“L’arc chiite : entre mythe et réalité ?”
Avec
Pierre-Jean Luizard, Chercheur au Groupe sociétés, religion et laïcité – CNRS/EPHE
Bernard Hourcade, Directeur au CNRS monde iranien et indien
En collaboration avec la revue Hérodote et les café-geo de Paris
Les cafés géopolitiques vous conseillent la conférence de l’ESG :
Vendredi 6 Avril 2007 de 13h00 à 19h00
Rwanda, 13 ans après : Du génocide Tutsi à sa négation
Grand amphithéatre ; 25 rue Saint-Ambroise – 75011 Paris ; métro St Ambroise ; Contact : Aurore Gillet 01 53 44 46
Compte-rendu
Delphine Papin introduit ce Café géopolitique consacré à l’arc chiite en rappelant qu’il a été préparé en collaboration avec la revue Hérodote dont le dernier numéro intitulé « Proche Orient, géopolitique de la crise » vient de paraître. La présentatrice de notre Café tient à préciser que le sujet débattu aujourd’hui est d’une actualité brûlante à l’heure où Téhéran ne ménage pas ses efforts pour favoriser l’émergence d’un « croissant chiite » qui s’étendrait de l’Afghanistan à la Libye, incluant également le Pakistan et la Syrie, et dominé par les deux grands Etats à majorité chiite que sont l’Iran et l’Irak. Pour conclure cette introduction, Delphine Papin donne la parole aux intervenants en précisant que le thème choisi aujourd’hui laisse une place de choix à l’étude des représentations géopolitiques. Elle demande à Bernard Hourcade de rappeler ce qu’est le chiisme en prenant appui sur l’exemple iranien et laisse le soin à Pierre-Jean Luizard d’illustrer son propos à partir du cas irakien.
Bernard Hourcade commence par rappeler que, si l’on parle beaucoup du chiisme, beaucoup de personnes tendent à le confondre avec l’extrémisme religieux alors que de nombreux courants existent au sein de cette obédience. Les chiites seraient plutôt conservateurs et auraient un esprit quiétiste. Ils se sont séparés du noyau fondateur sunnite en suivant Ali, gendre du prophète, et les douze imams descendants directs de Mahomet. Ayant toujours été minoritaires, les chiites se sont habitués à faire le dos rond face au pouvoir afin de préserver leur identité. Le courant chiite a également une position particulière vis-à-vis du Coran : il permet aux hommes d’adapter ses préceptes à la réalité de la société afin de trouver la meilleure solution. Les religieux sont donc capables d’adapter le discours de la religion et prennent en compte l’évolution de la société dans le temps.
Au XVIe siècle, l’Iran est le premier Etat à majorité chiite et jusqu’à aujourd’hui il est le seul Etat chiite indépendant. Lorsque Khomeyni apparaît avant la révolution en proclamant que la politique américaine est dangereuse pour l’Islam, les religieux doivent alors tenir compte de la situation politique extérieure. Ils sont obligés rompre avec le quiétisme. Khomeyni se propose alors d’être le guide du changement qui permet à la religion de revendiquer son identité. Mais l’ayatollah de Qom (qui dispose de sa propre école religieuse) décide alors d’adopter une attitude différente, celle de l’acceptation du système et de la parole du Chah.
Actuellement, le clergé iranien est jugé réfractaire. Il est au contraire profondément moderne car il a eu l’expérience de la gestion du pays pendant vingt ans. En Iran, il existe deux clergés : le premier est proche du gouvernement et comporte plus de politiques que de théologiens, le second, celui de Qom, adopte une position plus indépendante. Le chiisme militant est un fait nouveau dans la tradition. Mais le clergé iranien a la capacité de faire le lien entre la théologie et le peuple grâce à la hiérarchie inhérente au clergé (contrairement au courant sunnite). L’efficacité et la rapidité de la révolution iranienne doit être éclairé par le contexte de l’époque et la déstabilisation, au cours des années 1930, consécutive à la chute de l’Empire Ottoman. Une des conséquences extérieures de la révolution est qu’elle incite les communautés chiites des autres pays à réclamer leur propre révolution. C’est dans ce contexte que le chiisme apparaît comme un courant religieux révolutionnaire, agressif et vindicatif. La communauté internationale craint alors que la révolution iranienne ne fasse tâche d’huile. Dès les débuts de al révolution islamiste, les Etats-Unis et la France ont tenté d’arrêter le mouvement. Saddam Hussein a été soutenu par l’Occident lorsque la guerre Iran-Irak a commencé. Cette guerre a permis la réalisation de l’unité nationale en Iran, elle a aidé les mollah à asseoir leur autorité et leur dictature. Aujourd’hui, avec l’évolution de la situation en Irak, on craint à nouveau le « danger chiite » tel qu’il était perçu dans les années 1980. L’Iran cherche en effet à se doter de la bombe nucléaire et il apparaît capable de dominer le monde musulman. On craint, en outre, que l’Iran essaime. On pense tout d’abord au Liban avec le Hezbollah qui bénéficie du soutien financier de Téhéran. Mais les communautés chiites de l’Afghanistan (où ils représentent près de 20% de la population), du Pakistan, de la Syrie ou encore de la Turquie, inquiètent et sont parfois perçues comme des tentacules de la pieuvre iranienne.
