“Les Etats-Unis et le monde”
En ce jeudi 5 juin 2003, à 19 h, au Lounge Bar de la Bastille, les grèves retardent la mise en route du café géopolitique. Vers 19 h 30, Delphine PAPIN entame la soirée par un rappel du contexte dans lequel est né le café géopolitique : une collaboration entre les Cafés géographiques lancés parGilles FUMEY et la revue Hérodote fondée et dirigée par Yves LACOSTE. Cette soirée est alors dédiée à la sortie du numéro 109 de la revue de géographie et de géopolitique sur le thème “Les Etats-Unis et le reste du monde”, dont 3 auteurs d’articles animent le café de ce soir. Yves LACOSTE intervient pour signaler les difficultés de la création de ce nouveau numéro de la revue, après le traumatisme du 11 septembre 2001. Les articles étaient prêts à parution quand a éclaté la guerre en Irak : les auteurs ont accepté de retravailler leur papier pour apporter un éclairage sur l’actualité. Ce numéro paraît donc en pleine tourmente, mais tente de voir les choses avec recul. Ainsi, les articles démontrent que les attentats ont nourri les représentations américaines du monde. C’est sur ce thème que Frédérick DOUZET débute les interventions.
Frédérick DOUZET, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, chercheur à l’Institut français de géopolitique, commence son allocution par les représentations des Américains en fonction des réactions françaises épidermiques aux événements. La société française est parcourue d’un antiaméricanisme primaire et latent, y compris chez les intellectuels, qui n’attend qu’à rejaillir lors de crises, d’autant plus que cet antiaméricanisme se nourrit du sentiment antifrançais qui s’est développé aux Etats-Unis. Il y a entre ces deux Etats une longue relation ambivalente de rejet et de fascination. La représentation que se font ces deux pays d’eux-mêmes a un rôle dans le conflit politique qui les oppose. Rappelons qu’une représentation est la façon dont un groupe politique, un peuple se représente à travers son territoire, son identité, ses valeurs. Ce sont les idées qui motivent les acteurs. Dans le cas de la guerre en Irak, les Américains ont ressenti comme une trahison le non interventionnisme français. Il n’y a pas eu de réelle analyse des problèmes : les réactions demeurent primaires et empêchent tout effort de compréhension. Pour mieux analyser et donc comprendre la situation, il s’agit, pour nous Français, d’admettre certaines réalités : les Etats-Unis sont la seule hyperpuissance capable d’intervenir dans un conflit international comme en Bosnie, en Irak. Ils sont incontournables sur la scène internationale. les représentations des dirigeants américains et de la population américaine sur Saddam Hussein perçu comme le Mal absolu, ce qui explique que la population soit favorable à la guerre même si elle est pacifiste. Les deux comportements sont compatibles. l’impact traumatisant des attentats du 11 septembre : les Américains se sentent en guerre contre le terrorisme au niveau mondial et ne comprennent pas que toutes les démocraties ne les suivent pas. le rôle des idées et de leurs fonctions dans un conflit. Les Américains n’ont pas perdu tout sens critique de la situation, mais ils réagissent depuis le 11 septembre 2001 en fonction de deux sentiments : le patriotisme et le nationalisme. Le patriotisme prône la défense du territoire, l’attachement à la patrie. Il a ressurgi avec les attentats comme l’attestent de nombreux comportements collectifs tels la floraison de drapeaux américains. Ce sentiment est d’autant plus marquant que dans les années 1990 s’était développée la théorie de la perte de ciment national aux Etats-Unis, par l’immigration, le multiculturalisme et la remise en cause du melting pot suite aux exclusions que subissent les Afro-Américains et les nouveaux arrivants. On parlait alors, pour décrire la population américaine, de mosaïque, de salade mélangée (“salad bowl”), d’une balkanisation de l’Amérique et de désunion. Les événements récents ont démontré la fausseté de ce raisonnement : le sentiment national américain est très fort. Certes, les attentats ont permis de ressouder la nation car ils ont touché, sans distinction, toutes les couches sociales, religieuses et ethniques. En fait, les Etats-Unis ne sont pas une nation au sens de nation civique ou ethnique, c’est une nation à identités multiples. Pourtant l’unanimité face à la guerre en Irak n’est pas totale. Autant l’opinion américaine soutenait à 92% l’intervention armée en Afghanistan, autant elle est partagée sur l’intervention en Irak car les choses sont là plus compliquées. Mais, le nationalisme a pris le relais et transformé les opposants à l’intervention en mauvais patriotes, si bien que même les politiciens sont tétanisés ayant peur d’apparaître sous ce jour peu flatteur. Rappelons que le nationalisme est la volonté de suprématie d’une nation, de ses valeurs et ses intérêts. Ce nationalisme américain est renforcé par les médias et la propagande officielle menée par George W. Bush en faveur de la guerre. Il y a alors une confusion entre patriotisme et nationalisme, car quand les Boys américains sont sur le terrain, le patriotisme ressurgit et entraîne un soutien de fait à la guerre. Mais dès que les combats se sont arrêtés, la population a demandé des comptes surtout sur l’existence réelle des armes de destruction massive et sur la reconstruction de l’Irak. Le patriotisme et le nationalisme sont de cette manière très puissants actuellement aux Etats-Unis. Bush l’a bien compris et sent sert pour faire oublier les problèmes internes. Mais ce comportement n’entraînera-t-il pas la renaissance de l’impérialisme américain ?
