Les mondialisations font-elles un seul monde?
Snax Kfé
182, rue St Martin
75003 Paris
M° Châtelet-les Halles / Rambuteau / Etienne Marcel
Lundi 8 novembre 2010 de 19h à 21h00
A l’occasion de la sortie de l’ « Atlas des mondialisations » édité par le partenariat La Vie-Le Monde, deux géographes-hsitoriens Christian Grataloup et Sylvain Kahn viennent nous raconter les mondialisations d’hier et d’aujourd’hui : des toutes premières formes de mondialisations (migrations, conquêtes, échanges) à leurs structurations par la mise en place d’institutions internationales.
Ils évoqueront pour nous et avec nous les questions soulevées par cet atlas telle que : Peut-on concevoir le monde? Le monde n”a t-il qu”une seule histoire ? Pourquoi des mondialisations font-elles un seul monde ? Faut-il avoir peur de la mondialisation ? Les mondialisations sont-elles réversibles ?
Les intervenants :
Christian Grataloup, géographe, professeur à l”université Paris-Diderot. Il est l’auteur de « l’invention des continents » (Larousse 2009) et d’une « Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du Monde », (Armand Colin collection U, 2010, seconde édition)
Sylvain Kahn, historien et géographe, professeur agrégé à Sciences Po et producteur de « Planète Terre » sur France Culture. http://www.franceculture.com/emission-plan%C3%A8te-terre.html
Il est CO-auteur du « Dictionnaire critique de l?Union européenne » (Armand Colin, 2008), « Géopolitique de l”Union européenne » (Armand Colin, 2007) et des « Les universités sont elles solubles dans la mondialisation ? » (Hachette Littératures, 2006, avec E. Davidenkoff)
eopolitique.net
Compte rendu
La première question que soulève cet atlas est l”utilisation du concept de « mondialisations », au pluriel. Plusieurs pages sont d”ailleurs consacrées au début de l”atlas à la définition des mondialisations. Pour Christian GRATALOUP, l”usage du pluriel s”explique pour deux raisons. La première se conjugue au présent : le monde possède différentes facettes (économie, société, culture, environnement…) extrêmement variables qui donnent des virtualités pour l”avenir différentes. C”est donc l”avenir qui est au pluriel. D”autre part, il existe une forte dimension rétrospective : différents processus auraient pu donner des mondialisations différentes et aujourd”hui il s”agit d”esquisser différentes pistes, chinoise par exemple, pour construire un monde qui n”avait rien d”inévitable.
Christian GRATALOUP revient sur la conception plurielle de la mondialisation et nous présente l”Atlas. Il existe une confusion entre international et mondial. Le champ des relations sur la planète est passé d”un niveau « international » à une ampleur « mondiale ». La mondialisation est un processus de longue durée qui tend à créer du social au niveau mondial. Le monde gomme les frontières et tisse les idées et les opinions. Pour illustrer ce propos, il s”appuie sur une série de cartes issues de l”Atlas, en commençant par les cartes sur les modes de vie contemporains.
Les modes de vie contemporains
Tout d”abord, les cartes sur le divertissement dans le monde (p” 115) posent la question d”un modèle américain globalisé. Celui-ci est en premier lieu symbolisé avec la localisation des feuilletons dans des villes précises qui met en lumière deux blocs : la ville de New York et la Californie. Vient ensuite la carte sur les avatars des émissions, concept qui se décline régionalement et mondialement, avec la Nouvelle Star, qui se diffuse sous formes diverses dans le monde (p”115). La carte sur les films au Nigeria (p”116) montre qu”il s”agit d”un cinéma qui s”adresse à un public particulier : les pays d”Afrique et du Tiers monde. La double page sur les marques, la même panoplie pour tous (p”139), illustre comment un même label, un même logo sur un vêtement peut se retrouver partout dans le monde.
La mondialisation de l”alimentation et le petit déjeuner
Il est également intéressant d”observer les pratiques alimentaires. Pizzas, hamburgers, sushis et kebabs sont aujourd”hui consommés partout dans le monde (p”134).
La mondialisation de l”alimentation va se faire avec la diffusion de modèles alimentaires sucrés comme le dessert mais surtout avec le petit déjeuner. Les produits du petit déjeuner sont le sucre, le thé, le café et le cacao. Le sucre va se diffuser (à partir de l”Inde) avec le modèle de la plantation et devenir l”objet d”une consommation importante. Le thé (chinois), le café (éthiopien) et le cacao (aztèque) sont trois boissons qui correspondent à trois aires de localisations, trois continents différents. Ce sont les grandes découvertes qui vont permettre l”accès à ces produits. Boire sucré le matin est une pratique qui va se répandre dès le XVIIIe siècle à partir des classes bourgeoises.