Existe-t-il un arc chiite manipulé par l’Iran ? Cette question inquiète, surtout depuis le basculement de l’Irak dont la majorité chiite était autrefois écartée du pouvoir. Les chiites pourraient également arriver au pouvoir au Liban ou encore au Bahrein. En réalité, les chiites se sont établis depuis toujours dans les régions limitrophes de l’Iran. Pour autant, il n’existe pas de volonté de la part de cet Etat de contrôler ces communautés.
L’Iran est perçu comme un pays fort de par sa population et ses réserves pétrolières. Il est pourtant faible d’un point de vue économique, politique ou militaire. L’Iran serait plutôt un « vieux lion malade » qu’une réelle puissance. La crainte de voir ce pays devenir une puissance régionale par défaut est néanmoins présente. La représentation de l’Iran comme s’apprêtant à dominer le monde est largement diffusée, mais il ne faut pas oublier que ce pays reste faible à de nombreux points de vue.
Pierre-Jean Luizard prend la parole à son tour en ajoutant que le spectre de l’Iran est agité par des gouvernements sunnites non-démocratiques ainsi que par les Etats-Unis. L’Iran est une grande puissance chiite : le pays compte 70 millions d’habitants dont près de 90% sont chiites. D’autres communautés chiites importantes existent dans le monde et bien que leur proportion dans la population soit plus réduite, leur nombre peut parfois s’avérer très important. L’Inde compte ainsi plusieurs dizaines de millions de chiites ; ils sont également présents au Pakistan, dans le Monde Arabe et en Afrique Orientale. L’Irak compte 24 millions d’habitants dont 20% seulement sont sunnites. Au Bahrein, 80% de la population est chiite, et le Liban est à majorité chiite relative. Des minorités chiites vivent aussi dans les provinces pétrolières d’Arabie Saoudite ainsi qu’au Yémen. Cette dernière communauté pratique une religion quelque peu différente des autres car elle ne reconnaît que 5 imams fondateurs. Le rapport de force démographique n’est donc pas équilibré entre les différents pays où vivent les chiites.
Existe-t-il un arc chiite ? Aujourd’hui, il n’existe pas de chef d’orchestre mais plusieurs centres du chiisme. Les principales villes saintes du chiisme se trouvent sur le territoire irakien (Nadjaf, Kerbala), l’Iran en compte deux (Qom et Mashhad). Jusqu’à la chute de l’Empire ottoman, l’Irak en était une province qui s’est développée en opposition au pouvoir. Ce refus de l’autorité ottomane a conduit au développement des idées constitutionnalistes et à la révolution constitutionnelle persane de 1906. Après avoir été occupé au cours de la première guerre mondiale, l’Etat irakien fondé en 1920 donne l’exclusivité du pouvoir à la minorité sunnite. Les chiites se trouvent exclus politiquement à tous les niveaux du pouvoir, comme de l’armée par exemple. Dans tous les pays arabes, les chiites sont considérés comme des citoyens de seconde zone, que ce soit au Liban, à Bahrein, en Arabie Saoudite ou en Afghanistan.
