Les pays du Golfe, premiers acheteurs mondiaux d’armements
Nadim Hasbani est chercheur à l’Institut français de géopolitique, université de Saint-Denis (Paris VIII).
La région du golfe Arabo-Persique est aujourd’hui le premier marché mondial d’armements. Longtemps dominé par les États-Unis, il est en pleine mutation sous l’effet conjugué de la montée de l’anti-américanisme dans la région, de la transformation des menaces et de l’arrivée de nouvelles élites locales aux postes de responsabilité. Les États du Golfe cherchent à diminuer leur dépendance sécuritaire à l’égard des États-Unis et à diversifier leurs fournisseurs de matériel militaire.
Les monarchies pétrolières du Conseil de coopération pour les États arabes du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar), nommées ci-après « les pays du CCG », représentent près de 40 % du marché mondial des armements tout au long des années 1990. Leurs dépenses militaires absorbent de 6 % à plus de 16 % de la richesse nationale, ce qui constitue l’un des taux les plus élevés.
Quelques indicateurs sur les monarchies du Golfe et l’Iran (2002)
Superficie (en km²) | Population (en millions) | PIB/habitant (en dollars) | Armée de terre (effectifs) | Dépenses militaires (en % du PIB) | |
Arabie saoudite | 2 240 000 | 21,03 | 11 367 | 75 000 | 16,3 |
Bahreïn | 695 | 0,65 | 15 084 | 8 500 | 6,4 |
Émirats arabes unis | 77 700 | 2,65 | 17 935 | 59 000 | 5,9 |
Iran | 1 648 000 | 71,37 | 5 884 | 325 000 | 7,5 |
Koweït | 17 818 | 1,97 | 15 799 | 11 000 | 9,8 |
Oman | 212 457 | 2,62 | 13 356 | 25 000 | 10,0 |
Qatar | 11 437 | 0,58 | 18 789 | 8 500 | 11,7 |
Sources diverses.
Les fractures ethniques et communautaires, les richesses en hydrocarbures – environ 50 % des réserves mondiales prouvées de pétrole et 40 % des réserves de gaz -, les ambitions concurrentes des puissances régionales et les interventions extérieures de grande envergure – trois guerres aux dimensions internationales en vingt-cinq ans – ont transformé le golfe Arabo-Persique en premier marché mondial d’armements.
Les États de la région ne disposent pas des capacités politiques, militaires et humaines pour faire face à des enjeux d’une telle envergure et assurer leur propre sécurité en toute indépendance. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la sécurité des monarchies pétrolières a été garantie par les puissances extérieures, en particulier par les États-Unis, dans le cadre d’un pacte « pétrole contre sécurité ». Ce pacte a ouvert la voie aux grands contrats d’armements dans la région.
Toutefois, au fil du temps, l’influence des menaces internes sur les politiques de défense et d’armement est devenue de plus en plus importante. Elle s’est transformée en facteur principal des décisions d’achat d’armements depuis le 11 septembre 2001 et à la suite des différents attentats perpétrés ou déjoués en Arabie saoudite et dans la région.
1. Le Golfe : première zone d’importation d’armes
En 1971, quatre des six pays du Golfe – Bahreïn, Émirats arabes unis, Oman, Qatar – accèdent à l’indépendance. Ils doivent alors créer des armées nationales et se doter d’infrastructures (construction de campements, de bases, d’aéroports militaires, de centres de communication, achat d’équipements…). La guerre israélo-arabe de 1973 et le choc pétrolier qui l’a suivie ont ensuite hissé les États de la région au premier rang mondial des importations d’armements. Grâce aux pétrodollars, ces pays disposent en effet de ressources considérables.
En l’absence d’industrie de défense dans cette partie du monde, le marché qui s’ouvre alors est donc exceptionnel. Les transferts de technologies étant quasi inexistants contrairement à d’autres marchés (Israël, Turquie, Inde, Chine, Corée du Sud…), les monarchies du Golfe importent 99 % de leur matériel militaire.
