents vis-à-vis de l’Autorité palestinienne, du processus de paix et de la politique israélienne d’annexion. Consciente de ce fait, l’aile pragmatique du Hamas aujourd’hui au pouvoir, a ajourné son projet islamique, le temps au moins de gagner la confiance des gens en mettant fin à la corruption et au chaos sécuritaire.
Preuve en est la présentation sur leurs listes de candidats chrétiens, amenant une partie importante des chrétiens à voter pour le Hamas, à titre exemple, Hussam Tawil, un chrétien de Gaza, élu avec le soutien revendiqué du Hamas. La ville de Ramallah, connue comme étant la plus libérale et se distinguant pour sa minorité chrétienne, a ainsi largement voté pour le mouvement islamique : ce dernier recueille 70% des voix dans le quartier « Al-Massioun » alors même que 50 % sont des chrétiens [21]. L’article du journal La Croix paru le 30 janvier, évoque cette question, en observant que « le résultat des élections a surpris sans inquiéter une ville qui s’enorgueillit d’être la plus libérale des Territoires ». Dans un entretien, Bernard Sabella, chrétien élu député au CLP sur la liste du Fatah, insiste sur la nécessité de répondre aux besoins vitaux des Palestiniens et de laisser une chance au Hamas de montrer ce dont il est capable. Répondant à la question « les chrétiens sont-ils inquiets de l’arrivée du Hamas au pouvoir ? », il répond
Pour l’instant, chrétiens et laïques palestiniens ne sont pas inquiets. Même si le Hamas voulait imposer la loi islamique, il ne peut pas le faire sans prendre en compte la réalité multi religieuse de la Terre sainte. Jusqu’à maintenant, les propos du Hamas sont encourageants. Khaled Mechaal (chef politique du Hamas, en exil) a dit à Damas avant-hier, « nous respectons les Chrétiens ». Il faut respecter le multiculturalisme politique, il faut essayer de former une armée en incorporant les brigades Ezzedine Al-Qassam. À ce propos, je n’accepte pas les menaces américaines de bloquer le financement de l’Autorité palestinienne, car cet argent est destiné au peuple palestinien et non au Hamas [22] ».
Il faut par ailleurs souligner à quel point les priorités des Palestiniens sont différentes de 1996, lorsque la construction de l’Etat, alors pressentie comme imminente, était le principal point à l’ordre du jour. Depuis le début de la seconde Intifada, les premières revendications portent sur le retrait de l’armée israélienne des villes palestiniennes, la libre circulation entre les villages et les villes, le démantèlement des check-points et l’amélioration de la vie quotidienne. Bernard Sabella le montre bien en affirmant que
[Le Hamas] a gagné parce qu’il répond aux besoins sociaux, éducatifs et médicaux des Palestiniens. J’étais dans un village de Cisjordanie où il n’y a pas d’ambulance. Or cela prend près d’une heure et demie pour emmener une femme qui va accoucher à l’hôpital à Ramallah. Les Palestiniens sont inquiets quand le mur de séparation coupe leur village en deux ou que les négociations n’aboutissent pas avec Israël. L’important est de répondre à leurs préoccupations. Ils veulent une période de calme. Ils désirent que le Hamas continue à assurer les services et, en même temps, il va falloir trouver une formule pour aboutir à une paix temporelle avec Israël.
Le journal Le Monde [23] montre également les sentiments des gens après la victoire écrasante de Hamas,
La société palestinienne est sereine. Souvent “surprise”, parfois “choquée”, quelquefois “optimiste”, mais jamais”inquiète”. En clair, elle ne regrette pas d’avoir offert au Mouvement de la résistance islamique (Hamas) une victoire écrasante lors des élections législatives du 25 janvier. Le soulagement de s’être débarrassée pour un temps de l’inefficace hégémonie du Fatah balaie les rares inquiétudes soulevées par l’arrivée des islamistes aux commandes des territoires palestiniens occupés. Sur le plan politique, législatif ou social, les Palestiniens paraissent prêts à encaisser le choc Hamas et, quelle que soit leur origine confessionnelle ou politique, ils ne croient pas au risque de “talibanisation” ou de dérive fondamentaliste à l’iranienne. La société palestinienne n’est pas entrée à son insu dans une phase d’islamisation accélérée. Outre les déçus du Fatah, des laïques et des chrétiens ont donné leurs voix au Mouvement et, quoi qu’en disent certains de ses élus, tous ne souhaitaient pas, avec ce vote, introduire “plus d’islam” dans leur quotidien ».
