“Le cyclone Katrina : révélateur de la fragmentation de la société américaine”
Avec
Denis Lacorne, directeur de recherche au CERI
Romain Huret, chercheur à l’EHESS
En collaboration avec la revue Hérodote et les café-geo de Paris
Rentrée 2005 – 2006
Après une année riche en événements, qu’il s’agisse des inondations à la Nouvelle-Orléans après le passage de l’Ouragan Katrina, qui risque de bousculer la diplomatie américaine ; des attentats terroristes à Londres ou du « non » français et néerlandais à la Constitution ; du retrait israélien de Gaza ou le risque nucléaire que fait de nouveau peser l’Iran ; des avancés entre l’Inde et le Pakistan sur le dossier du Cachemire ou encore en Amérique Latine du retour politique des Indiens avant tout en Bolivie, les Cafés géopolitiques tenteront, tous les premiers jeudi de chaque mois, en présence de spécialistes, d’éclairer l’actualité en favorisant le débat avec le public.
Divers partenaires se joignent à nous en cette année 2005-06 afin de nous aider dans notre entreprise. La revue « Hérodote », tout d’abord, nous accompagne depuis la création des Cafés géopolitiques, il y a bientôt 4 ans. En mars, nous célébrerons d’ailleurs les 30 ans de la Revue de géographie et de géopolitique, en présence de Yves Lacoste, son fondateur et Directeur. Nous poursuivons notre collaboration avec la revue « Questions internationales » éditée par La Documentation française, dès le mois de Novembre avec un Café consacré à l’Inde. Fort du succès de notre projection-débat consacrée à la Chine en Janvier dernier à la Société de Géographie, nous renouvelons l’expérience à l’occasion de la sortie de l’Atlas de la célèbre émission du « Dessous des cartes » diffusée depuis 15 ans sur la chaîne Arte. Rendez-vous donc le 17 Novembre.
Pour inaugurer cette nouvelle année des Cafés géopolitiques, ce sont les Etats-Unis qui ont été choisis. Après l’ouragan Katrina qui a ravagé le Sud des Etats-Unis, et devant l’incurie voire les négligences de l’administration américaine face à la catastrophe, le débat fait rage outre-atlantique sur les moyens déployés en Irak pour lutter contre le terrorisme et l’incapacité des pouvoirs public à assurer la sécurité de ses concitoyens face à des risques naturels.
Compte-rendu
Le cyclone Katrina a frappé le delta du Mississipi le 29 août 2005. Cette violente tempête tropicale, accompagnée de pluies torrentielles, a balayé le sud de la Louisiane, du Mississipi et de l’Alabama. Le cyclone a provoqué de gigantesques inondations dans la ville de la Nouvelle Orléans, suite à la rupture de digues protégeant le lac Pontchartrin. Les Etats-Unis doivent alors faire face à une catastrophe naturelle de très grande ampleur. Or la gestion de la crise se révèle d’abord extrêmement chaotique. Delphine Papin souligne, en introduction, ce que cette situation a de contradictoire : les Etats-Unis, première puissance mondiale, se retrouvent en difficulté pour faire face à une catastrophe naturelle sur leur propre territoire.
Denis Lacorne montre à quel point le cyclone Katrina a été le révélateur de la fragilité et des faiblesses de l’administration Bush, ainsi que de la ségrégation toujours présente dans la société américaine. Romain Huret insiste sur les conséquences dramatiques de plusieurs décennies d’une politique sociale marquée par l’effacement et la diabolisation de l’Etat.
Les médias face à la crise
La couverture médiatique de Katrina a reflété les inégalités sociales et raciales de la société américaine. Pour introduire la réflexion, Delphine Papin oppose deux photographies et leurs commentaires (cf. Courrier International n° 775) : des habitants de la Nouvelle Orléans marchant dans l’eau avec difficulté en portant des sacs à provision. Quand il s’agit de Noirs, la légende les qualifie de pillards. Quand il s’agit de Blancs, ils ont simplement « trouvé de quoi se nourrir ».
Des rumeurs infondées
Les médias américains ont en effet diffusé, dans les premiers jours de la crise, un certain nombre de rumeurs.