Trois États – l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis – concentrent 70 % des achats militaires. Au cours des années 1980, l’Irak était le deuxième acheteur d’armes au Moyen-Orient derrière l’Arabie saoudite. À partir de 1991, le marché irakien s’est tari en raison de l’embargo international mis en place contre le régime de Bagdad. L’Arabie saoudite consacre plus de 9 milliards de dollars par an aux achats d’armements, ce qui en fait le premier pays importateur de matériel militaire.
Les budgets militaires des pays du CCG se sont longtemps situés à des niveaux inégalés ailleurs, avec 30 % à 40 % du budget de l’État alloué à la défense. Mais ils restent très dépendants des prix du pétrole. L’effondrement en 1989, puis en 1998-1999, des cours du baril a ralenti les programmes d’armement envisagés et certains pays comme l’Arabie saoudite ont accusé des retards de paiement pour des commandes effectuées lors des périodes où les prix du pétrole étaient élevés.
Les Émirats arabes unis, qui ont pu en partie diversifier leurs sources de revenus, sont moins dépendants des cours du pétrole, ce qui explique l’engouement des fournisseurs pour ce riche client. Ils sont le deuxième acheteur de la région après l’Arabie saoudite.
En l’absence de capacité industrielle locale intégrée, les équipements sont fournis « clés en main ». Un char est livré en tant que produit fini, complet et donc au prix le plus fort. Cette livraison « sur étagère » est de loin plus rentable pour le fournisseur qui ne doit pas transformer son produit pour l’adapter aux besoins spécifiques du client, contrairement aux marchés turc et israélien par exemple qui produisent localement les équipements sous licence.
En outre, les pays du Golfe cherchent à compenser leur faiblesse démographique et le déficit de personnels qualifiés par une supériorité technologique . Ils acquièrent du matériel technologiquement très avancé et donc à très forte valeur ajoutée financière.
2. Un marché exceptionnel pour les industries de défense occidentales
Depuis la fin de la guerre froide, les budgets de défense européens ont enregistré une chute spectaculaire. Par conséquent, l’Europe possède trop de fabricants pour un marché où la demande est devenue très limitée. Les États-Unis – au moins jusqu’en 2001 – ont connu le même phénomène. La marine et l’armée de l’air américaine avaient acheté 333 unités en 1988, mais seulement 24 en 1994-1995, alors qu’au même moment l’Arabie saoudite faisait l’acquisition de 75 appareils F-15. L’exportation est donc devenue indispensable pour garantir les emplois, le chiffre d’affaires et la recherche-développement des fabricants d’armes occidentaux.
Au Moyen-Orient où les tensions demeurent élevées, la fin de la guerre froide ne s’est pas traduite par la diminution des budgets de défense. La région est donc un marché porteur pour des industries en mal de clients nationaux. Dans cette course aux exportations vers les pays du CCG, les ventes de matériel inadapté aux pays désertiques dans le but de prolonger les chaînes de production, de réduire les coûts et de créer des emplois sont monnaie courante. Ainsi, le Koweït a reçu des chars M1A2 en août 1994, un an après que le fabricant General Dynamics eut construit son dernier char commandé par l’armée américaine. Le site d’assemblage de la firme dans l’Ohio ne fonctionnait que grâce aux commandes koweïtiennes et saoudiennes. De même, ce n’est que grâce aux commandes des Émirats, de la Grèce, d’Israël et de la Pologne que la chaîne de production du F-16 de Lockheed Martin produit encore. Les innovations et les recherches technologiques du modèle F-16 E/F acheté par les Émirats – le modèle de loin le plus performant de cette gamme et vendu à plus de 4 000 exemplaires en trente ans – ont été financées par eux-mêmes. Ce nouveau modèle pourra servir encore une fois à être réexporté sans investissements supplémentaires.
Trois pays – les États-Unis, le Royaume-Uni et la France – se partagent le marché moyen-oriental avec, pour chacun, des politiques de vente différentes.
2.1. La stratégie américaine
Les États-Unis arrivent en tête des ventes. Entre 1997 et 2004, l’Arabie saoudite s’est vu livrer des armes américaines pour plus de 35 milliards de dollars . Les Américains disposent de solides atouts.
