“Paris-Banlieue : je t’aime, moi non plus”
A l’occasion de la sortie du dernier numéro 113 de la revue Hérodote : « Territoires de pouvoir »
Avec
Simon Ronai, Directeur d’Etude
Philippe Subra, Institut Français de géopolitique, Université Paris 8
Pour ce dernier café géopolitique de la saison, le choix a été fait de traiter une question de géopolitique locale urbaine, à la différence des questions internationales habituelles. Habituellement, la géopolitique est perçue, notamment dans les médias, comme portant sur les conflits internationaux et à la limite le problème corse. Mais, la démarche initiée par Yves Lacoste définit la géopolitique comme des rivalités de pouvoirs sur un territoire donné. Or à Paris où se concentrent population, pouvoir politique et pouvoir économique, les rivalités d’acteurs et les représentations contradictoires apparaissent très nettement. Il ne s’agit pas de traiter ici de la question de la banlieue, mais des enjeux de pouvoirs entre Paris et sa banlieue. En effet, les relations entre Paris et sa banlieue ont toujours été délicates, mêlant des périodes d’hostilités et des périodes d’ignorances réciproques.
Les enjeux géopolitiques en Ile-de-France.
Philippe Subra présente les éléments de cadrage nécessaires à la compréhension des questions géopolitiques en Ile-de-France et utiles pour comprendre les rapports entre Paris et les communes limitrophes qui représentent 7 des 9 millions d’habitants de l’agglomération (la région comptant 11 millions de Franciliens). La région connaît des bouleversements considérables : mutations urbaines, sociologiques, géopolitiques et électorales. Les engagements actuels du maire de Paris, Bertrand Delanoë, y répondent-ils ?
Au niveau urbain, Paris est passé en 40 ans d’une agglomération unipolaire compact à un système urbain complexe et multipolaire, avec la création de pôles d’emplois secondaires mais dont les pouvoirs augmentent, comme Roissy. Le centre de gravité du pouvoir économique a glissé peu à peu vers la première couronne puis en deuxième couronne. Désormais, les Hauts de Seine pèsent lourd dans le pouvoir économique et les compétences régionales. Les centres commerciaux et culturels ont suivi les mêmes changements. Il s’agit là d’un phénomène historique de long terme à conséquences fortes. Dans ce cadre, le rôle du périphérique s’est modifié. Conçu comme une voie de contournement de Paris, il joue aujourd’hui celui d’une voie de desserte d’un anneau central concentrant les ZAC (une centaine sur 850 ha, soit 5 fois la surface de la Défense) et les fonctions centrales.
Au niveau social, apparaît un phénomène de crise qui s’aggrave avec la paupérisation de certaines zones, comme la Seine Saint Denis, Mantes la Jolie,…, ce que l’IAURIF nomme pudiquement “un renforcement de la structuration sociale”, c’est-à-dire un renforcement de la ségrégation sociale. Le cas de Saint Denis est emblématique avec la croissance du nombre de pauvres, d’ouvriers, de chômeurs, de familles vivant en dessous du seuil de pauvreté, d’étrangers (s’y concentrent 40% des étrangers d’Ile-de-France, et 25% de la population du département). Ces questions sociales se transforment en véritables problèmes politiques et d’aménagement.
On peut également évoquer la question des transports et des pollutions induites avec l’étalement urbain, qui est un véritable casse-tête.
Le système de gestion régional est-il adapté à une telle situation ? Il n’existe pas en Ile-de-France de système ou d’organismes de gestion à l’échelle de l’agglomération, contrairement à Londres, où le (maire (mot manquant déduit par le webmaster) est en charge des 15 000 ha de l’agglomération. Des tentatives de création d’un tel organisme ont avorté. Au début des années 1960, Michel Debré avait proposé l’annexions des communes limitrophes de Paris, comme cela s’était fait en 1870, mais le général De Gaulle avait refusé par crainte d’une domination de la gauche qui était très puissante en proche banlieue. A l’inverse, c’est le morcellement des départements qui a été choisi. A la fin des années 1980 les socialistes ont essayé de monter une communauté urbaine mais les acteurs territoriaux n’en voulaient pas. Pour l’Etat, elle aurait donné un trop grand pouvoir au futur président de cette communauté urbaine. Pour la région, c’était une limitation de son pouvoir par l’apparition d’un organisme marchant sur son pré carré. Pour les communes, il s’agissait de rester maîtresses chez elles. Mais si le système d’acteurs a changé depuis le début des années 1980 avec le déclin du rôle de l’Etat, l’instabilité de son rôle demeure suite à l’absence d’une structure de négociations.
