Le rôle de la topologie d’Internet dans les territoires en conflit en Ukraine, une approche géopolitique du routage des données
Les systèmes autonomes (AS) sont les unités de base du routage des données : ils sont les réseaux (fournisseurs d’accès Internet, fournisseurs de contenu, entreprises etc.) qui, par leurs interconnexions, constituent l’Internet. En établissant entre eux des accords de connexion via le protocole BGP, les AS permettent de faire circuler les données d’un point à l’autre du globe. Dans cet article, nous montrons comment le réseau des AS est à la fois révélateur et partie prenante de luttes de pouvoir sur des territoires en conflit. Le comportement de ces systèmes, et en particulier leur connexion avec le reste du réseau, répond à des contraintes géopolitiques : il dépend de choix commerciaux, politiques, géographiques, juridiques. Le territoire et les rivalités de pouvoir qui s’y appliquent se trouvent transformés par cette topologie. En déterminant les chemins par lesquels passent les données, les administrateurs des systèmes autonomes font émerger des territoires et des formes de « puissance-topologie » (Allen, 2011). Notre méthodologie combine géopolitique et sciences techniques (informatique, géométrie), et se fonde sur des récoltes de données des interconnexions entre systèmes autonomes. Nous utilisons une approche empirique de lecture de graphes issus de ces données sur une étude de cas : les territoires conflictuels en Ukraine. Nous montrons comment l’infrastructure technique de BGP met au jour un nouveau vecteur de la puissance russe en Crimée et dans le Donbass, mais aussi comment le réseau Internet s’intègre directement dans des dynamiques de transfert de souveraineté.
Un article de Louis Pétiniaud (doctorant à l’IFG) et de Loqman Salamatian (doctorant à Columbia University) à retrouver dans la revue l’Espace Politique.