– Ils maintiennent une relation d’État à État à travers les Foreign Military Sales. Ces ventes sont conçues comme des programmes de coopération stratégique. Washington ne se contente pas de livrer du matériel, l’armée américaine assure la formation du personnel et fournit une assistance technique, la modernisation des équipements, la définition d’une doctrine militaire.
– Les États-Unis proposent également des Excess Defense Articles – des matériels en excédent – vendus à des prix bradés ou sous forme d’aide militaire gratuite, dont bénéficient l’Égypte, la Jordanie, Israël mais aussi Bahreïn, ce qui diminue d’autant les parts de marché de leurs concurrents. Aucun autre pays ne peut offrir autant de matériel en excédent.
– Les États-Unis offrent même des matériels performants aux pays qui sont des clients potentiels. Les autres reçoivent des matériels moins performants, plus rustiques ou même d’occasion (en provenance des stocks…) voire rénovés. Ainsi Bahreïn a reçu en 1997 des frégates Perry modernisées, tandis que l’État d’Oman, longtemps chasse gardée des Britanniques, s’est vu offrir trente chars M60A3 en 1996, puis vingt autres en 1997. Une fois le client habitué au maniement du matériel américain, il est souvent tenté de racheter la nouvelle génération de ce même matériel. De plus, le produit a, en règle générale, déjà prouvé son efficacité au sein de l’armée américaine. Les industriels européens, notamment français et britanniques, appliquent la même stratégie d’offre des surplus (voire de matériel neuf), mais leurs moyens sont nettement plus limités que ceux des Américains.
Il est clair que les deux premières guerres du Golfe et la perception des menaces iranienne et irakienne ont conféré aux États-Unis un rôle durable de garant de la paix dans la région, renforcé par des accords de défense impliquant le prépositionnement de forces et de matériels américains dans le Golfe. Les autres fournisseurs, notamment français et britanniques, n’étaient pas en mesure d’offrir une garantie politique et sécuritaire équivalente.
Cependant, l’interdiction par le Congrès américain de nombreuses ventes de matériel de pointe vers le Moyen-Orient constitue un handicap pour les industriels américains. Washington refuse la vente aux pays arabes des systèmes d’armement aussi évolués que ceux fournis à Israël. Le Congrès a fait obstacle à la vente d’avions de combat F-15 en 1978 – ce qui a permis aux Britanniques de vendre leurs chasseurs Tornado aux Saoudiens -, d’avions de surveillance AWACS (Airborne Warning and Control System), d’avions de ravitaillement en vol, de missiles air-air (Sidewinder), sol-air et air-mer en 1981 et en 1986.
Les pays du CCG doivent alors se tourner vers d’autres exportateurs, en particulier français et britanniques. À titre d’exemple, pour l’année 1998, quatre pays (par ordre décroissant des achats, l’Arabie saoudite, la France, les Émirats arabes unis et l’Allemagne) avaient absorbé 76 % des exportations britanniques et, entre 1993 et 2003, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis représentaient à eux seuls 30 % des commandes enregistrées auprès de la France.
2.2. La politique de la France
Contrairement aux États-Unis qui privilégient les relations d’État à État, la France a longtemps choisi de laisser son industrie de défense gérer les exportations d’armements de manière autonome. Elle s’est néanmoins privée du poids irremplaçable des moyens gouvernementaux, faisant ainsi le jeu des concurrents américains, mais aussi britanniques – les importants contrats français étant perçus comme une succession de « coups » commerciaux, sans portée politique. Cette mise en retrait de l’État paraît paradoxale dans un pays qui bénéficie d’une administration forte et centralisée, et d’une industrie de défense dépendant largement du secteur public.
La France pratique toutefois, en principe, les programmes d’État à État, à travers la Société française d’exportation de systèmes avancés (Sofresa) créée en 1974 pour négocier les principaux contrats – notamment avec l’Arabie saoudite – et assurer la coordination entre les industriels français. Il semble que la France ait décidé de redonner une couverture politique à ses ventes d’armes dans le Golfe. Les derniers contrats signés ont été précédés de visites officielles du ministre de la Défense aux pays concernés – Oman pour les hélicoptères NH90… – ou de promesses de « partenariat stratégique », avec les Émirats arabes unis.
