Mais enfin… pourquoi les Italiens votent-ils toujours pour Berlusconi?
La cote d’influence de Silvio Berlusconi est en baisse d’après les récents sondages
, qui montrent un médiocre taux d’audience pour sa dernière participation à une émission de télévision et une chute générale de sa popularité, descendue au plus bas seuil de son histoire.
La récente succession de nouveaux scandales peut-elle expliquer rationnellement l’affaiblissement du consensus qu’il fédérait jusque-là et entraîner sa défaite? En résumé, l’après-Silvio est il proche?
En octobre 2008, la popularité de Berlusconi était à son pinacle, quand 62% des Italiens affirmaient avoir une grande confiance en lui. Depuis cette époque, exception faite d’une brève hausse en décembre dernier suite à son agression à Milan, les sondages ont témoigné d’une chute verticale de sa popularité. Son image et l’adhésion à son gouvernement ont été entachés par les scandales, dont les derniers mettaient en scène de plantureuses escort-girls et quelques histoires de corruption au sein de la sécurité civile et dans les marchés publics. Et sa coalition elle-même a semblé s’affaiblir, suite aux revendications de dissidence avancées par Gianfranco Fini. Alors, assiste-t-on au déclin définitif de la carrière politique du «Cavaliere» ?
On peut penser effectivement que Berlusconi est sur le point de perdre de sa superbe. Cependant, affublé par les scandales et les «berlusconneries», il demeure populaire en Italie en arrivant toujours à séduire les électeurs. Il a même été sacré “Rock star” de l’année par un magazine, et a été proposé pour le… Prix Nobel de la paix du 2010!
. Même en sachant qu’il se taille des lois sur mesure pour échapper à la justice, ses électeurs continuent à voter aveuglément pour lui. Comment expliquer cette popularité et ses quatre victoires aux élections?
Il faudrait peut être en chercher les explications dans le passé historique de l’Italie, où sont enracinées nos caractéristiques sociologiques, culturelles, étatiques. Déjà, en s’arrêtant à un futur proche, on peut rappeler comment en 1994 Berlusconi a su profiter du vide politique consécutif à l’enquête “Mains Propres” qui a causé l’effondrement de la Démocratie-Chrétienne, du Parti Socialiste et la mutation du Parti Communiste. L’homme de médias a alors créé à partir de son entreprise un parti puissant, Forza Italia, qui s’est ensuite implanté sur tout le territoire. Ledit parti a rapidement fusionné avec celui de l’ex-droite fasciste, Alliance Nationale, mais aussi avec la droite populiste et régionaliste de la Ligue du Nord.
C’est en s’installant au sommet de cette «super-coalition», que Berlusconi a pu devenir le protagoniste incontournable de la scène politique nationale, grâce entre autres à l’incapacité de la gauche à proposer une véritable alternative et aussi à cause de la polarisation de la politique italienne réduisant chaque élection à un affrontement pour ou contre sa personne. Sa stratégie s’est révélée gagnante, peut être plus portée par l’organisation et les alliances de sa coalition que pour les éventuels programmes politiques en eux-mêmes, dont on ne parle presque pas.
Son succès repose pour une grande partie sur son vaste soutien à des groupes d’intérêts importants dans la société et dans l’économie, autre que sur son alliance avec l’Église.
Cette dernière, qui a eu pendant deux cents ans un ascendant très fort sur la vie politique italienne, continue à jouer une rôle essentielle et à conserver une très forte influence sur l’électorat. Or, les hautes sphères ecclésiastiques n’ont jamais critiqué ouvertement Berlusconi, car elles ont tout à gagner de leur relation avec un chef du gouvernement en quête de soutien et de respectabilité.
Leurs intérêts sont par exemple liés aux financements publics du catéchisme et des écoles catholiques et aux questions de l’ordre de la bioéthique, tels les projets de lois sur la fécondation assistée ou le rejet des PACS. Grâce à ces alliances, le parti de Berlusconi s’assure donc un électorat qui s’est toujours montré très fidèle et présent.
De plus, «il Cavaliere»sait donner des garanties irrésistibles à des clientèles bien ciblées, comme les petits entrepreneurs, qui votent pour lui parce que, étant lui-même lié à ce milieu, il favorise les entreprises privées et leurs intérêts sur les marchés publiques, en assouplissant par exemple les lois fiscales. D’ailleurs, les gouvernements Berlusconi ont voté trois amnisties fiscales depuis 2001 – et une nouvelle vient de passer, permettant aux citoyens et petites entreprises ayant caché des revenus à l’étranger de ne payer que 5% d’impôt, près de dix fois moins que le taux normal.
Silvio Berlusconi s’est donc imposé au gouvernement grâce au croisement de son pouvoir politique, financier et médiatique
. L’arme qu’il utilise au mieux restecelle des médias, qu’il manie à la perfection pour diffuser certaines informations et assurer la promotion de son image et du style de vie que ses télés légitiment: l’exaltation de la richesse, de l’apparence, de l’astuce et du consumérisme. Il a réussi à réunir télé-réalité et folklore. Ses programmes ont véhiculé un modèle social de la réussite et des valeurs dont il est une sorte d’incarnation idéales. L’homme est devenu objet d’une symbolisation, voire d’un véritable culte, qui se traduit en slogans tels “le président-entrepreneur” ou le “président-ouvrier” utilisés pour toucher et convaincre les différentes couches sociales.
Avec ses pratiques, Berlusconi joue l’anti-bureaucratie dans un contexte italien caractérisé par une extrême méfiance envers les structures étatiques et les lois, et par le mythe du «se débrouiller autrement». Il incarne d’une certaine façon les stéréotypes de l’italianité, en mettant alternativement en scène avec un incontestable talent de vendeur, l’amateur de femmes éternellement jeune, ou un style père de famille exemplaire – lorsque c’est nécessaire.
Plusieurs facteurs soutiennent ces diverses représentations, à commencer par l’importance historique des entreprises comme modèle d’organisation et d’initiative locale, et en tant que unité-base du développement économique du pays. Tout comme sont extrêmement puissantes les notions de famille, d’individu et de local dans l’inconscient et dans les structures sociales italiennes. Cette convergence de facteurs compose ainsi la culture et l’identité de l’Italie d’aujourd’hui, où règnent l’individualisme, la perte des liens sociaux, l’absolu manque de sens civique et de respect de la légalité.
L’Italie est ainsi le pays où, au parlement, siègent plus des politiciens incriminés ou sous procès que d’hommes sans problème avec la justice, et où les personnalités les plus influentes de l’opposition sont un humoriste, un journaliste sans journal, un philosophe, un ex-magistrat…
Dans ce contexte, Berlusconi applique efficacement à la politique la logique de marketing et de mise en spectacle qui lui ont fait faire fortune. Il s’emploie à légaliser «l’invasion progressive du pouvoir exécutif sur le judiciaire et le législatif», en transformant le Parlement en «dotation personnelle» et les institutions en «matériau déformable»
.
Et la mise en perspective d’une telle politique peut s’avérer d’autant plus enrichissante que le sarkozysme semble s’en inspirer plus que de raison. Il est donc intéressant de regarder de plus près le «phénomène» Berlusconi, son succès politique (incontestable) et sa popularité, tout aussi incroyable qu’inoxydable. Mais il sera toujours difficile de comprendre exactement pourquoi les Italiens continuent de voter pour lui. À moins que ce ne soit, comme l’affirme le principal intéressé, parce qu’il est «magnifique, magique et absolument divin… » ?