Denis Lacorne rappelle à quel point elles se sont révélées infondée : plus de 10 000 morts annoncés, mais un décompte final de 900. Des rumeurs d’anarchie urbaine et de scènes de pillages, alors que ce sont d’abord les autorités municipales qui ont fait ouvrir les portes de certains magasins, pour accéder à des denrées d’utilité immédiate (eau, pansements, etc.). Des rumeurs de meurtres et de viols, or sur les 650 cadavres autopsiés à ce jour seuls 7 relèvent de mort violente. Soit moins que lors d’un samedi soir habituel d’après l’Institut médico-légal de la Nouvelle Orléans.
Conséquences sur l’organisation des secours
Diffusées largement par les médias, toutes ces rumeurs ont d’abord été encouragées par les autorités de la Nouvelle-Orléans dans l’espoir d’obtenir des secours plus rapides. Mais cela a eu le résultat inverse : les rumeurs de viols ont découragé des conductrices d’autobus de se rendre dans la ville pour évacuer la population. La Garde Nationale a du revoir à la hausse le nombre d’hommes à envoyer sur place. Bref, les rumeurs ont contribué à ralentir considérablement la mobilisation des secours.
Les clichés racistes
Les médias se sont focalisés sur le thème des violences raciales et de la criminalité. Denis Lacorne rappelle pourtant que la Nouvelle Orléans est une ville où les tensions raciales étaient plutôt faibles. 53% des habitants se déclaraient très satisfaits de leurs conditions de vie (sondage Gallop 2004).
Romain Huret insiste sur le caractère très ancré des clichés racistes dans la société américaine. Les rumeurs de viols dans le Superdome par exemple, rappellent les peurs et les fantasmes véhiculés depuis l’époque de l’esclavage : les Noirs sont vus comme une menace pour la sécurité des Blancs. La hantise de la mixité est un trait culturel et idéologique très marqué du racisme américain. Dans les années 1960 ce thème était encore exploité dans les campagnes électorales : pour briguer le poste de gouverneur de l’Alabama, Georges Wallace avait choisi une affiche représentant une femme blanche entourée de ses enfants noirs, avec pour slogan « Voulez-vous que l’Alabama ressemble à ça dans quelques années ? ». Les commentaires des médias sur le cyclone Katrina ont malheureusement montré que ces clichés et ces peurs sont toujours présents dans la société américaine.
L’autocritique des médias américains
Les médias américains font aujourd’hui leur autocritique : d’une part sur les rumeurs de meurtres et d’anarchie urbaine qu’ils ont largement contribué à diffuser, d’autre part sur la question de la pauvreté, très visible à la Nouvelle Orléans après le passage du cyclone. Denis Lacorne insiste sur le fait que les médias américains ne représentent d’habitude que les classes moyennes et ne se focalisent pas sur les quartiers pauvres. Ce thème revient dans l’actualité tous les trois-quatre ans en cas de crise, d’émeute urbaine. Tout se passe alors comme si les médias américains « redécouvraient » l’existence de la pauvreté et des tensions raciales dans la société américaine. Le cyclone Katrina a ainsi servi de révélateur de la fragmentation de la société américaine. Denis Lacorne rappelle que malgré les arrêts de la Cour Suprême et les lois des années 1960 qui ont mis fin à la ségrégation officielle, une ségrégation de fait existe toujours aux Etats-Unis : la concentration des minorités ethniques dans certains quartiers a perduré, et l’intégration scolaire a globalement été un échec. Romain Huret souligne que, dans l’autocritique à laquelle ils se livrent actuellement, les médias américains s’interrogent justement sur leur responsabilité dans le fait d’avoir si peu évoqué l’existence d’une population américaine pauvre, cela depuis une dizaine d’années.