Les aspects économiques de la mondialisation
Pour ce qui est des aspects économiques de la mondialisation, la projection sur l”hégémonie européenne du XVe au milieu du XXe siècle (p”54-55) rappelle comment des européens d”abord partis pour des produits tropicaux sont repartis pour s”installer dans ce qui allait devenir les colonies, laissant comme héritage une forte opposition nord/sud. Par ailleurs, la carte sur le PIB des Etats et le chiffre d”affaires des grandes entreprises amène à relativiser la pauvreté dans le monde.
Société mondiale et résistances
Les cartes sur l”homosexualité (p”98) et le tourisme sexuel (p”99) montrent comment des normes des pays du sud résistent à celles occidentales. L”homosexualité reste dans de nombreux Etats un crime passible de mort.
La carte sur le patrimoine de l”UNESCO (p”112-113) met en avant que les sites classés se trouvent majoritairement en Europe. La mondialisation actuelle et les frontières sont l”héritage d”un processus de diffusion européen comme le rappelle la double page Etats, un puzzle mondial de 192 pièces (p”88-89). La décolonisation fut un grand moment d”européanisation car elle consacre le triomphe des Etats-nations.
Sylvain KAHN nous parle d”un tout autre aspect de la mondialisation en partant d”une interrogation : que serait cette société mondiale dans la dimension/le registre du politique?
Les raisons d”être pessimistes existent. La perception du creusement des inégalités s”accentue tout comme celle d”une élévation du niveau de vie et des richesses. Où en sont les institutions dont la mission est d”assurer la cohésion de la société mondiale parcourue par des lignes de fracture? Alors que le vouloir vivre ensemble s”institutionnalise, la société mondiale peut trouver des outils pour régler les conflits de manière pacifiée.
Contrairement à la représentation courante, le nombre d”institutions internationales et le nombre de domaines couverts par des institutions internationales progresse.
La carte des liaisons téléphoniques dans le monde met en avant leur lente mise en place. Réalisée par des compagnies privées, l”installation des câbles implique de traverser des Etats souverains et ceci ne peut pas se faire sans l”autorisation de ces Etats. Le mouvement pour l”utilisation du téléphone a été profond dans l”ensemble de la société . Téléphone et télégraphe sont allés de pair avec les partenariats public-privé. D”où la nécessité d”administrations dédiées au développement du télégraphe puis du téléphone afin de permettre un dialogue interétatique inévitable. Ainsi, entre 1865 et 1948, des organisations ont été créées non seulement dans les domaines de la télégraphie et de la téléphonie filaire mais également dans les domaines de l”aviation civile ou encore du transport maritime. Dès lors, il y a une certaine forme de mondialisation qui naît avec une société internationale au-delà du nationalisme et de l”impérialisme de la même époque. Plus récemment, l”Icann (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) a vu le jour. Depuis 1998, cette organisation, qui regroupe des représentants du monde entier par grandes régions, distribue les noms de domaines et administre les adresses IP.
L”OMC est le porte parole de la mondialisation libérale (carte OMC p”167). Créée en 1995, cette organisation est venue institutionnaliser de façon permanente les rounds de diminution des tarifs douaniers (Kennedy round, Tokyo Round puis Uruguay round sous GATT). La création de l”OMC, avec tous ses défauts et les rapports de force permanents, reste un progrès car cette organisation permet d”opposer de manière pacifique des pays qui auraient autrement eu des attitudes différentes. L”organe de règlement des différends (ORD) joue en ce sens un rôle important. Cette tendance à l”institutionnalisation du monde ne constitue pas uniquement une étape archéo ou anté mondialisation, elle renvoie à une évolution importante de la société internationale mondiale.
2/ La conflictualité s”est réduite.
Les conflits dans le monde restent importants, en particulier les guerres civiles. Certaines études ont montré que le nombre de conflits interétatiques a diminué de manière significative depuis la fin de la guerre froide. Contrairement aux idées reçues, la fin de la guerre froide n”a pas eu pour conséquence l”augmentation du nombre de conflits. Mais le nombre de guerres civiles a fortement augmenté. Aussi, depuis 1990, compte-tenu de l”absence de blocage au sein du Conseil de Sécurité, les opérations de maintien de la paix (OMP) se sont multipliées. Pendant la guerre froide, aucun accord n”était possible entre l”URSS et les Etats-Unis. Le seul accord fut celui de 1950 pour la guerre de Corée car l”Union Soviétique avait décidé de boycotter la séance du Conseil de Sécurité de l”ONU, à la suite de quoi l”URSS ne boycotta aucune séance.
