Portrait : Exploration Juridique du Numérique avec Aude Géry
Aude Géry, chercheuse au sein du laboratoire GEODE, se consacre à la régulation internationale de l’espace numérique, explorant des thèmes tels que la lutte contre la prolifération des armes numériques, l’interprétation du droit international dans le cyberespace, et la gouvernance institutionnelle liée au numérique au sein d’organisations internationales. Son travail, ancré dans le droit international et le multilatéralisme, vise à éclairer les politiques publiques et à contribuer à la construction du droit international du numérique, tout en faisant le lien entre recherche académique, expertise pratique, et diffusion des connaissances.
Interview
1. Quel est l’objectif de vos recherches ?
L’objectif principal de mes recherches est d’explorer et d’analyser la régulation internationale de l’espace numérique, en me concentrant sur le multilatéralisme et l’application du droit international aux enjeux de sécurité du numérique.
Plus spécifiquement, mes travaux visent à comprendre et à contribuer à plusieurs enjeux, tels que la lutte contre la prolifération des armes numériques en droit international, l’interprétation, l’application et le développement du droit international dans le cyberespace, ainsi que le rôle du numérique en tant qu’objet du multilatéralisme, notamment au sein d’organisations internationales telles que l’ONU.
Ces recherches abordent une diversité de questions juridiques, allant du droit international général à des domaines spécifiques tels que le droit de la responsabilité internationale, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, le droit des sources, et récemment, le droit des données des organisations internationales. L’objectif ultime est de contribuer à l’éclaircissement des politiques publiques et au développement du droit international du numérique.
En quelques mots, je dirais que mon objectif est de comprendre comment le droit international s’applique et peut-il être mobilisé à l’ère numérique ? Doit-il évoluer, si oui comment ?
2. Comment vous êtes-vous intéressée à ce domaine en particulier ?
J’ai simultanément suivi un master 1 de droit international et le Certificat d’études juridiques internationales à l’Institut des Hautes Études Internationales (IHEI). Un cours marquant dispensé par la professeure Anne-Thida Norodom, intitulé « Internet, cyberespace et droit international », a éveillé mon intérêt pour les questions numériques.
3. Quelles sont les méthodes ou les approches que vous utilisez dans votre travail ?
Dans le cadre de mes travaux en droit international, je m’appuie principalement sur les méthodologies propres à cette discipline. Cependant, j’ai constaté que l’intégration d’outils géopolitiques enrichit considérablement mon analyse juridique, notamment pour comprendre les rapports de force dans l’élaboration du cadre juridique des activités numériques.
Mon poste à l’IFG permet également d’incorporer des outils cartographiques dans ma démarche. En collaboration avec Guilhem Marotte, le cartographe de l’IFG, nous développons des infographies qui renforcent non seulement l’argumentaire juridique, mais qui sont également polyvalentes pour être exploitées dans divers contextes.
Ainsi, mes travaux en droit international et mes recherches en géopolitique se complètent harmonieusement, offrant une perspective enrichissante sur l’évolution des normes dans le domaine du numérique.
4. Comment votre recherche peut-elle avoir un impact dans le domaine ou dans la société en général ?
En construction, le droit international du numérique joue un rôle crucial en éclairant les États sur les aspects juridiques liés à l’environnement numérique. Depuis longtemps j’ai la chance d’interagir directement avec les acteurs du droit international, ceux qui le créent et l’appliquent quotidiennement. Participer à des discussions et des projets avec des experts du monde entier fait partie intégrante de mon travail, où la recherche est mise au service de l’élaboration de politiques publiques.
Récemment, j’ai accompagné la délégation française à l’ONU pour approfondir les discussions sur des technologies de l’information et de la communication dans le contexte de la sécurité internationale. La recherche académique peut avoir un impact direct et concret.
Par ailleurs, GEODE peut s’appuyer sur sa spin-off, Cassini Conseil afin de valoriser et diffuser nos activités de recherche sous d’autres formes, en dehors du monde académique, auprès de décideurs privés et publics. Dans ce cadre, je dirige l’Observatoire du droit international appliqué aux cyberopérations. C’est aussi une des missions du chercheur d’informer le débat général.
5. Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confronté dans votre parcours de chercheur ?
D’abord, la thèse ! Au-delà de l’exercice en lui-même, j’ai commencé ma thèse fin 2013/début 2014. À cette époque, le domaine de la sécurité informatique n’était pas aussi répandu qu’aujourd’hui, et entreprendre une thèse sur ces questions était loin d’être évident. On entendait souvent des commentaires tels que “c’est pas juridique ou géopolitique“. Il existait non seulement un défi lié à la reconnaissance académique en travaillant sur ce sujet, mais également une dimension supplémentaire à surmonter dans un domaine largement dominé par les hommes.
Ensuite, la doctrine était quasi-inexistante à l’époque, il fallait donc faire preuve d’imagination dans ses recherches ! Par ailleurs, la question du financement a été particulièrement ardue. Je n’ai pas eu de financement, j’ai donc dû travailler pendant ma thèse. Alors certes, cela a été une opportunité, mais cela a aussi parfois été un frein dans l’avancement de mes recherches.
Enfin, avec la fin de la thèse, se pose évidemment la question de « l’après thèse ». Je travaillais déjà depuis longtemps avec Frédérick Douzet et l’équipe de l’IFG s’intéressant au numérique. J’ai donc été recrutée comme post-doctorante au sein de GEODE. Aujourd’hui, j’ai un poste de chercheuse au sein de ce super projet et laboratoire ! Le quotidien est donc celui d’une chercheuse, avec des projets dans tous les sens, et des journées qui ne font que 24 heures !
Ces derniers mois j’ai ainsi beaucoup voyagé pour des conférences ou des séminaires d’experts, que ce soit dans un cadre strictement universitaire ou plus « policy-oriented ». Ces moments permettent d’échanger sur des sujets de recherche, de tester des idées, mais aussi d’apprendre de nouvelles choses et de mieux comprendre certaines situations. À titre d’exemple, en septembre, j’ai participé à deux jours de workshop le Comité international de la Croix-Rouge et la Geneva Academy of International Humanitarian Law and Human Rights sur la numérisation des conflits, le rôle croissant des civils, et l’application du droit international humanitaire (DIH). Deux jours, avec d’autres universitaires, à travailler très concrètement sur l’interprétation et l’application de règles spécifiques du DIH, dans un contexte où de très nombreuses questions se posent sur l’interprétation de cette branche du droit.