A l’heure d’aujourd’hui, la société palestinienne est très loin de l’idée de l’application de la charia, la loi islamique. Selon l’enquête d’opinion, réalisée par l’institut privé Near East Consulting, et publiée par le journal L’Humanité [24], seulement 3 % estime que le Hamas doit oeuvrer à l’application de la charia.
Dans la ville de Qalqilya, connue comme le foyer de Hamas depuis l’éclatement de l’Intifada et où tous les sondages avait donné une écrasante victoire du mouvement de la résistance islamique à l’instar des élections municipales de 2005 (seulement huit mois plus tôt), celui-ci a connu une défaite cuisante : seule exception avec Rafah à l’échelle nationale, aucun député de cette formation n’a été élu. Ce résultat est un indicateur important car la ville avait servi de laboratoire politique au Hamas – interdiction des événements culturels, pression morale pour l’imposition de la stricte tenue islamique, etc. Leur débâcle électorale aux législatives met en évidence le refus des Palestiniens d’un tel modèle. M. Bilal Shafi [25] commente ainsi dans un entretien le poids dans cette défaite, de la déception des habitants de Qalqilya suite à l’annulation du concert de ‘Amar Hassan, jeune palestinien arrivé second à la Star Academy arabe :
Même les islamistes ont la télé et Internet chez eux. Quand la moitié des Palestiniens votent pour choisir le vainqueur de Star Academy, vous pensez qu’il n’y a pas de gens du Hamas parmi eux ? Ils ont voulu imposer leurs vues, ils ont été battus.
Les droits des Femmes
La victoire du Hamas n’est pas perçue de la même manière par les femmes en Cisjordanie que par celle des Gaza. Rima Tarazi, chrétienne et présidente de l’Union Générale des Femmes Palestiniennes à Ramallah, assure ainsi
Je n’ai pas peur du Hamas. Ses membres ne sont pas des talibans. On parle beaucoup de leur intention d’appliquer la charia, le droit islamique, à tous les aspects de la vie. Mais, en fait, lorsque l’on y regarde de près, on s’aperçoit que les contradictions entre ces principes et les lois qui existent déjà en Palestine ne sont pas très grandes. Les médias exagèrent le problème posé par le Hamas. Toutes les couleurs politiques seront représentées au Parlement et ce sera bien. C’est la démocratie. Cela redonnera de la vitalité au débat politique. En définitive, le vacarme fait autour de cette question occulte le seul vrai problème que nous avons en tant que Palestiniens, à savoir l’occupation israélienne. Le risque que représente le Hamas est minime par rapport aux violations de nos droits par l’armée israélienne [26].
Mais ce point de vue n’est pas partagé par Lama Hourani, coordinatrice de la Société des Femmes Palestiniennes à Gaza, quant à elle très inquiète pour le droits des femmes à Gaza et à leurs acquis
La montée en puissance du Hamas me fait très peur. Durant la campagne électorale, nous avons demandé à tous les partis de signer un document dans lequel ils s’engageaient à ne pas remettre en cause les acquis législatifs obtenus par les femmes ces dernières années et à continuer de travailler pour améliorer leurs droits. Tous les candidats l’ont fait, sauf ceux du Hamas. Ils nous ont complètement ignorés en ne venant à aucune de nos réunions. C’est vrai que certains de leurs candidats sont des femmes. Mais le Hamas y était obligé par la loi qui garantit un quota de 20% sur les listes électorales. J’ai donc très peur que dans le futur Parlement, le Hamas cherche à revenir sur certains droits, notamment ces quotas, et qu’il influe de façon négative sur la discussion toujours en cours du code de la famille [27].