Ainsi, pour gérer les relations entre Paris et sa proche banlieue, coexiste une série d’acteurs avec des conflits quand les territoires se recouvrent (communes, structures intercommunales) : la forte concurrence prévaut.
L’objectif est désormais de savoir si il y a une évolution dans ces relations, si ce sont les débuts de nouvelles pratiques des communes ? Si l’intercommunalité est de nature à répondre aux problèmes de l’Ile-de-France ? Sur les grandes questions d’aménagement a-t-on une réponse ? La victoire de la gauche aux élections régionales va-t-elle changer la situation ? Les conflits vont-ils aboutir à des accords négociés ?
De difficiles relations entre Paris et la banlieue.
Simon Ronais débute en indiquant que Paris est un cas unique, car aucune autre ville de cette dimension n’est fermée par un périmètre aussi précis et qui se repère aussi facilement par des réseaux et des densités. On sait tout de suite si on est à Paris ou pas. La rupture physique est claire. La densité de Paris pose problème : 2,1 millions d’habitants sur 105 km². Tout l’espace est occupé, ce qui aboutit à une paralysie de la ville, et aucune solution ne semble possible.
Les relations de Paris à sa banlieue sont anciennes et très négatives, car elles sont fondées sur des relations de dominations ou de ruptures. Les annexions de communes en 1870 ont été vécues douloureusement et restent vivaces dans les mémoires : les élus s’en servent encore aujourd’hui dans les discussions contre Paris. Pourtant, ces mêmes élus oublient que jusqu’en 1977, il n’y avait pas de municipalité élue à Paris, ce qui créait une inégalité de pouvoir en faveur de la banlieue. Dans les mentalités, Paris et l’Etat demeurent assimilés. La région Ile-de-France possède également une originalité au niveau du balancier politique. Quand Paris est bleu, la banlieue est rose et inversement. Cette situation complexifie la gestion et représente une rupture politique symbolique, aussi marquée territorialement par le maintien de communes communistes au Nord de la capitale.
Au niveau humain, les relations sont multiples. Un million de banlieusards travaillent à Paris contre 300 000 Parisiens en banlieue. Les grandes surfaces, interdites dans Paris intra-muros, obligent les Parisiens à aller en banlieue ou le long du périphérique qui concentre une vingtaine d’hypermarchés. Pour la culture, nombre de théâtres de banlieue sont fréquentés par des Parisiens, alors que les cinémas des Halles ou des Champs Elysées accueillent de nombreux banlieusards.
L’interdépendance de Paris et sa banlieue est forte sur le terrain, mais elle n’est pas relayée au niveau politique. De nombreuses contraintes techniques ont été malgré tout levées : les grands services publics (eau, électricité, gaz, transports en commun) transcendent les frontières grâce à la création de grands syndicats intercommunaux.
Les problèmes de Paris sont nombreux. La ville étouffe dans un territoire trop petit, totalement occupé et de surcroît protégé par des mesures réglementaires de type monuments historiques. Les seuls terrains encore urbanisables se situent au-dessus des voies ferrées ou du périphérique. Se pose alors la question du logement : sur les 300 000 demandeurs régionaux, un tiers sont à Paris. La Mairie de Paris vient d’engager, dans le cadre de la loi SRU, qui impose 10% de logements sociaux aux communes, un programme de rachat d’immeubles privés pour faire des logements locatifs de type HLM, au rythme de 3 000 à 3 500 par an, dans les VI, VII, VIII et XVIèmes arrondissements. Mais ce programme se heurte aux municipalités d’arrondissements, aux associations locales et à des problèmes financiers importants. L’affaire n’est pas rentable, car ces arrondissements offrent des prix immobiliers élevés, sans commune mesure avec les loyers HLM. L’équipe municipale aimerait de plus faire revenir les familles dans la ville dont 50% des habitants sont des personnes seules. Mais la tache est ardue car les familles recherchent verdure et espace, ce que Paris ne possède pas.
Au niveau économique, 200 000 emplois sont partis en banlieue. Paris a du se lancer dans une concurrence farouche avec les territoires voisins et les pôles émergents de banlieue (plaine Saint Denis, Ivry, Montreuil, Bagnolet, boucle Boulogne-Billancourt). La situation est paradoxale : la région la plus centrale et la mieux desservie est celle désaffectée par les bureaux.
Au niveau social, Paris est perçue comme une ville riche et privilégiée, alors qu’elle concentre plus de contrastes sociaux, de pauvreté et de chômage que la banlieue, surtout aux portes Nord de la capitale (Portes de la Chapelle, de Saint Denis).