3/ La question de l”opinion mondiale, de la citoyenneté mondiale voire de l”Union mondiale avec ses pouvoirs et ses institutions.
L”institutionnalisation du monde progresse. C”est ce que montre la création des G (G7, G20, G90, groupe de Cairn…). Il n”est pas pertinent d”opposer la mondialisation à l”internationalisation. Des organisations régionales comme l”Union européenne et le Mercosur sont le résultat de processus de mutualisation des souverainetés. Aujourd”hui, l”Union Européenne s”imbrique de plus en plus dans les Etats-nations qui la constituent et inspire l”ensemble des acteurs de l”espace mondial. L”européanisation de la société est plutôt le futur de ce qui pourrait arriver à l”ensemble du monde que son passé.
L”exposé prend fin. Delphine PAPIN invite la salle à échanger avec les deux intervenants. Voici quelques unes de questions qui leur ont été posées.
Cet atlas a été construit avec des journalistes et des universitaires. A-t-il été difficile pour des universitaires de travailler avec des journalistes et inversement?
C”est une question fondamentale. Il n”y a pas réellement de différence dans la méthode de travail, les universitaires étant notamment habitués à faire des papiers dans la presse. Par ailleurs, les journalistes posent les questions de manière différentes.
La difficulté pour les cartographes a été de travailler sur du planisphère. Il y a peu de projections polaires. La question de la temporalité s”est également posée dans la réalisation des cartes.
La carte papier ne permet pas de bien représenter les dynamiques. De plus en plus de cartographes utilisent comme référentiel google earth. Peut-on considérer que la carte papier permet de représenter le monde?
Sauf à les représenter sous forme d”hologrammes qui permettent de mieux cartographier, les planisphères ne peuvent jamais représenter le monde dans son ensemble. Les cartes sur écran constituent ainsi un complément des arrêts sur image que sont les cartes papiers.
La mondialisation renvoie aujourd”hui à la mondialisation de l”argent. Certaines entreprises ont des budgets plus importants que certains Etats. Par quel canaux circule l”argent?
Il est possible de représenter la richesse (les riches dans le monde), les lieux de circulation de la richesse (places boursières, paradis fiscaux). En revanche, l”argent est fictif et correspond à une représentation fictive de la valeur. Parler du fonctionnement du transfert de richesse dans le monde reste de fait un problème.
Les pays du nord connaissent une désindustrialisation par rapport aux pays émergents. Quel ordre institutionnel imaginer peut-on pour rétablir une gouvernance dans les rapports de force?
Nous sommes peut-être victimes d”une représentation européo-centrée car d”autres formes d”industrialisation à l”œuvre ont été par le passé étouffées ou contrariées par les anciennes grandes puissances européennes. Le Royaume-Uni a par exemple brisé la révolution industrielle de l”empire des Indes.
Si un certain nombre d”institutions actuelles n”existaient pas, la situation serait sans doute pire.
La notion de mondialisation semble être utilisée de manière abusive au pluriel. Différente formes de mondialisation ont existé mais peut-on parler aujourd”hui pour la première fois de mondialisation en raison des nouvelles technologies de l”information et de la communication.
Le mot mondialisation apparaît pour la première fois dans les années 1980 et celui de globalisation dans les années 70. Cela signifie que le regard a changé et que la perception est plus globale mais le terme reste ambigu. L”empire mongol est l”une des premières formes de mondialisation. La mondialisation n”est donc pas née avec l”Internet. Les interactions tissent l”ébauche d”une société mondiale. L”augmentation de la population mondiale change la densité des relations entre les individus. On tend de plus en plus à une mondialisation croissante. Inversement, l”anti mondialisation est un processus qui a existé et existe toujours. Il s”agit d”un processus qui vise à construire des barrières et bloquer les interactions. Ainsi, il est par exemple aujourd”hui plus facile d”aller en Russie et plus difficile de se rendre en Iran.
Le processus de fractionnement de l”humanité, qui s”oppose à la mondialisation, en sociétés différentes remonte à 10 000 ans. La période 1914-45 a été l”un des pire processus de fractionnement.
Myriam Hamache
Snax Kfé 182 rue St Martin – 75003 Paris