Dans cette compétition, la France possède cependant un important atout d’ordre politique : l’acquisition de matériels français correspond à une volonté d’acheter non américain, voire non britannique après l’invasion de l’Irak, et de diversifier les sources d’approvisionnement tout en conservant une supériorité technologique. En réponse aux besoins en technologie de pointe des États du CCG, la France leur vend du matériel identique à celui de l’armée française. Elle n’a pas hésité à produire le Mirage 2000-9 à la demande des Émirats arabes unis, un avion sans équivalent dans la gamme Mirage 2000. Une version destinée à l’exportation du Mirage 2000-5, taillée sur mesure pour les Émirats et équipée du missile de croisière Scalp-EG, a été mise en service pour la première fois dans l’armée française en 2004. De même, la France a vendu à l’Arabie saoudite trois frégates furtives de la classe Lafayette équipées notamment du missile antimissile Aster 15 produit par le missilier européen MBDA. Ce n’est que fin 2002 que ce missile a intégré le porte-avionsCharles de Gaulle.
Mais cet atout va-t-il se renforcer ou s’affaiblir avec les opérations de fusion-acquisition prévues dans le cadre européen ? L’actuelle dispersion intra-européenne des industries de défense constitue un atout pour l’industrie américaine. L’Europe produit actuellement trois avions de chasse concurrents sur les marchés mondiaux : l’Eurofighter d’EADS, le Rafale de Dassault et le Gripen de Saab-BAE Systems .
2.3. Les autres acteurs
Il existe aussi une multitude de fournisseurs secondaires actifs en matière d’exportation de défense mais qui jouent – pour l’instant – de modestes rôles auprès des pays du Golfe. Les pays européens qui possèdent une importante industrie de défense – Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas et Suède – ne parviennent pas à remporter de contrats. Ni leur poids politique au Moyen-Orient ni leur autonomie technologique ne leur confèrent d’atouts déterminants. La coopération militaire qu’ils peuvent proposer est donc très limitée malgré des industries de renom telles que Krauss-Maffei pour l’Allemagne, Finmeccanica pour l’Italie, CASA et Bazan pour l’Espagne, Saab et Ericsson pour la Suède… Ces pays connaissent quelques succès, surtout dans le secteur naval. Mais le marché des avions de combat est trop stratégique pour être accordé à un acteur secondaire de la défense : il lie deux États pendant plus de trente ans dans le domaine clé de la supériorité aérienne.
Reste la Russie pour laquelle le commerce des armes est d’autant plus important qu’il est devenu un moyen de retrouver une influence politique dans le Golfe. Ainsi, les ventes d’armes de Moscou à l’Iran lui assurent une sorte de droit de regard sur les affaires de la région du Golfe. Voulant étendre son influence au-delà de l’Iran, la Russie regarde aussi du côté des pays du CCG, à commencer par les Émirats arabes unis. En 1992, ces derniers ont acheté 350 transporteurs de troupes blindés (BMP-3), livrés entre 1992 et 1996 (800 000 dollars/pièce). En 2000, ils ont également acquis des systèmes de missiles antimissiles S-300. L’industrie militaire russe a démontré dans cette affaire la compétitivité de ses produits auprès des acheteurs du Golfe. Le Koweït a pour sa part fait le même choix en acquérant 76 BMP-3, en complément aux 254 transporteurs achetés à la firme britannique GKN.
3. Un marché en transformation
Pendant longtemps les industries de défense occidentales ont fixé elles-mêmes les besoins de leurs clients dans la région du Golfe. Les derniers grands contrats signés par les Émirats arabes unis pour les avions de chasse F-16 de l’Américain Lockheed Martin et les Mirage 2000-9 du Français Dassault montrent clairement que la donne a changé. Les offres des industriels sont scrupuleusement étudiées, puis longuement négociées, sans pour autant que la garantie sécuritaire occidentale ne perde son importance. Une nouvelle génération de militaires, formés dans les universités et les écoles de guerre occidentales, est arrivée aux postes de commande. Ils connaissent les besoins de leur pays, les matériels proposés, et surtout ils savent faire jouer la concurrence.