Un sondage préparé par le Dr Nabil Kukali et réalisé par le Centre Palestinien pour l’Opinion Publique (PCPO) au cours de la période du 14 au 17 février, montre aussi une forte opposition à l’annulation de l’article relatif à la représentation des femmes sur les listes de candidats. 61.2% des réponses sont opposés à la suppression de l’article concernant la présentation des femmes sur les listes de candidats. Il faut mentionner que Hamas est la formation qui a présenté le plus de femmes sur ses listes (13 contre 12 au Fatah). Ce constat doit cependant être nuancé par le mode de sélection des candidates : loin de désigner des femmes pour leur projet, leur expérience politique ou leur niveau d’éducation, le Hamas les a choisi en tant que mère ou épouse de martyr. Dalal Salamé, représentante du Fatah, l’une des cinq femmes députées siégeant actuellement au Parlement, estime que les femmes au Hamas « n’ont aucune expérience politique ; elles ne font que bénéficier du système des quotas électoraux ». Significative sur la place des femmes dans l’idéologie du mouvement de la résistance islamique, cette mesure est aussi une manœuvre pour s’assurer la discipline de députées, qui seront à n’en pas douter, peu à même de s’écarter de la ligne partisane.
En effet, la tenue des élections sous l’occupation a poussé la population palestinienne à participer au processus électoral malgré le bouclage et les chekpoints, pour eux, la participation est un défi et un moyen de résister. Cela explique la forte participation. 47,49% des femmes, 52,51% des hommes.
Vote pour la résistance et contre l’Occupation
L’ambiguïté du vote « pour » la résistance
Si beaucoup ont interprété le vote du Hamas comme un vote pour la résistance, il serait peut-être plus exact de le considérer comme un vote contre l’humiliation. La nuance n’est pas que rhétorique dans la mesure où elle indique une vraie dualité dans la société palestinienne quant à la stratégie militaire du Hamas.
L’invasion de la Cisjordanie (2002) et l’incapacité de l’AP à faire face à l’armée israélienne ont certes fait croître les critiques de la population à son encontre. L’image d’une autorité sans pouvoir – l’humiliation par l’armée israélienne et devant les caméras de hauts responsables palestiniens ou encore le siège de Ramallah sans résistance – a miné la légitimité de ses dirigeants et de leurs options politiques. Le gouvernement palestinien a en effet été impuissant à protéger les zones A, pourtant déclarées par les Accords d’Oslo sous sa seule juridiction. Destructions de maisons et d’oliveraies, nouvelles expropriations de terres : à vrai dire, Israël s’est conduit en territoire palestinien à sa guise. Par effet miroir, le Hamas apparaît aux yeux de l’opinion publique palestinienne comme le seul mouvement de résistance qui, malgré l’assassinat de la plupart de ses dirigeants, a montré une capacité à surmonter le défi de l’Occupation. Le mouvement a de fait exploité au maximum « le redéploiement des forces israéliennes en dehors de Gaza » en s’arrogeant le bénéfice de cette « victoire ». Sur la question des prisonniers politiques palestiniens, centrale dans le débat électoral, le Hamas a là encore su se placer en première ligne en présentant le plus grand nombre de prisonniers sur ses listes. Parmi les quinze captifs sortis vainqueurs de ces élections (ils étaient dix-huit à se porter candidats), onze sont membres du mouvement de la résistance islamique, et trois appartiennent au Fatah. Il y a un seul député du FPLP interné dans les prisons de l’AP. Ces élus constituent un peu plus de 11% du nombre total de sièges au CLP. Pour les Palestiniens, voter pour les prisonniers, c’est voter pour la résistance.