Au niveau des transports, les migrations de travail sont colossales, sans compter les 200 000 étrangers par jour présents à Paris pour raisons professionnelles ou touristiques qui génèrent 20 000 cars par jour. Au problème technique s’ajoute l’opposition des Verts à la voiture. Ils ont obtenu la diminution de l’espace dévolu à la voiture particulière. Les objectifs sont contradictoires : une politique favorisant le vélo va à l’encontre d’une ville mondiale et ouverte. De plus, la diminution des voies de circulation est une décision unilatérale et désastreuse pour les communes voisines où sont reportés les embouteillages. Le tramway, en cours de mise en place sur les boulevards des Maréchaux, accentue l’effet de coupure et de frontière, et limite la circulation automobile en créant des embouteillages monstres.
En conséquence, Paris et sa banlieue s’opposent et se concurrencent par manque d’organes de régulation. En banlieue, la multiplication des communautés d’agglomération s’inscrit dans cette problématique de concurrence par rapport à Paris, selon le vieil adage “l’union fait la force”. Depuis trois ans, la Mairie de Paris a essayé de nouer de nouvelles relations avec sa banlieue. Une sous-direction des relations avec la banlieue a été instituée pour favoriser l’apaisement des tensions. De nouveaux projets voient le jour, dont un concours d’urbanisme visant le périphérique, qui a été rebaptisé “l’anneau central”. Le “périph” est devenu un alignement d’activités économiques le plus puissant de la région, où nombre d’entreprises viennent s’installer pour bénéficier d’une adresse postale parisienne. Cette succession d’actions privées a créé un écran urbanisé anti-bruit pour les logements, écran non prévu par les politiques publiques d’aménagement.
DEBAT :
Delphine Papin demande ce qu’il en est de la concurrence des autres grandes métropoles européennes, surtout de Londres ?
Simon Ronai répond que c’est principalement la préoccupation des acteurs économiques et non celle des institutionnels.
Béatrice Giblin demande des explications sur les réflexions en cours sur le déplacement des inconvénients de Paris vers les communes de banlieue (stationnement, circulation,…). Comment sont gérés les phénomènes de ségrégation sociale sources d’insécurité, de violence et de frustration ?
Simon Ronai précise que la région n’a pas de compétence d’aménagement. Le Schéma Directeur de 1994 est passé par décret car aucune majorité chez les élus n’était apparue. Il n’y a que lors d’événements exceptionnels qu’il y a des accords sur des projets, comme pour la Plaine Saint Denis, lancé pour la Coupe du monde de football en 1998. Vivement les Jeux Olympiques de 2012,… au moins pour les aménagements qu’ils vont générer ! Pour mener à bien des actions, il faut non seulement des outils réglementaires, mais surtout une volonté politique, ce qui n’est pas chose aisée quand se trouvent superposées sept couches de collectivités territoriales dont aucune ne peut s’imposer aux autres.
Un étudiant revient sur la question de la fragmentation urbaine. Comment peut-on repenser les liaisons de banlieue à banlieue dans un réseau en étoile autour de Paris, dans une mosaïque régionale ?
Philippe Subra explique que la politique actuelle vise plutôt à la densification de la première couronne, surtout sur les anciens espaces industriels, qu’au maintien de réels aménagements volontaristes des villes nouvelles jugées trop éloignées de la zone centrale.
Simon Ronai renchérit en insistant sur la crise de l’espace de l’agglomération. Il n’y a pas d’espace politique correspondant, ce qui entraîne une absence de solidarité dans le jeu de la pratique. Les politiques d’aménagement ne sont souvent que rhétoriques, qu’un espace de rivalités d’intérêts et non de négociations. Il n’y a pas, dans ce cadre, d’efficacité de la décision qui est souvent perçue comme illégitime car émanant de l’Etat. Il en est ainsi pour la politique des transports. Pendant longtemps, le métro ne passait pas les portes de Paris. La carte géographique des transports est un enjeu politique : toute arrivée d’une nouvelle gare provoque l’augmentation des prix du foncier, d’où une modification sociale et à terme électorale et donc politique. De ce constat ancien, la géographie des transports franciliens a hérité une certaine irrationalité, certaines communes refusant les gares, comme les communistes. De plus, les transports amoindrissent l’autonomie communale en immergeant le territoire dans un bassin plus vaste et en développant la mobilité des habitants. Enfin, il ne faut pas oublier d’ajouter dans les ingrédients de la politique des transports en Ile-de-France la rivalité entre la SNCF et la RATP et le rôle des grands corps d’Etat (notamment l’opposition entre les Mines et les Ponts).
Alexandra MONOT, agrégée de géographie.
En collaboration avec la revue Hérodote et les café-geo de Paris
Au Café des Phares ; 7, place de la Bastille ; 75004 Paris ; Métro : Bastille