3.1. La menace iranienne
Les achats se font suivant une logique rationnelle, géopolitique, fondée sur la perception de la menace. Dans la région du Golfe, l’Iran est considéré comme la menace principale contre laquelle les six pays du CCG ont, à des échelles différentes, cherché à acquérir des systèmes d’armes pour se défendre. Il l’était avant même l’instauration de la République islamique en 1979. Dès 1925, le shah avait revendiqué la souveraineté iranienne sur Bahreïn, mais il s’était heurté au refus de la Grande-Bretagne. Au cours des années 1950, avec le développement du secteur pétrolier, l’Iran a pu commencer à disposer des moyens de ses ambitions. En étroite collaboration avec les États-Unis, Téhéran a pu mettre en place d’ambitieux programmes d’armement. De 67 millions de dollars en 1953, le budget militaire de l’Iran est passé à 10 milliards en 1978. Avec un demi-million d’hommes suréquipés sous les drapeaux, le shah avait profité du vide créé par le retrait britannique pour occuper en 1971 l’île d’Abou Moussa appartenant à l’émirat de Chardja, puis celles des Deux-Tombes appartenant à celui de Ras al-Khayma. Il a réitéré ensuite ses revendications sur Bahreïn et multiplié les incidents frontaliers avec l’Irak. Après 1979, les États du Golfe – qui comptent une forte minorité chiite – ont craint l’exportation de la révolution iranienne sur leurs terres.
Depuis la fin de la guerre (1980-1988) qui l’opposait à l’Irak, l’Iran reconstruit son arsenal. Grâce à son arsenal militaire l’Iran pourrait bloquer le Golfe sur toute sa longueur et y stopper la navigation. Un tel blocage pourrait à court terme paralyser les économies occidentales et asiatiques. La marine iranienne rassemble chaque année une centaine de bâtiments de guerre pour les exercices Nasr, sans compter ses missiles Shehab 3 qui pourraient atteindre les pays du CCG, les bases américaines du Golfe, Israël et la Turquie.
Outre les soupçons de fabrication de l’arme nucléaire et ses capacités balistiques, l’Iran est considéré comme une menace en raison de l’achat de sous-marins russes Kilo capables de bloquer les détroits où transitent 40 % de du pétrole mondial.
Face à cette menace, et motivés par leur litige frontalier avec l’Iran, les Émirats arabes unis ont lancé d’importants programmes d’armement qui illustrent une évolution de la logique d’achat. Comme d’autres États du Golfe, ils ne cherchent plus uniquement une « police d’assurance » auprès des États-Unis, mais semblent vouloir acquérir de réels moyens de défense.
Ainsi, les Émirats arabes unis renforcent et modernisent leur aviation de combat. Elle comptera bientôt 140 chasseurs tous multirôles, dont 30 Mirage 2000-5 modernisés au standard 9 par la France, 32 autres Mirage 2000-9 et 80 F-16 E/F. Ces chasseurs, technologiquement plus avancés que n’importe quel avion de combat iranien, sont spécialement équipés pour pouvoir pénétrer dans le territoire iranien en profondeur – réservoirs supplémentaires, radars actifs, missiles de croisière Scalp/EG…
Les Émirats arabes unis ont également commandé des frégates de lutte anti-sous-marine et ont montré de l’intérêt pour des dizaines de patrouilleurs rapides, maniables et lourdement armés. Ils ont développé de substantiels moyens de lutte anti-sous-marine, notamment 5 hélicoptères Super Puma aux capacités anti-sous-marines renforcées et 7 Panther (hélicoptères légers de combat) commandés à Eurocopter en 1995 et livrés en 1998 avec des missiles antinavires.