Pour les chiites, l’exclusion du pouvoir se double d’une domination sociale. L’origine de cette domination des sunnites sur les chiites est très ancienne en ce qui concerne l’Irak. Parmi les actuels chiites irakiens, nombreux sont d’anciens sunnites convertis au début du XXe siècle. Les plaines de la Mésopotamie, irriguées par le Tigre et l’Euphrate, étaient attractives pour les bédouins ; ces territoires ont joué le rôle de dernier réceptacle des invasions nomades et ont favorisé leur sédentarisation. Ce processus a indirectement induit un rapport de soumission entre les peuples sédentarisés et les tribus restées nomades. Ces dernières vivaient du tribut prélevé sur les sédentaires et leur garantissaient en échange leur protection. Ce nouvel asservissement va conduire en Irak à la constitution d’un système féodal. Les grands chefs tribaux, propriétaires de l’immense majorité des terres, dominaient les paysans. Dans ce contexte, le chiisme qui valorise la lutte contre l’oppression (notamment à travers les mythes fondateurs) et la souffrance, constitue un cadre adéquat pour des milliers de paysans qui se convertissent alors au chiisme. Ces conversions massives vont transformer la carte confessionnelle de l’Irak : dans le Sud du pays, les minorités sunnites disparaissent en l’espace d’un siècle. Le quartier Sadr city de Bagdad, qui défraie aujourd’hui la chronique, a accueilli les paysans sans terres fuyant les campagnes féodales dans les années 1930 et regroupait la base sociale du parti communiste irakien. Le parti communiste a attiré une partie importante de la population irakienne à l’époque et présentait une version moderne du chiisme dans les années 1950 et 1960. A la fin des années 1950, le réveil du mouvement religieux contre les idées communistes répandues dans les milieux chiites a amené à un réel travail de reconquête. La révolution iranienne a été préparée et lancée à partir de l’Irak et constitua un signal fort en direction des communautés chiites.
Aujourd’hui, l’Irak baigne dans un bain de sang. Mais il est l’heure pour les communautés chiites de relever la tête et de réclamer leurs droits politiques, sous les hospices de gouvernements laïcs de gauche pour les pays du Golfe et de mouvements islamistes chiites au Liban et en Irak. Au Liban dans les années 1950, Moussa Sadr avait initié le mouvement d’émancipation politique et social contre les dynasties féodales avant que le Hezbollah ne lui succède. Il dispose aujourd’hui de députés au Parlement, de journaux ainsi que de chaînes de radio et constitue pour la population un recours face à un Etat libanais souvent défaillant. Paradoxalement, la nécessité du mouvement d’émancipation en Irak d’asseoir sa domination rencontre les intérêts américains. L’intervention américaine a permis l’arrivée au Parlement de mouvements autrefois considérés comme dangereux par les Etats-Unis eux-mêmes.
Il n’existe pas d’arc chiite à proprement parler mais plutôt un mouvement d’émancipation politique et sociale représenté par des mouvements religieux à visées anti-impérialistes et anti-israéliennes. Mais ce partenariat entre ces mouvements et la puissance occupante conduit pour l’instant à l’échec. La reconstruction « à la libanaise » de l’Irak par les USA entraîne les différentes confessions dans une spirale de la violence. A l’affrontement entre chiites et sunnites, viennent se greffer Al Qaïda et d’autres mouvements fondamentalistes. Les Etats-Unis accusent l’Iran d’être responsables du chaos en Irak, il s’agit là d’une attaque sans fondement et la puissance occupante reste impuissante à enrayer la spirale de la violence. Le Hezbollah est souvent accusé par les partisans de l’actuel gouvernement libanais d’être une marionnette de l’Iran et de la Syrie. Mais c’est au cours d’élections libres et démocratiques que le Hezbollah s’est imposé comme la force politique représentant la communauté chiite. Certes, ces deux pays exercent une certaine influence sur le Hezbollah, mais ce dernier dispose d’une telle position-clé au Liban que ni l’Iran, ni la Syrie ne peuvent se retourner contre lui.
Pour conclure, plutôt que d’un arc chiite, il faudrait parler d’un regroupement d’intérêts auquel s’ajoute un processus d’émancipation politique et sociale. Au sein de chaque Etat, ce sont les enjeux locaux qui dominent et aucun acteur chiite ne se trouve en mesure de prendre le contrôle des différentes organisations politiques chiites.
Delphine Papin reprend la parole pour remercier nos intervenants de leur exposé à la fois clair et complet. Afin d’ouvrir le débat, elle leur demande de préciser dans quel contexte est apparue l’expression « arc chiite ». Est-ce bien le roi Abdallah II de Jordanie qui a le premier utilisé ce terme ?
Bernard Hourcade confirme que c’est bien Abdallah II, il y a un an, qui a parlé d’un « arc chiite ». Cette expression a ensuite largement été reprise, même s’il serait plus juste d’employer le terme de « nébuleuse ».
Pierre-Jean Luizard précise que l’expression a été utilisée au moment de l’émergence de mouvements islamistes au Moyen Orient, à la fois dans les milieux sunnites et chiites. Mais elle a surtout été popularisée par les fondamentalistes sunnites qui craignent ce fameux croissant chiite qui comprendrait l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban.
La première question porte sur l’Iran. Dans ce pays qui compte près de 90% de chiites, que signifie faire partie de cette communauté alors que la population s’éloigne de plus en plus du fait religieux ? Et concernant l’Irak, comment distingue-t-on concrètement un chiite d’un sunnite dans un quartier mixte ? L’intervenant souhaite également que Bernard Hourcade précise ce qui s’est réellement passé entre l’Iran et la Grande-Bretagne dans l’affaire des marins anglais.