Le cyclone Katrina, révélateur des faiblesses de l’administration Bush (Denis Lacorne)
Lenteurs et cacophonies
La crise provoquée par Katrina a rendu visibles deux aspects de la présidence Bush. La dépendance de Bush vis-à-vis de ses conseillers tout d’abord : en l’absence du principal d’entre eux, Karl Rowe (malade au début de la crise), Bush est apparu totalement désemparé, ne sachant que faire ou que dire. Le caractère très partisan de l’administration Bush ensuite, le président se montrant tout à fait incapable de dialoguer avec le parti démocrate, en la personne du gouverneur de la Louisiane. Or la situation nécessitait de toute évidence l’intervention de l’Etat fédéral, indépendamment des oppositions entre Républicains et Démocrates.
Bush s’est révélé désorienté et incompétent, alors même qu’il avait mis en avant ses capacités de management lors de la dernière campagne présidentielle (Bush se vantait d’être le premier président à posséder un MBA). Son manque de discernement s’est aussi retrouvé mis en lumière avec le scandale dont a fait l’objet l’ex-patron de la FEMA (Federal Emergency Measures Administration, l’agence fédérale chargée de la gestion des crises). Son président, Michael Brown, un proche de Bush, se préoccupait surtout de l’Arabian Horses Association et avait falsifié son curriculum vitae en gonflant son expérience en matière d’organisation des secours et en se prétendant professeur de sciences politiques. Avec Katrina, l’incompétence de Michael Brown éclate au grand jour, mais Bush hésite pourtant plus d’une semaine avant de le renvoyer.
Au total, les difficultés de gestion de la crise au niveau fédéral ont rendu le président Bush moins crédible.
La comparaison avec d’autres catastrophes naturelles américaines
La comparaison avec d’autres grandes catastrophes survenues sur le sol américain estéloquente.
En 1906, un grand tremblement de terre frappe la ville de San Francisco, faisant 3000 morts et plus de 300 000 sans abris. Des secours sont acheminés par voie ferrée depuis Los Angeles en moins de 10 heures, depuis Portland en moins de 6 heures. En deux jours, toutes les tentes de l’armée fédérale sont apportées sur place. Or après Katrina, les secours ont mis 5 jours à parvenir à la Nouvelle Orléans. Contraste paradoxal à l’heure de la société de communication et compte tenu des moyens logistiques dont dispose aujourd’hui le Pentagone.
De même, lors des grandes crues du Mississipi en 1927, la gestion de la crise avait été plus rapide, sous l’égide d’Hoover, alors ministre du commerce et riche de son expérience logistique au sein de la Croix Rouge en Europe au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’efficacité de Hoover lui assura d’ailleurs son élection triomphale en 1928. Une gestion de crise pourtant fortement raciste : les Blancs de la Nouvelle Orléans furent transportés sur des bateaux en dehors de la ville inondée, tandis que les Noirs restaient parqués dans des camps dans des conditions tout à fait insalubres. Et les Blancs chantaient sur le bateau cette célèbre chanson triste : « Bye Bye Blackbirds » (« Au revoir les merles » littéralement, mais « blackbird » est une métaphore pour désigner les Noirs).
Quelles conséquences pour le président Bush ?
L’attitude des médias vis-à-vis du président Bush a totalement changé : critiques féroces et caricatures se sont multipliées, marquant de fait un véritable tournant, une « fronde » de la presse, qui tranche avec le ton respectueux et patriotique de l’après 11 septembre. Les médias font désormais leur travail critique.
Le ton des envoyés spéciaux, qui commentaient en direct la situation sur le terrain, l’a progressivement emporté : on a assisté, sur Fox News par exemple, à des journaux télévisés où le présentateur était démenti au fur et à mesure par ses reporters, qui se montraient bien plus critiques sur la situation.
L’image du président Bush en sort dégradée. A long terme, c’est la reconstruction de la Nouvelle Orléans qui servira le plus à Bush pour tenter de reconstruire sa propre image. Le coût de la reconstruction de la ville est estimé à environ 150 ou 200 milliards de dollars, ce qui ne représente que le quart du budget militaire annuel des Etats-Unis. A l’échelle de ce pays continent, la catastrophe n’est donc pas si massive.
Il reste à réfléchir sur le caractère annoncé de cette catastrophe : pourquoi, malgré les avertissements des experts (pourtant repris par la presse un an auparavant) l’organisation des secours et la prévention ont-elles si mal fonctionné ? La comparaison avec la situation hollandaise, pays aux 3000 inspecteurs des digues, serait à creuser.