3.2. Les menaces internes
Le cas du petit royaume de Bahreïn illustre parfaitement la façon dont la menace interne exerce une influence grandissante sur les choix de défense et d’armement. La famille régnante sunnite domine une population largement chiite (70 %) et souvent d’origine iranienne. Les tensions politiques et les disparités socio-économiques entre l’élite sunnite et la majorité chiite du pays font peser un risque de guerre civile. Les chiites ne peuvent intégrer les forces armées. Bahreïn a donc choisi un ancrage sécuritaire à l’Arabie saoudite sunnite accompagné de garanties américaines. La politique d’armement du royaume est exclusivement américaine.
Depuis 1973, Bahreïn offre aux États-Unis des facilités militaires dans le port de Mina Salman. En 1991, les possibilités de prépositionnement de matériels américains se sont multipliées avec le développement de nouvelles infrastructures sur la base de Cheikh Issa. En 1995, les États-Unis y installent le centre de commandement de leur Ve flotte de l’océan Indien. La position de l’île dans la partie nord du Golfe, entre l’Arabie saoudite, l’Irak, le Koweït et l’Iran, est idéale pour projeter de forces. En mars 2002, l’administration Bush désigne Bahreïn comme son « allié majeur hors OTAN », ce qui favorise les aides militaires accordées à l’émirat et lui permet d’acheter des armes qui ne lui étaient pas proposées auparavant.
La menace islamiste – surtout en Arabie saoudite et à moindre échelle au Koweït et à Oman, mais aussi au Qatar comme le montre l’attentat du 20 mars 2005 – dicte également la politique d’achat de matériels. Depuis 1995, et plus encore depuis le 11 septembre 2001, les attentats se multiplient en Arabie saoudite. Riyad éprouve les plus grandes difficultés à contrôler ses 6 500 kilomètres de frontières terrestres et maritimes par lesquelles s’infiltrent des djihadistes, notamment en provenance du Yémen (1 500 km de frontières communes), de l’Irak de l’après-Saddam Hussein (800 km de frontières) et, à une moindre échelle, de la Jordanie (750 km de frontières).
Pour tenter de stopper ces infiltrations, le ministère de l’Intérieur saoudien avait négocié avec l’équipementier français Thales un contrat de plus de 9 milliards de dollars pour acheter un système complet de commandement, de contrôle et d’intelligence (C4I) destiné à la surveillance et à la protection des frontières. Ce système, dénommé Miksa, comporte des systèmes acoustiques, sismiques, magnétiques, 225 radars reliés à un satellite, des senseurs infrarouges pour détecter le mouvement des personnes et des véhicules, des avions de reconnaissance, une vingtaine d’hélicoptères, 400 postes frontières et des casernes pouvant accueillir jusqu’à 20 000 hommes. Bien qu’envisagée dès 1990, la commande de ce système n’a été sérieusement étudiée qu’au début des années 2000, à la suite de la montée en puissance de la menace islamiste en Arabie saoudite .
De leur côté, les Émirats arabes unis cherchent à obtenir une relative mais réelle autonomie de défense par le biais de l’acquisition de matériels de guerre sophistiqués et efficaces. Fin 2007, les Émirats arabes unis aligneront 62 Mirage 2000-9, la version la plus performante du Mirage – équivalente au Rafale standard 2 -, et 80 F-16 E/F qui n’ont, pour l’instant, aucun autre équivalent mondial.
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Depuis les événements du 11 septembre 2001, les États du Golfe s’interrogent sur la garantie sécuritaire américaine. L’Arabie saoudite n’a plus signé aucun contrat d’armement majeur depuis six ans. Les commandes des petites monarchies pétrolières sont en forte baisse. Les besoins, surtout en avions de combat, ont été déjà largement satisfaits. Bahreïn a déjà commandé vingt-deux F-16, le sultanat d’Oman a commandé une douzaine de F-16 et modernise sa flotte de Jaguar britanniques. Le Qatar ne semble pas avoir de nouveaux projets. L’émirat cherche depuis un certain temps à vendre sa flotte de douze Mirage 2000 à l’Inde. Le projet de remplacement de ces appareils par douze à quinze avions de quatrième génération semble être gelé. Le Qatar ne montre aucune intention d’acheter des avions de combat. Dans un contexte régional tendu, plus que jamais l’attentisme semble de rigueur.