Bernard Hourcade précise tout d’abord que vivent en Iran des juifs, des chrétiens et des zoroastriens. Mais la minorité qui compte concentre tous les regards est la minorité sunnite non persanophone qui parlent le turkmène, le baloutch, le kurde ou encore l’azéri. Les sunnites iraniens ne peuvent pas exister en tant que tels : Téhéran ne compte pas une seule Mosquée sunnite et ils ne disposent d’aucun représentant au sein de l’Etat. Il s’agit d’un problème profondément religieux et non ethnique. La révolution iranienne a créé l’identité sunnite dont la communauté ne pose aujourd’hui aucun problème et qui ne revendique aucun territoire. Le problème se pose au niveau de la non reconnaissance de leur confession sunnite. Bernard Hourcade ajoute ensuite que le conflit commence à faire tache d’huile et introduit en Iran des conflits autrefois inexistants. Mais il ne faut pas avoir une représentation caricaturale de ce pays. Si la population reste très attachée à la religion, la cité iranienne a évoluée, le chiisme s’est enraciné et les mollah sont devenus modernes. Les religieux ont une solide assise économique et participent au business international.
Pierre-Jean Luizard affirme que rien ne permet de distinguer un chiite d’un sunnite en Irak et souligne ainsi le côté absurde, irréaliste de la situation. Comme une importante partie des chiites sont d’anciens sunnites convertis, aucune distinction reposant sur les noms de famille ou l’utilisation des dialectes n’est possible. La seule marque éventuelle d’appartenance à l’une ou l’autre des confessions réside dans le choix du prénom. Il y a quelques mois, dans le quartier d’al Djihad à Bagdad, des miliciens chiites ont mené une large opération de contrôle des papiers d’identité et ont exécuté toutes les personnes portant des prénoms à consonance sunnite. Au total, une trentaine d’irakiens a trouvé la mort et parmi eux ne se trouvaient vraisemblablement qu’un quart de non chiites. En Irak, l’identité confessionnelle est secondaire, la principale étant l’identité régionale ; les solidarités traditionnellement s’organisent en fonction de la région d’origine. Mais l’identité confessionnelle découle en grande partie de l’identité régionale : les irakiens de Bassora sont en majorité sunnites et ceux de Kout principalement chiites. On n’assiste pourtant pas à l’ethnicisation du fait confessionnel comme cela a pu être le cas dans les Balkans, sunnites et chiites sont membres d’une même société. Ce qui donne au conflit confessionnel un caractère d’autant plus cruel, c’est qu’il n’existe pas de territorialisation précise, les quartiers mixtes sont une réalité à Bagdad. Mais le fait qu’un habitant soit originaire de telle ou telle autre région d’Irak est une donnée connue de tous. Les milices chiites en profitent pour exercer une intimidation sur la population et favorisent ainsi la création de quartiers « homogènes ». On peut estimer à 40% le nombre de sunnites chassés de la rive Ouest de Bagdad. Mais, fort heureusement, les quartiers mixtes restent aujourd’hui encore la règle. Cette mixité contribue toutefois à développer la méfiance et beaucoup de chiites et de sunnites se voient renvoyés à une identité qui leur semble parfois bien lointaine. Il reste néanmoins que le conflit a gravement exacerbé la question confessionnelle. Lorsque, dans les années 1970, Bernard Hourcade interrogeait ses amis irakiens à propos des différences pouvant exister entre sunnites et chiites, on lui reprochait d’être « obsédé » par l’identité confessionnelle. Ces mêmes amis sont aujourd’hui à la tête de partis confessionnels. Le régime de Saddam Hussein avait fait du thème de l’obédience religieuse un réel tabou. Actuellement, les Etats-Unis exacerbent les haines entre les deux communautés à travers de la mise en concurrence des identités confessionnelles. Et il faut ajouter à cela la présence d’Al Qaïda qui cherche ouvertement à jouer sur les haines entre communautés. Durant deux ans, des attaques ont été perpétrées sans réaction de la population chiite ; aujourd’hui on assiste à une guerre civile.