Le Hamas a par ailleurs depuis longtemps appris à ménager les populations civiles en conjuguant lutte armée et assistance sociale. Ainsi, des centaines des familles ayant perdu leurs maisons détruites par l’armée israélienne à Gaza – surtout à Rafah – ont bénéficié d’aides au relogement et au paiement des frais d’inscription universitaire pour les étudiants ainsi qu’une couverture santé, alors qu’au même moment, l’incapacité de l’AP à offrir quoi ce soit était manifeste. Le Hamas s’est finalement substitué à l’AP, en assumant une fonction que celle-ci n’est pas parvenue à assurer.
Mais le vote pour le Hamas ne signifie pas pour autant la volonté des Palestiniens d’arrêter les négociations avec le gouvernement israélien. Selon l’enquête d’opinion, réalisée par l’institut privé Near East Consulting [28], « 84 % des Palestiniens interrogés se sont dits favorables à une paix avec Israël, contre 16 % de l’avis contraire. 77 % des personnes favorables à un accord négocié ont affirmé avoir voté aux élections législatives pour le Hamas. À cet égard, seulement 25 % des personnes interrogées estiment que le Hamas devrait maintenir dans sa charte son appel à la destruction d’Israël – contre 75 % qui sont de l’avis contraire. 86 % des personnes interrogées sont pour que Mahmoud Abbas reste à son poste de président de l’Autorité palestinienne contre 14 % qui souhaitent son départ. Enfin, 72 % des personnes interrogées affirment qu’elles auraient voté pour le Fatah si son chef historique, Yasser Arafat, était toujours en vie, 23 % pour le Hamas et 5 % pour d’autres mouvements ». De même, un autre sondage réalisé par Palestinian Center For Public Opinion indique que 80,4 % sont en faveur de la poursuite du cessez-le-feu avec Israël [29].
Le vote pour le Hamas n’est ni contre le processus de paix mené par Abou Mazen – et bloqué par ses interlocuteurs israéliens, ni une ratification de la charte du Hamas.
« Si Israël reconnaît nos droits et s’engage à se retirer de tous les territoires occupés, le Hamas, et avec lui l’ensemble du peuple palestinien, décideront de mettre un terme à la résistance armée », a déclaré le chef du bureau politique du mouvement islamiste Khaled Mechaal, lundi 13 février 2006. Le projet du Hamas qui appelle à la destruction de l’Etat d’Israël, et l’instauration d’un Etat islamique sur les territoires palestinien historique, n’est plus la même. Il porte aujourd’hui un projet politique similaire de celui de l’AP, un Etat sur les territoires occupé en 1967.
Réaffirmation du contrat national ; contre les concessions à Israël
Il est clair que l’enthousiasme pour la victoire du Hamas ne s’est pas limité aux territoires occupés, mais a dépassé leurs frontières. Les Palestiniens en exil, dans les pays arabes comme en Europe, sont plutôt satisfaits de ce résultat. D’après eux, l’AP représentait une menace sur leur futur en ce qui concerne la question de droit du retour.
Le contrat national pour les Palestiniens, c’est le discours d’Arafat à Alger en 1988, un Etat souverain avec Jérusalem comme capitale et le droit au retour.
Il faut souligner que les accords d’Oslo ont renvoyé la question des réfugiés aux négociations sur le statut final tout en affaiblissant les organisations des Palestiniens de l’extérieur. Bassma Kodmani Darwish observe ainsi que « depuis le début des négociations de paix et plus encore depuis les accords d’Oslo, l’audience de l’OLP s’est incontestablement érodée. Les Palestiniens du Liban estiment avoir fait, eux-mêmes les sacrifices les plus lourds qui ont permis à l’OLP d’obtenir la reconnaissance d’Israël pour découvrir ensuite que la centrale palestinienne se conduit à leur égard comme s’ils n’étaient, qu’un problème résiduel qu’il conviendra de régler plus tard [30]. ». Il ne faut pas oublier que 80% des Palestiniens résidant aujourd’hui en Europe sont venus du Liban et adoptent le même point de vue.