Pierre MELANDRI, historien, professeur à l’I.E.P. de Paris, rebondit sur l’intervention de Frédérick DOUZET et s’interroge sur l’existence actuelle d’un empire américain et sur le contexte de sa création. La réponse semble évidente : les Etats-Unis dominent le monde et imposent leurs vues. Pourtant, ils sont réticents à être un empire. Ils ne sont pas des colonisateurs : ils ne possédaient que quelques colonies dans le Pacifique à la fin du XIXème siècle. En effet, les souvenirs impérialistes américains ont laissé des souvenirs mitigés et même incompatibles avec l’histoire américaine. Rappelons que les Etats-Unis sont d’anciennes colonies révoltées contre l’impérialisme et le colonialisme. Rappelons que les Etats-Unis ont une idéologie : la liberté. Les Etats-Unis appliquent la stratégie de la porte ouverte : ils sont partis à la conquête économique du monde mais en respectant les souverainetés nationales et les intégrités territoriales. L’impérialisme est nécessaire mais bienveillant, ce que Jefferson nommait “l’empire de la liberté”. George W. Bush dans son discours sur l’état de l’Union affirmait encore que les Etats-Unis sont “la puissance sans esprit de conquête”. Ainsi, les Américains veulent préserver une expérience nationale unique. Or, devenir un empire serait une remise en cause politique de ce modèle, car pour les Américains les empires sont des régimes autoritaires, ce qu’affirment les dictionnaires américains du XIXème siècle. Il y a cependant eu au cours de l’histoire deux types d’empire américain : l’expansion territoriale de la première moitié du XIXème siècle qui s’est effectuée par contiguïté territoriale : c’est la Conquête de l’Ouest. Cette expansion a permis d’étendre des droits égaux aux autres états entrés dans l’Union. l’empire informel formé au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale sur invitation des Européens pour combler le vide géopolitique laissé après Hitler et pour limiter le développement du communisme soviétique. Les Etats-Unis sont alors devenus impériaux par nécessité. Pour protéger leur expérience exceptionnelle de nation composée de nationalités multiples, ils ne pouvaient qu’adopter deux attitudes qu’ils ont suivi tour à tour, avec pragmatisme : l’isolationnisme ou l’interventionnisme. Mais les périodes d’isolationnisme ont été peu nombreuses et ponctuelles, reflétant avant tout le comportement d’une jeune République peu puissante, vivant sous la domination anglaise et isolée sur son continent par les océans. La Première Guerre Mondiale a modifié cet état de fait. Les Etats-Unis sont alors embarqués dans un système mondial, repris par le wilsonnisme. Les Américains voulaient projeter leur expérience sur le reste du monde et avaient une approche multilatérale de sécurité collective dans le cadre d’une organisation internationale, la Société des Nations. L’échec de l’”América First” des années 1920 conduisit Roosevelt à combiner le wilsonnisme avec la réassurance que les souverainetés nationales seront respectées, ce qui aboutit à la mise en place du droit de veto lors de la création de l’Organisation des Nations Unies. L’impérialisme actuel est né de l’échec de cette troisième formule. La perte de puissance économique des Etats-Unis face au développement des Européens et des Japonais, la disparition de l’URSS (et donc de ce qui faisait le ciment des nations derrière les Américains pendant la Guerre Froide) et la découverte de leur vulnérabilité ont amené les Américains à vouloir diriger plus directement sur une base discrète faite de la fiction du concert des nations par l’intermédiaire de l’OTAN. Ils ont appliqué une retenue stratégique dans l’exercice de leur domination et ont tenu compte de l’avis de leurs alliés car ils ont retenu les leçons de l’Histoire : l’unilatéralisme conduit à l’échec (Viêt Nam), l’affaiblissement de leur camp démocratique peut être à terme un problème.
