Liban: l’hypothèque du Hezbollah
Lien vers l’article sur le site du Monde
On ne sait si le Liban est en train de vivre ou non une “révolution orange”, à l’ukrainienne.
Si Damas tente cependant de l’arrêter, il n’a qu’une carte à jouer : le Hezbollah. Car, si la Syrie se retirait bientôt du Liban, le Hezbollah resterait la carte maîtresse de la politique libanaise. Grâce à sa “résistance” armée contre Israël, il a gagné une grande légitimité au Liban. Et, en remportant un grand nombre de sièges aux dernières élections locales (mai 2004), il a prouvé que son vaste système d’aide sociale avait augmenté sa popularité parmi les chiites libanais.
A court terme, l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri renforcera inévitablement l’opposition à la domination syrienne sur le pays. Cette opposition atteint désormais une diversité confessionnelle et une force sans précédent. A la veille d’élections législatives décisives (mai 2005), le message derrière cet assassinat est clair. Que la Syrie ou le gouvernement libanais prosyrien soient ou non derrière cet acte, les institutions du pays ne sont pas actuellement en mesure de fournir un changement de pouvoir pacifique. Les tentatives de tel changement de 1958 et de 1975 l’ont terriblement prouvé. A nouveau, les acteurs, comme la Syrie, qui cherchent à assurer leur hégémonie, sont prêts à aller jusqu’à détruire le pays pour rester au pouvoir.
La Syrie a délibérément évité de construire au Liban des institutions capables d’assurer des changements politiques pacifiques, telles que le Sénat, qui était prévu, ou l’adoption d’une loi électorale définitive. Ainsi Damas est resté le seul dispenseur du pouvoir à Beyrouth. Si la Syrie est amenée à perdre sa mainmise politique, militaire et économique sur son voisin, personne, pas même l’armée libanaise “reconstruite avec l’aide de la Syrie”, ne sera capable de l’empêcher de détruire le fragile équilibre du Liban. Si elle décidait, soumise à une pression internationale croissante, d’entraîner le Liban avec elle, elle utiliserait alors tous ses atouts.
Elle continuera à y fomenter des troubles afin de se créer un instrument de négociations qui lui donnera une part du gâteau libanais dans le prochain partage du pouvoir. La relation Hezbollah-Syrie-Iran serait alors ouvertement activée, parce qu’il serait expressément demandé au Parti de Dieu (Hezbollah) de se désarmer après un retrait syrien. Et le régime de Bachar Al-Assad n’hésitera pas, en dernier recours, à convaincre le Hezbollah d’utiliser sa force militaire pour inverser le changement politique en cours, plongeant le Liban dans une crise de plus en plus profonde. Maintenant que les principaux opposants de la Syrie sont unis – chrétiens, druzes et, après la mort d’Hariri, les sunnites -, il devient plus probable encore que le Hezbollah sera utilisé comme dernier recours par Damas.
L’affirmation renouvelée du Parti de Dieu pour un Etat islamiste sur le modèle iranien au Liban, ou la reprise, très grave, de sa confrontation avec Israël, pourrait une fois de plus fournir un alibi à Damas pour rester au Liban. Afin d’éviter à terme une crise à grande échelle, tous les efforts doivent donc être entrepris, sur le plan national et international, pour empêcher le régime syrien d’utiliser son joker Hezbollah.
Personne ne sait dans quelle mesure exactement ce dernier dépend de Damas. Mais on devrait fournir au Hezbollah des moyens suffisants pour qu’il trouve son indépendance en échappant à la tutelle syrienne. Dans le système de partage confessionnel du pouvoir au Liban, il deviendrait un parti ordinaire. Certes, en tant qu’un des mouvements de guérilla les plus efficaces au monde, il n’abandonnera pas volontairement ses armes. La seule chance qu’il accepte de se désarmer pacifiquement serait le gain politique qu’il obtiendrait en échange.
Le Hezbollah réclamera une grande part de pouvoir politique et de nombreux bénéfices en échange de l’abandon de ses armes et de la légitimité qu’il a acquise dans sa lutte contre Israël. Tout en suggérant des perspectives politiques pour le Parti de Dieu, le rôle grandissant de l’Iran dans la région, suite à la chute de Saddam Hussein, et les débats internes au Hezbollah sur sa transformation politique devraient être pris en considération par les acteurs locaux et internationaux.
Les prochaines législatives libanaises, si elles ont lieu sans intervention syrienne, auront comme résultat un nouveau régime. Mais celui-ci ne sera stable que si des possibilités importantes sont offertes pour le futur statut politique du Hezbollah comme parti non armé.
Traduit de l’anglais par Jean Guiloineau
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Monde 2004
Cet article a ete également publié par le quotidien pan-Arabe Al Hayat dimanche 27 fevrier.