L’AP a d’autre part refusé à plusieurs reprises la tenue d’élections pour désigner les membres du Conseil national palestinien (CNP), entité représentative de l’ensemble de la nation palestinienne, à l’intérieur comme en diaspora. Ce refus a suscité une immense déception chez les Palestiniens de l’extérieur. La majorité de ces derniers considèrent le CNP comme la seule représentation légitime du peuple palestinien, victime selon eux, d’un certain type de marginalisation après la signature des accords d’Oslo.
Dans une étude récente réalisée dans les Territoires Occupés le 28 février 2006 [31], 83.3 % des sondés s’opposent à la renonciation au droit au retour. Un grand nombre de Palestiniens de l’exil espèrent que la victoire du mouvement islamique marquera le retour de leur participation dans la vie politique palestinienne, d’où ils se sentent absents depuis 1993. Pour donner un nouveau souffle à cette Organisation de la Libération de la Palestine (OLP), plusieurs réunions sont tenues entre les partis politiques palestiniens sous le thème du rétablissement de l’OLP, pour regrouper et réactiver de nouveau « la diaspora palestinienne ». Au printemps 2005 au Caire, s’est tenue la première réunion regroupant ces partis y compris le Hamas, pour discuter des moyens de reconstruire l’OLP, donner aux Palestiniens en exil le droit de participer aux décisions politiques.
Le Hamas, par sa victoire, rentre de facto dans l’OLP puisque chaque membre du Parlement palestinien est membre du Conseil National Palestinien, organe suprême de l’OLP. Khaleda Jarrar, représentante du FPLP élue au CLP souligne que « le Conseil national de l’OLP connaîtra bientôt de nouvelles élections, auxquelles participeront tous les Palestiniens, y compris ceux de l’extérieur (réfugiés au Liban, en Syrie, en Jordanie…). Nous sommes en train de discuter pour savoir comment nous nous y présenterons. Il s’agit de démocratiser l’OLP avec le FPLP, le Fatah et le Hamas [32] ».
Les Palestiniens avec le vote du Hamas ont par ailleurs sanctionné l’initiateur des Accords de Genève [33], dans la mesure où aucun candidat impliqué dans ce processus n’a été élu. LePalestinian Center for Policy and Survey Research (PSR) montre que seuls 34 % du public israélien et 19 % du public palestinien soutiennent l’initiative. Cette initiative n’a pas évoquée la question du droit au retour. Yasser Abed Rabo est largement critiqué pour son implication de cet accord. Jean François Legrain, montre que les principaux hommes politiques qui ont été impliqué dans l’initiative de Genève ont été battus : « Quatre rédacteurs de l’accord de Genève en 2003 basé sur les résultats des sommets de Camp David (été 2000) et de Taba (hiver 2000-2001), cette ébauche d’accord définitif sur le conflit israélo-palestinien, connaissent le même sort [Hichâm ‘Abd al-Râziq, Qaddûra Fâris, Muhammad Hawrânî (Hébron), et Zuhayr Manâsra] [34] ».
Conclusion
Il est difficile aujourd’hui de prévoir quelle sera la stratégie du Hamas après avoir formé son gouvernement (seulement sept ministre du Hamas et les autres ministre sont des technocrate, une femme et un chrétien), et comment ce mouvement va s’en sortir. Dans la situation actuelle, où le Hamas a échue de former un gouvernement d’union nationale, quel sera son projet politique ?