Les Etats-Unis sont ainsi un empire du milieu fondé sur le rôle prééminent de Washington, sur l’importance de la relation bilatérale à sens unique, sur des considérations locales américaines qui priment sur les idées internationales et sur le changement des alliances. Mais, les attentats du 11 septembre ont levé le verrou sur une politique extérieure active, ont renforcé le droit à la légitime défense : les Etats-Unis ont désormais pour mission de faire prévaloir leur vision de la sécurité, et ont donné une impulsion à tous ceux qui estimaient qu’il fallait faire triompher la démocratie et l’économie de marché de par le monde. Si le communisme était selon Truman le résultat de la misère, le terrorisme est pour Bush le sous-produit du manque de démocratie. Les interventionnistes ont dès lors toute leur place et l’ont affirmé dans le “National Security Stategy” en septembre 2002 : la démocratie et l’économie de marché doivent s’imposer pour le progrès de l’humanité, les Etats-Unis ont droit à l’hégémonie pour conserver la sécurité des démocraties. Les Américains se posent donc en législateurs, juges et policiers du monde. Mais cette attitude est-elle vraiment tenable ? En effet, elle suppose le consensus avec les autres démocraties, consensus qui n’est pas acquis. Elle suppose que l’opinion américaine soit prête au sacrifice, or elle y répugne. A appliquer ce nouvel impérialisme, les Etats-Unis prennent le risque de mettre en danger leur expérience nationale de démocratie et de liberté.
Etienne de DURAND, chercheur à l’Ifri, prend la parole et revient sur la notion d’empire en rappelant qu’elle prend ses racines dans le mot latin “imperium” qui désigne le pouvoir militaire, le pouvoir de commandement. Les origines de la puissance américaine sont à rechercher dans la puissance militaire. Si dans les années 1980, on pouvait avoir une image d’échec de l’armée américaine, 20 années de reconstruction militaire, lancée sous Jimmy Carter et accentuée sous Ronald Reagan, ont transformé les Etats-Unis en hyperpuissance. C’est une puissance à la mesure des moyens engagés : un budget militaire de 390 milliards de dollars, ce qui équivaut au budget des 20 à 30 plus grandes puissances militaires mondiales réunies. Citons en comparaison les budgets militaires de quelques nations : la France 30 milliards de dollars, la Chine 40 milliards et l’Allemagne 23 milliards. une armée de 400 000 hommes, alors que la Russie n’en a plus que 50 à 60 000. c’est la seule puissance militaire mondiale qui a une capacité de projection au loin (nombre de tonnes d’acier déplacées en un temps donné sur un lieu donné) de 100 000 tonnes en 40 à 50 jours en n’importe quel point du globe. Cette capacité prolonge la tradition d’un Occident capable de débarquer n’importe où n’importe quand. 300 000 personnels militaires américains sont présents chaque année à l’étranger, principalement en Europe et au Moyen-Orient. Les seules zones où les Etats-Unis ont une moindre présence sont l’Afrique et l’ex-URSS, mais même là cette situation a tendance à changer. Les Etats-Unis ont divisé, lors de la Guerre Froide, le monde en grands commandements, les “Central Command”. des technologies militaires de pointe grâce à la révolution des communications (capacité de recueillir des informations en temps réel), à la miniaturisation de l’électronique qui permet une plus grande précision des frappes, encore augmentée par le guidage laser, le GPS. Les Américains sont capables de “poser” une bombe à un endroit voulu, sauf erreurs humaines, coups de vent ou pannes, avec un écart circulaire probable (rayon dans lequel une bombe ou un missile ont une probabilité de 50% de tomber par rapport à l’objectif visé) de 5 à 10 mètres, contre 5 000 mètres pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ce chiffre devrait passer dans les 10 ans à venir à 2 ou 3 mètres. Les Etats-Unis sont les seuls à détenir ce type de technologies, les Européens n’ont en ce domaine que des capacités parcellaires. Les conséquences de cette suprématie militaire sont multiples. Au niveau stratégique, elle permet des interventions dont l’issue est le plus souvent favorable aux Etats-Unis. En effet, à l’heure actuelle, vouloir combattre les Américains à la loyale relève du suicide militaire. Les interventions militaires sont par ailleurs plus faciles et mieux acceptées car elles tuent moins de civils (en Afghanistan, seuls 500 à 1 000 civils ont été tués) et impliquent moins de militaires qui sont davantage protégés. Mais la puissance a des effets pervers. Les Etats-Unis répugnent de plus en plus à envoyer leurs Boys sur le terrain, ne prévoient pas de planification de reconstruction après une intervention. C’est “l’Exit Strategy” : ils interviennent pour un problème donné et se retirent rapidement. Les Américains laissent le travail de reconstruction et les opérations de maintien de la paix à leurs alliés. Ces alliés, quant à eux, sont “largués” militairement pour des raisons logistiques, technologiques, financières. Ce décalage entraîne des difficultés de coopération technologique et technique. Enfin, les seuls réels moyens que possèdent les ennemis de l’Amérique pour se battre sont le terrorisme, ce qui pose un problème de taille aux Etats-Unis qui peuvent être confrontés, sur leur territoire, à des attaques de nature biologique, radiologique ou sous la forme d’attentats comme le 11 septembre 2001. Quoiqu’il en soit, le fossé capacitaire et doctrinal entre les Etats-Unis et le reste du monde, au niveau militaire, va durer et se renforcer dans les décennies à venir.