La société américaine face à l’ouragan (Romain Huret)
Un revirement des discours sur le rôle de l’Etat fédéral
Depuis le cyclone Katrina, la scène politique américaine semble être devenue un véritable Bal des Tartuffes. On a vu le sénateur du Mississipi faire campagne pour la restauration de l’Etat fédéral, aux antipodes de ses prises de position habituelles. On a vu Clinton s’insurger contre le drame et se réconcilier en même temps avec la famille Bush. Un Clinton pourtant largement responsable du démantèlement du Welfare State il y a dix ans, et qui réclame aujourd’hui plus d’Etat et plus de fonds privés ! Même discours chez les journalistes, qui demandent eux aussi « plus d’Etat » alors que les médias faisaient jusque là de l’Etat fédéral la source de tous les maux de la société américaine. C’est un véritable retournement : depuis une trentaine d’années, l’action principale de l’Etat fédéral américain a été réduite aux aspects sécuritaires, or on assiste depuis Katrina à une demande de renforcement de l’autorité de l’Etat dans l’ensemble de ses fonctions régaliennes.
Une pauvreté devenue très visible
Pourquoi la pauvreté est-elle si visible aujourd’hui à la Nouvelle Orléans ravagée par le cyclone ?
La Louisiane fait partie des Etats américains les plus pauvres, avec une population pauvre deux fois plus importante en moyenne que dans les autres Etats. Surtout, la pauvreté est visuellement marquée à la Nouvelle Orléans : les quartiers les plus élevés, et donc les moins touchés par les inondations, étaient les quartiers les plus riches. Ce sont donc les quartiers pauvres qui ont été les plus touchés. La pauvreté redevient à nouveau visible, et c’est bien cela qui a choqué l’opinion : car ce sont les plus pauvres qui sont restés dans la ville, ce sont donc eux que l’on a surtout entendu témoigner, que l’on a vu être évacués, etc. C’est ce qui explique la focalisation médiatique qui s’est opérée très rapidement.
Les commentaires des médias ont privilégié les explications d’ordre économique : « les pauvres sont restés, car ils n’avaient aucun moyen de partir : pas de voiture, pas de travail, pas de ressources pour s’installer ailleurs ». Mais la détresse de ces populations ne date pas du cyclone.
« L’underclass » américaine
Les analyses que menait il y a 20 ans le sociologue W. Julius Wilson sont toujours d’actualité. Wilson montrait que, suite à un long processus, une « underclass » était apparue dans la société américaine. Dans les années 1970-1980, les classes moyennes blanches abandonnent les centre-villes pour s’installer en banlieue. Les plus pauvres demeurent au c ?ur du tissu urbain. Les mairies se retrouvent en situation de banqueroute : peu de recettes, car la population pauvre paie peu d’impôts, mais beaucoup de dépenses à assurer pour faire fonctionner l’aide sociale. Une « sous-société » se créée donc à l’intérieur de la société américaine. Wilson montre qu’il ne s’agit pas uniquement d’une définition économique, cette population pauvre étant destinée à le rester. En effet, dans les années 1980 la pauvreté semble devenir de plus en plus héréditaire, car les mécanismes de mobilité sociale ne fonctionnent plus. L’analyse de Wilson le portait à conclure que la seule manière d’aider ces populations était une plus grande intervention de l’Etat fédéral, une sorte de nouveau New Deal en quelque sorte.
Mais au cours des années 1980-1990, c’est la conclusion inverse qui domine : l’idée s’impose que les pauvres sont responsables de leur pauvreté. C’est le sens des discours de Reagan, qui voit dans l’Etat providence la source même de la pauvreté. Pour Reagan, la source du mal, c’est justement l’Etat.