Hamas en refusant de reconnaître l’OLP comme le seul représentant de peuple palestinien, les mouvements des gauches, ont rejeté la participation dans le nouveau gouvernement. Comme le Fatah qui ont mis en condition leur participation en demandant au Hamas de reconnaître les accords signés par l’AP et Israël, et de déposer les armes. De l’autre côté, le débat actuel pour faire intégrer le Hamas au sein de l’OLP, qui a déjà sa propre charte et son programme politique, amène à poser la question : le Hamas va-t-il changer officiellement ses revendication ? Entrer dans l’OLP signifie pour le Hamas la reconnaissance de l’État d’Israël. Rappelons que l’OLP, dans sa charte, appelait en son temps à la disparition de l’Etat hébreu, et considérait la lutte armée comme le seul moyen de libérer la Palestine historique, avant de modifier sa vision politique pour admettre l’existence d’Israël : le Hamas est-il sur la même voix ? Est-ce que cela prendre des années pour que Israël accepte de négocier avec le Hamas ?
Sans doute que le Hamas est isolé politiquement, financièrement et soumis à d’extrêmes pressions internationales. En profitant de cette situation, Israël de sa part, a écarté tout contact avec le nouveau gouvernement palestinien. Par ailleurs le Premier ministre israélien par intérim, Ehoud Olmert, a déclaré que son plan est de déterminer de façon unilatérale les frontières d’Israël. Olmert s’est donné jusqu’en 2010 pour tracer les nouveaux contours d’Israël. « Ce sera un pays différent, avec des frontières différentes. Il sera séparé de la vaste majorité des Palestiniens, nous modifierons le tracé en certains endroits, pour déplacer la ligne vers l’ouest ou plus à l’est. Ce sera une étape cruciale, pour préserver le caractère juif d’Israël, où il y aura une solide majorité juive vivant en sécurité [35] ».
Une chose est sûre : le Hamas au pouvoir n’est plus le Hamas de l’opposition. En réponse aux incitations de Moscou, la délégation du Hamas a souligné : « Nous ne disons pas non à tout. Nous savons que nous sommes dans une nouvelle phase et que le Hamas doit changer. Mais, si vous voulez que le Hamas change de politique, vous devez aussi demander aux Israéliens de changer la leur [36] ». Ainsi, le lendemain des résultats des élections, le chef du bureau politique Khaled Mashael a clairement déclaré que le Hamas est prêt à accepter un Etat dans les frontières de 1967. Le changement de la stratégie du Hamas a commencé par sa participation aux élections et ce changement ne va pas s’arrêter là. Sans doute, la victoire du Hamas a t-elle provoqué une onde de choc dans la diplomatie occidentale, et ce d’autant plus que ce mouvement est inscrit sur la liste européenne des organisations terroristes depuis 2003, à l’unanimité des Etats membres de l’Union européenne. Les 25 ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont décidé de maintenir l’aide européenne aux Palestiniens si le Hamas renonce à la violence, s’il reconnaît le droit d’Israël à exister et s’il respecte les engagements pris par l’Autorité palestinienne dans le cadre des accords d’Oslo. Face aux menaces occidentales de boycotter le gouvernement palestinien, il est à prévoir que le Hamas fasse tout ce qui est en son pouvoir pour faire rentrer de nouveau la cause palestinienne dans son giron arabe, et encore plus dans le giron musulman. Pour remplacer le financement de l’Union européenne, Khaled Mechaal a fait une visite dans quelque pays arabes et islamiques, en déclarant à Al Jazeera : « nous refusons ce chantage exercé par les Européens ». Apparemment, sa visite n’a pas rapporté grande chose, car le sommet arabe à Alger, réuni pour discuter sur l’aide possible à apporter aux Palestiniens, n’a abouti à rien sous la pression américaine sauf l’Arabie Saoudite, qui a promit de continuer à offrir des aides aux palestiniens.
Un seul pays a pris nettement position : l’Iran. Ali Larijani, secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, à l’issue d’un entretien le 22 février 2006, avec le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, a déclaré que son pays était prêt à aider financièrement le gouvernement palestinien. « Nous allons aider financièrement ce gouvernement afin de faire échec à la cruauté des Etats-Unis envers ce pays [37] ».