DEBATS
Les questions posées aux intervenants pendant le débat ont permis de préciser certaines idées et hypothèses. Un premier contradicteur met en exergue l’apparente contradiction entre l’intervention de Pierre MELANDRI et celle d’Etienne de DURAND : l’approche militaire et l’Exit Strategy ne sont-elles pas contradictoires avec la volonté de développer la démocratie dans le monde ? Pierre MELANDRI répond en insistant sur l’écart entre les idéaux et les méthodes employées : si en théorie les Etats-Unis sont favorables à la démocratie, en pratique, envoyer sur le terrain des hommes à long terme pour des opérations de reconstruction coûte cher, si bien que l’opinion américaine y est opposée. Les Etats-Unis laissent donc la reconstruction aux Européens ou à l’ONU (“les Etats-Unis préparent à manger, l’Europe fait la vaisselle”, selon les Américains). Etienne de DURAND confirme les propos de Pierre MELANDRI : contrôler une population coûte cher en hommes. Pour l’éviter, il faut souvent avoir recours aux négociations avec des chefs locaux, négociations financières parfois, ce qui n’est pas très démocratique ! En fait le vrai paradoxe n’est-il pas plutôt dans le discours officiel de l’administration Bush qui a fait campagne électorale contre Clinton sur la trop forte présence des troupes américaines à l’étranger comme en Bosnie, alors que cette nouvelle administration réalise les mêmes travers ?
Yves LACOSTE se demande comment expliquer l’efficacité américaine sur une grande agglomération comme Bagdad, alors que les opinions françaises et arabes prédisaient l’enlisement des troupes américaines. Etienne de DURAND pense qu’il est trop tôt pour savoir. Seules quelques hypothèses peuvent éclairer les événements. Premièrement, l’armée américaine est entraînée, elle est formée de professionnels, elle est très bien équipée. Mais pour une guerre en ville la technologie n’est d’aucun secours. Il faut plutôt trouver les réponses chez les Irakiens : les Bagdadi n’ont pas beaucoup résisté, les soldats de l’armée régulière ont jeté leurs fusils et sont rentrés à pied, la Garde républicaine n’a pas résisté peut-être pour se venger de la méfiance que Saddam Hussein lui témoignait. Seuls la région de Tikrit, la Garde spéciale et les Feddayin se sont battus. Enfin, Bagdad est une agglomération très étendue avec de grandes avenues dans laquelle la guérilla urbaine est difficilement réalisable. Frédérick DOUZET complète en précisant que notre vision de Bagdad était tronquée par notre représentation : nous voulions voir l’armée américaine s’enliser. Etienne de DURAND reprend la parole en ajoutant que les combats ont été très rapides : l’armée américaine avançait au rythme de 50 km/ jour, soit autant que Napoléon ou Ghengis Khan dans leurs meilleurs jours, sachant que c’est un maximum jamais dépassé. En revanche, la stratégie voulue par les plans d’action de Romsfeld était risquée : il a privilégié l’avance rapide, sans créer de front, au risque de laisser des trous et de laisser l’intendance loin derrière.