Sous l’administration Clinton, le parti démocrate a également largement abandonné les questions de pauvreté (qui ont d’ailleurs été en grande partie absentes de la campagne de Kerry). Clinton, en Démocrate du Sud, avait beaucoup de difficulté à envisager une aide financière de l’Etat aux populations sans qu’il n’y ait de contrepartie. Il a donc estimé qu’il était nécessaire de créer un sursaut individuel chez les pauvres, en limitant l’aide sociale dans le temps. C’est Clinton qui propose et fait voter une réforme de l’aide sociale qui met en place un système de contreparties (comme par exemple l’obligation de travailler après un certain temps de chômage, ou la limitation à deux ans de la perception de certaines aides). Or les Etats-Unis connaissent, sous Clinton, une période extraordinairement prospère : le pays s’enrichit, et cela contribue aussi à masquer (notamment dans les médias) l’image de la pauvreté. En ce sens, la situation des Etats-Unis pendant les années 1990 rappelle fortement ce qui s’est passé dans les années 1920.
L’abandon des structures d’aides sociales a eu des conséquences dramatiques pour les populations. Bush a poursuivi cette réforme de l’assistance, en permettant notamment aux associations religieuses et philanthropiques de prendre davantage en charge les pauvres. Cette réforme de l’aide sociale vers une plus grande privatisation, prévue avant le cyclone Katrina, n’a pas encore été votée. Mais le fait est qu’on se dirige vers un démantèlement progressif de l’Etat providence.
Quelles conséquences sur les politiques publiques américaines ?
Katrina va-t-elle provoquer une modification de la politique sociale américaine ? Rien n’est moins sûr. Passé le temps de l’indignation, on peut très vite en revenir aux débats politiques en oubliant les promesses faîtes.
Or c’est bien avec la logique de diabolisation de l’Etat qu’il s’agit de rompre. Une rupture qui doit être faite aussi bien chez les Républicains que chez les Démocrates. Mais la pauvreté urbaine ou la ségrégation de fait sont des thèmes qui mobilisent peu les électeurs
La seconde grande rupture que l’on peut souhaiter concerne la logique sécuritaire. Après les attentats du 11 septembre, le discours sécuritaire de Bush était totalement cohérent avec l’évolution politique de la société américaine : l’Etat devait être le garant de la sécurité, c’était même son unique fonction. Il serait temps que soient prises en compte les profondes limites d’une telle vision des fonctions de l’Etat.
Katrina a-t-elle véritablement provoqué le début d’une prise de conscience, et d’un revirement par rapport à la diabolisation de l’Etat fédéral ? Il est trop tôt pour le dire. Mais la reconstruction de la Nouvelle Orléans pourra en être (ou non) le marqueur. Le maire de la Nouvelle Orléans a d’ores et déjà fait savoir que la ville ne pourra pas être reconstruite sans aide fédérale. Or les difficultés s’accumulent dans les quartiers pauvres. C’est le cas par exemple pour l’université qui, faute d’une police d’assurance suffisante, se retrouve en situation de banqueroute. C’est le cas aussi pour un certain nombre d’hôpitaux des quartiers pauvres : bien moins assurés que les hôpitaux des quartiers aisés, ils ont besoin d’aides publiques pour pouvoir fonctionner à nouveau. De façon générale, sans l’aide de l’Etat, les quartiers pauvres de la ville vont avoir beaucoup de difficultés à se reconstruire. Se pose aussi la question du retour des populations face aux appétits immobiliers qui se manifestent déjà sur certains quartiers à reconstruire.
Débat
Les questions ont principalement porté sur les conséquences de la crise sur la politique extérieure des Etats-Unis (éventuels effets sur l’engagement américain en Irak, conséquences sur la position américaine vis-à-vis du protocole de Kyoto), ainsi que sur la situation de la communauté noire dans la société américaine.
Les conséquences de Katrina sur la politique extérieure des Etats-Unis
Denis Lacorne insiste sur l’évolution critique des médias américains vis-à-vis de Bush : la gestion de la crise a fait l’objet de critiques abondantes, on peut donc s’attendre à ce que les médias américains se montrent désormais moins complaisants également sur l’Irak. Mais il faut rester prudent : l’évolution de l’opinion américaine n’aura pas le même poids que lors de la guerre du Vietnam où la conscription était obligatoire, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La mauvaise gestion de la crise a surtout rendu Bush moins crédible : le manque de planification et de réflexion à long terme a été criant, ce qui rappelle fortement les erreurs de l’administration Bush vis-à-vis de la situation en Irak. D’une certaine manière, le cyclone a rendu plus visible le caractère « donquichottesque » de Bush : il a spéculé sur les armes de destruction massive en Irak sans se préoccuper des probabilités bien plus réelles de catastrophes naturelles sur le territoire américain.