La stratégie d’isolement du Hamas, pratiquée par Israël et les Etats-Unis et surtout l’Union Européenne, risque de s’avérer contre-productive et pousser le Hamas dans les bras iraniens. La victoire du Hamas pourrait également être considérée comme une carte maîtresse pour Damas, dans le différend l’opposant à l’UE et aux Etats-Unis. Cela conduirait à faire baisser les tensions, de manière relative, suite aux accusations de soutien au « terrorisme » dont la Syrie fait l’objet. Les groupes hébergés par cette dernière sont en fin de compte des mouvements politiques qui contribuent à la construction démocratique palestinienne.
En négociant avec le Hamas, les Occidentaux pourraient pourtant avoir beaucoup à gagner sur la plan de la géopolitique internationale : placé dans le contexte de la percée électorale des Frères musulmans en Egypte, du Parti islamique en Irak ou du Hezbollah au Liban, la victoire du Hamas pourrait en effet conduire à l’affaiblissement des courants les plus extrémistes parmi ceux qui appellent au jihad. Le 5 mars, le numéro deux d’al-Qaïda, Ayman Zawahiri, appelait le Hamas à poursuivre la lutte armée et à ne pas siéger au CL avec des laïques. « Il ne faut pas reconnaître les accords de capitulation signés par les laïques de l’Autorité palestinienne. Votre seule alternative est de poursuivre la lutte armée jusqu’à la libération de la Palestine et l’édification d’un Etat islamique, Sachez que ces laïques de l’Autorité palestinienne ont vendu la Palestine et sont considérés par l’islam comme des criminels. Ce n’est pas parce que l’on a obtenu 80 sièges que l’on doit entrer dans le jeu politique des Américains [38] ». Le Hamas a opposé une fin de non-recevoir aux appels d’Ayman Zawahiri.
Sur la scène palestinienne, beaucoup prévoient ainsi l’isolement du Jihad islamique. Sur le plan régional, la victoire du Hamas, mouvement nationaliste religieux, pourrait également faire reculer l’influence d’al-Qaïda. En Irak, la participation du Hamas à des élections tranche ainsi avec la stratégie du groupuscule de Moussab Zarkawi. Mais pour que cette victoire assure une sorte de légitimité de l’action politique pacifique et démocratique, faut-il encore que l’UE et les Etats-Unis donnent une chance à ce nouveau gouvernement.
[1] Seul le Jihad Islamique a boycotté le suffrage, arguant de son rejet absolu de toute institution issue des Accords d’Oslo.
[2] 81,6 % dans la Bande de Gaza et 77,3 % en Cisjordanie
[3] Nom sous lequel fait campagne le Hamas.] |29 |45 |74 | |2- |Mouvement du Fatah |28 |17 |45 | |3- |Martyr Abou Ali Moustafa[[Cette formation est une émanation du front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
[4] La Troisième Voie est une aile dissidente du Fatah, dirigée par l’ex-ministre des finances Salami Fayyad.
[5] Cette coalition rassemble des formations (Parti du peuple et Fida) qui ont soutenu de manière critique le processus de paix lancé à Oslo en 1993, lequel s’est traduit par la création de l’Autorité palestinienne.
[6] Parti dirigé Moustapha Barghouti
[7] Un article publié dans le site : http://www.aloufok.net/article.php3 ?id_article=2818, le 29 janvier 2006
[8] Aude Signoles, maître de conférence et chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales.
[9] Agnès Rotivel, « Les raisons de la victoire du Hamas », la Croix, le 26 janvier 2006.
[10] JMCC (Jerusalem Media and Communication Centre). Février, 2006.
[11] Gilles Paris, « Les 19 points de la doctrine du Hamas », Le Monde, 28 janvier 2006
[12] « Les Palestiniens donnent la victoire au Hamas », la Croix, 27 janvier, 2006.
[13] Jean-François Legrain, « Le Hamas sur la scène politique », Le Monde, 30 janvier 2006
[14] Entretien avec le journal Al Quds, le 20 août 2005.