Une troisième question porte sur la faiblesse américaine face au terrorisme. Existe-t-il aux Etats-Unis une réflexion et un investissement dans la lutte contre le terrorisme et pour le développement des agences de renseignements ? Etienne de DURAND acquiesce : il y a des réflexions en cours, mais les Américains préfèrent privilégier la neutralisation des armes, y compris à l’étranger par le biais d’interventions militaires ponctuelles, aux renseignements dont les méthodes ont été remises en question lors de la guerre au Viêt Nam (opération Phénix) et aux actions de police peu vendeurs et peu efficaces. Frédérick DOUZET précise que les Américains sont très attachés aux libertés individuelles et voient d’un mauvais œil les renseignements, même si il est vrai que le “Patriot Act” récemment adopté affaiblit les garanties du 4ème amendement de la Constitution américaine. Une nouvelle question prolonge le débat : n’y a -t-il pas une crainte que l’influence de l’empire à l’extérieur mène à la dictature intérieure par l’amoindrissement de la séparation des pouvoirs et la concentration de ceux-ci dans les mains de l’exécutif ? Pierre MELANDRI est d’accord : on assiste actuellement au retour de la présidence impériale qui avait été pulvérisée par le Viêt Nam. L’administration Bush est déterminée à rétablir un exécutif fort. D’ailleurs, le premier décret d’Ashcroft, secrétaire d’Etat à la Justice, portant sur le droit de l’exécutif au secret était déjà en préparation avant le 11 septembre. Les attentats ont été l’occasion en or pour le faire passer car la patrie était en danger. Le “Patriot Act” a été conforté par les cours de justice au regard des circonstances à chaque fois qu’une plainte a été déposée. Le président Bush aurait donc utilisé la peur des Américains pour remporter les élections présidentielles et cumule actuellement l’exécutif et le législatif, d’autant plus que les leaders de la majorité au Sénat sont des proches du président. Frédérick DOUZET confirme ce point de vue en expliquant que l’instrumentalisation de la peur permet de diminuer les libertés civiles. Les Américains ne réagissent pas pour l’instant car ils sont encore en période post-traumatique des attentats. Il faut attendre que le traumatisme s’atténue pour voir les évolutions à moyen et long terme.
Gilles FUMEY demande alors quelles sont les origines de notre antiaméricanisme et si il est partagé dans le monde. Frédérick DOUZET explique que la puissance américaine fascine la France mais la dérange car les Français ont une idée de grandeur de leur pays et se voient battus par les Etats-Unis dans de nombreux domaines, alors que c’est la France qui les a aidés à se créer lors de la Guerre d’Indépendance. Cet antiaméricanisme est partagé dans le monde mais sous d’autres formes. Pour les pays arabes, il ne faut pas s’y tromper, ils sont encore plus virulents mais pour des raisons religieuses, culturelles. Il s’agit davantage d’un choc de civilisations. Pierre MELANDRI pense que, actuellement, il faudrait plutôt parler “d’antibushisme” : c’est la politique de l’équipe dirigeante américaine, son caractère impérialiste, qui est remise en cause et mal vue par nombre de pays. Pierre MELANDRI précise également que le conflit politique entre les Etats-Unis et une partie de l’Europe est une querelle de famille : les Etats-Unis défendent une vision libérale du monde alors que la France ou l’Allemagne défendent la sociale démocratie (actuellement en crise), ce qui crée des tensions. Dans le cas des pays arabes, c’est un antioccidentalisme dans lequel les Etats-Unis “payent” car étant la puissance dominante, ils sont en première ligne. Gérard DOREL émet l’hypothèse que l’antiaméricanisme est souvent un désir inassouvi d’aller en Amérique comme les Néo-Américains sont souvent antifrançais (“french bashing”). L’antiaméricanisme français ne serait-il pas finalement le résultat du choc de deux prétentions à l’universel ? Pierre MELANDRI trouve les sources du “french bashing” actuel chez les intellectuels américains et est entretenu par le Pentagone qui lance de fausses rumeurs dans les médias (exemple : les Français auraient fourni des visas aux membres du parti Baas). La France est une entrave pour les Etats-Unis car elle est favorable à l’ONU. Mais il ne faut pas oublier que chez les intellectuels français il y a aussi une tradition d’antiaméricanisme que l’on trouve par exemple chez Maurras.
A 21 h 30, le débat s’achève sur cette question d’une relation ambiguë entre les Etats-Unis et la France, deux prétentions à l’universel qui se sont aidées au fil des siècles, se fascinent et se déchirent.
Alexandra MONOT, agrégée de géographie alexandra.monot@wanadoo.fr
Lounge Bar