Bernard Hourcade revient maintenant sur la seconde question posée, celle de l’affaire des marins britanniques. Il nous précise d’abord que le Golfe Persique est le lieu de multiples trafics (notamment en lien avec le pétrole) et s’avère être un vrai paradis pour les contrebandiers. C’est dans ce contexte que les forces britanniques sont amenées à effectuer des contrôles maritimes. Cet incident n’a pas été prémédité par l’Iran, les marins ont vraisemblablement été capturés suite à un concours de circonstances. Mais dans le contexte des tensions autour du nucléaire iranien (rare sujet qui fasse consensus dans le pays et même derrière barricade du pouvoir), tout ce qui peut permettre de retarder les négociations est bon à prendre. Après leur capture, les treize marins britanniques ont été transférés à Téhéran au moment du nouvel an iranien ce qui a, bien entendu, paralysé la situation. L’incident s’est en quelque sorte développé de manière autonome. Une fois le nouvel an passé, il y a eu un discours anti-britannique prononcé à Téhéran, le lendemain on parlait déjà d’envisager une solution qui fut trouvée le troisième jour. Mahmoud Ahmadinejad s’est trouvé un peu ridicule car il a du céder, bien qu’il ait décoré le général iranien responsable de l’arrestation des marins.
Delphine Papin profite que le thème du nucléaire soit abordé dans le débat pour demander comment cette question est perçue par l’opinion publique iranienne.
Bernard Hourcade nous explique que la question du nucléaire iranien est apparu sous le régime du Chah. La maîtrise de cette énergie par les scientifiques est une vraie réussite, malgré l’embargo imposé au pays. Cette fierté alimente le consensus existant en Iran sur le nucléaire en tant que source d’énergie. Le problème se situe au niveau de l’arme nucléaire. L’obtenir impliquerait de mener à nouveau une guerre et Ahmadinejad est seul sur cette ligne ; dans l’opinion publique est consciente de l’impossibilité d’accéder au nucléaire militaire. La clé du dossier se trouve aux Etats-Unis où certains ne sont pas contre le nucléaire iranien mais souhaiteraient plutôt un changement de régime orchestré par le fils du Chah. Mais cette vision est naïve car elle sous-estime la force de l’islam politique profondément ancré en Iran.
Pierre-Jean Luizard tient à préciser que les dirigeants iraniens ne disent pas vouloir acquérir l’arme nucléaire. Les autorités religieuses affirment même que posséder une telle arme serait contraire aux préceptes de l’islam. Et il faut également rappeler que l’Iran se sent encerclé, menacé par les Etats-Unis et leurs alliés dans la région. La polémique actuelle relève à la fois de l’injustice – pourquoi seuls les alliés des USA auraient-ils le droit de posséder l’arme nucléaire – et du procès d’intention car les dirigeants iraniens jouent eux-mêmes sur l’ambiguïté entre nucléaire civil et militaire.
Bernard Hourcade rajoute à propos de l’encerclement ressenti par les iraniens qu’il ne s’agit pas d’un sentiment nouveau. Le peuple perse a toujours été isolé entre les turcs et les indiens au Nord, et les arabes au Sud. Le besoin de défense de l’Iran est important, c’est pour cela qu’il a acheté d’anciens missiles soviétiques au Kazakhstan au cours des années 1990. Comme l’Iran a une armée médiocre et ne dispose d’aucun allié militaire, le nucléaire militaire jouerait le rôle d’une garantie de sécurité. L’Iran est un pays vulnérable dans une région fortement déstabilisée (notamment en Irak et en Asie Centrale).
Un intervenant souhaite maintenant pondérer les propos entendus sur la faiblesse de l’armée iranienne. D’après lui l’Iran serait capable d’infliger de lourdes pertes à d’éventuels ennemis, il disposerait à ces fins d’une centaine de missiles de croisière. Il souhaite également que les deux intervenants apportent quelques précisions à propos de la participation de citoyens iraniens aux attentats en Irak.
Bernard Hourcade soutient que la faiblesse de l’armée iranienne est une réalité, notamment en cas d’attaque terrestre. Il relativise également l’importance du stock de missile dont dispose l’Iran, le pays n’a pas, par exemple de missile anti-missiles. Et le contexte interne est très différent de celui des années 1980 lorsque la révolution islamique éclata en pleine guerre froide ; en cas d’attaque, la population iranienne ne se rassemblerait pas comme elle a pu le faire auparavant et l’armée ne pourrait tenir dans ces conditions. La prochaine étape du processus de négociation autour du nucléaire iranien sera probablement l’annonce que les scientifiques ont réussi à enrichir l’uranium. A ce moment-là, les vraies négociations pourront débuter. Tant que Téhéran n’aura pas de garanties de la part de Washington, la situation n’évoluera pas. Et l’Europe, encore inexistante d’un point de vue politique, ne pourra obtenir l’adoption d’un compromis.
Delphine Iost
Au Café des Phares ; 7, place de la Bastille ; 75004 Paris ; Métro : Bastille