[15] « Une trêve ne me pose aucun problème. C’est possible si Israël accepte l’évacuation des zones occupées depuis 1967, l’établissement d’un Etat palestinien sur Gaza et la Cisjordanie, avec Jérusalem comme capitale. » Entretien avec Ahmed Yassine, fondateur et chef spirituel du Mouvement de la résistance islamique (Hamas), Le Monde, le 6 mai 2003
[16] La tentative d’assassinat du président du bureau politique du mouvement de la résistance islamique Hamas dans la capitale jordanienne, le 25 août 1997, s’était conclue par la libération de Yassine en échange de deux agents de Mossad arrêtés en Jordanie.
[17] Né dans le camp de réfugiés palestiniens de Chati à Gaza, Ismaïl Haniyeh a obtenu un diplôme de littérature arabe en 1987 à l’Université islamique de Gaza avant de devenir l’un des proches du fondateur et chef spirituel du Hamas, cheikh Ahmed Yassine.
[18] Il avait présenté sa candidature lors des premières élections législatives palestiniennes en 1996, mais avait été forcé de renoncer à ses ambitions lorsque le Hamas avait refusé de participer au scrutin.
[19] Sociologue à l’Institut de recherche pour le développement sur l’analyse de la situation au Proche-Orient, et l’auteur du livre Être jeune en Palestine.
[20] « Pourquoi les jeunes Palestiniens ont-ils voté pour le Hamas ? », la Croix, 6 février 2006.
[21] au contraire des élections municipale, ou le Hamas a gagné 3 sièges seulement parmi 15 sièges, le Fatah 6 sièges, et le FPLP 6 sièges, qui a fini par l’alliance entre le Hamas et le FPLP, pour le première fois, une femme chrétienne préside la municipalité de Ramallah.
[22] Agnes Rotivel, « Les chrétiens sont-ils inquiets de l’arrivée du Hamas au pouvoir ? » la Croix, le 30 janvier 2006.
[23] Stéphanie Le Bars, « Les Palestiniens à l’heure du Hamas », le Monde, le 16 février, 2006.
[24] « 84 % des Palestiniens pour la paix », l’Humanité 31 janvier 2006.
[25] Stéphanie Le Bars, « Les Palestiniens à l’heure du Hamas », Le Monde, 16 février, 2006.
[26] « Les membres du Hamas ne sont pas des talibans », le Croix, 25 janvier 2006
[27] Benjamin Barthe, « Le Hamas pourrait revenir sur certains droits », le Croix, 25 janvier, 2006.
[28] « 84 % des Palestiniens pour la paix », l’Humanité, 31 janvier 2006.
[29] Sondage réalisé le 8 décembre 2005. Voir http://www.pcpsr.org/survey/polls/2005/p18epressrelease2.html
[30] Kodmani-Darwisch Bassma, La diaspora palestinienne, PUF, Paris, 1997. P89
[31] Palestinian Center For Public Opinion, http://www.pcpo.ps
[32] Entretien avec al Jazeera le 30 janvier
[33] Plan de paix non officielle a été signé en décembre 2003 en suisse, entre Yossi billin , ex- ministre israéliens de la justice, et Yasser Abed Rabbo, ex-ministre palestiniens de l’information. Ce pacte de paix a évoqué un vif débat à l’intérieur de la société palestinienne, car il renonce du droit au retour.
[34] Jean-François Legrain, « Le Hamas sur la scène politique », Le Monde, 31 janvier, 2006
[35] Patrick Saint-Paul « Le plan d’Olmert pour les frontières d’Israël », l e Figaro, 11 mars 2006
[36] « Le Hamas à la croisée des chemins », Courrier International – 6 mars 2006
[37] Nidal al Moughrabi « Hamas et Fatah tentent de trouver un terrain d’entente », la Tribune, 22 Fevrier 2006.
[38] TF1 « Le numéro deux d’Al-Qaïda menace les pays occidentaux », le 5 mars 2006