Romain Huret montre que l’orientation des politiques publiques américaines, et donc des dépenses, ne sera pas forcément remise en cause, même si l’indignation de l’opinion américaine suite au cyclone a été très forte. En effet, les classes moyennes acceptent aujourd’hui de payer des impôts pour garantir la sécurité extérieure des Etats-Unis. Mais vont-elles accepter de payer pour aider les Américains pauvres ? Ce n’est pas certain. Il faut rappeler que les Américains se montrent globalement très généreux (beaucoup plus que les Français d’ailleurs) pour financer des associations caritatives. Mais ils sont beaucoup plus réticents quand il s’agit de donner de l’argent à l’Etat. On retrouve ici l’idéologie dominante qui s’est imposée dans les années 1980-1990 : la majorité des Américains estiment que les aides fédérales contribuent en fait à maintenir les pauvres dans leur pauvreté. Les Américains ne croient plus dans l’efficacité des grands programmes sociaux et se méfient de l’intervention de l’Etat fédéral. Cela s’explique aussi par la conviction, fortement ancrée dans la société américaine, que c’est à l’échelle locale et non fédérale que la lutte contre la pauvreté est la plus efficace.
La question d’un éventuel lien entre la mauvaise gestion de la crise et la présence de nombreuses troupes américaines en Irak étant soulevée, Denis Lacorne insiste sur le fait qu’il n’en est rien. Les nombreuses erreurs logistiques et de gestion dans l’organisation des secours en Louisiane n’ont absolument rien à voir avec l’Irak. Certes, une partie de la Garde Nationale de Louisiane n’est pas intervenue, les soldats étant en Irak. Mais les gardes nationaux des autres Etats le pouvaient. Le problème est qu’ils n’ont pas été prépositionnés à temps. Enfin, il faut rappeler à quel point la diffusion des rumeurs de meurtres et d’anarchie urbaine ont pénalisé l’organisation des secours.
Une évolution de la position américaine sur le protocole de Kyoto ?
Denis Lacorne montre que c’est loin d’être le cas : il ne semble pas que le cyclone Katrina ait provoqué une évolution sur le fond, ni entraîné des changements dans les modes de consommation. Il n’a pas de pression suffisamment forte de la part de l’opinion américaine pour provoquer une évolution de la politique de Bush sur ce thème.
Romain Huret souligne également le manque de relais politique sur les questions écologiques dans la société américaine : l’écologie n’a pas bonne presse, surtout quand elle est perçue comme « anti-américaine ». C’est l’argument qu’utilise le discours conservateur (repris par Fox News entre autres) quand il reproche aux Démocrates américaines de vouloir « empêcher les Américains de conduire » sous prétexte de réduire la pollution. C’est la préservation de l’American way of life qui l’emporte.
Quel avenir pour la communauté noire ?
Denis Lacorne montre que la lutte contre la ségrégation de fait est rendue difficile par les effets pervers des découpages électoraux. Les découpages électoraux ne sont absolument pas fondés sur une mixité sociale et ethnique de l’électorat, qui obligerait les élus à prendre en compte les aspirations de tous. Les découpages favorisent au contraire la réélection des élus sur des territoires socialement homogènes, au détriment d’une compétition électorale qui serait plus propice à la prise en compte globale des inégalités sociales urbaines.
Romain Huret insiste sur le fait que la « communauté noire » américaine n’est absolument pas homogène. Le niveau de vie des Noirs américains est très varié. La grande bourgeoisie noire ou la classe moyenne n’ont pas les mêmes préoccupations, les mêmes intérêts et les mêmes comportements électoraux que l’underclass, qui d’ailleurs ne se déplace pas pour aller voter.
Compte-rendu : Caroline Lechat
Au Café des Phares ; 7, place de la Bastille ; 75004 Paris ; Métro : Bastille