« Pour la droite parisienne, tout se joue à l’est », par Matthieu JEANNE, Doctorant à l’IFG
TRIBUNE publiée par Liberation.fr le 5 février 2014
MUNICIPALES 2014
Jusqu’au premier tour, le 23 mars, sociologues, géographes ou écrivains décryptent les enjeux de la campagne, de l’influence du FN au vote bobo…
Les élections municipales à Paris sont un scrutin atypique, dans lequel l’objectif n’est pas d’être majoritaire en voix mais de remporter des arrondissements pour être majoritaire au Conseil de Paris. Dans cette bataille singulière, la droite est confrontée à de nouveaux enjeux, de nature géopolitique : des rivalités d’acteurs complexes pour le contrôle électoral du territoire parisien.
Le premier d’entre eux est la nécessité impérieuse de reconquérir les arrondissements de l’Est parisien. Depuis trente ans, sous l’effet de puissantes dynamiques démographiques internes à la capitale, le centre de gravité démographique de Paris s’est déplacé à l’est. Résultat : l’actualisation du calcul de l’attribution des sièges au Conseil de Paris offre aux arrondissements contrôlés par la gauche trois sièges supplémentaires.
Or la gentrification, c’est-à-dire l’arrivée d’une population plus aisée, plus jeune et plus diplômée, qui a transformé ces anciens quartiers populaires, profite bien plus à la gauche qu’à la droite.
D’une part, parce que les «gentrifieurs» sont globalement animés par des valeurs portées par les partis de gauche : écologie, défense des droits de l’homme et liberté culturelle.
D’autre part, parce que la municipalité socialiste a placé ces gentrifieurs au cœur de sa stratégie géopolitique depuis treize ans.
Qu’il s’agisse de la multiplication des équipements culturels dans l’Est parisien, des aménagements urbains à l’encontre du «tout automobile», ou encore de la politique de logement social, qui élargit sa gamme à destination des classes moyennes, la politique menée depuis 2001 a eu pour objectif de satisfaire une population qui constitue désormais le cœur de l’électorat de la gauche parisienne.
Pour la droite, cette nécessaire reconquête territoriale est fragilisée par un obstacle géopolitique paradoxal : son hégémonie historique dans les arrondissements de l’Ouest parisien. Alors que ces territoires devraient constituer une solide base électorale, ils fragilisent les positions de la droite au niveau de l’ensemble de la capitale.
En effet, l’hégémonie politique à l’ouest favorise les divisions : puisque dans ces territoires l’alternance ne semble pas envisageable, les dissidences se multiplient dans un contexte de forte concurrence et les barons s’affranchissent de la discipline imposée par les instances parisiennes de l’UMP.
Pire, ces élus locaux radicalisent leur discours politique espérant rassembler toutes les oppositions aux projets de la municipalité socialiste (programmes de logements sociaux, aménagement du tramway). Si cette stratégie est efficace localement, elle est contre-productive au niveau parisien car elle handicape la droite dans son ambition de reconquête de l’Est parisien. Ces dissidences et la radicalisation du discours politique compromettent les chances de la droite au niveau parisien.
Enfin, Nathalie Kosciusko-Morizet doit être assurée du soutien sans faille de sa formation politique, qui apparaît la seule apte à discipliner les barons de l’Ouest parisien.
Or, le contrôle électoral de Paris, la ville la plus peuplée et la plus regardée par l’ensemble de la nation, demeure un enjeu de pouvoir unique, particulièrement convoité.
Du fait de la densité inédite des postes électifs, des moyens financiers de la Ville et de l’exposition médiatique dont bénéficie son maire, Paris constitue toujours un marchepied sans équivalent pour les carrières politiques nationales. Rien n’assure que les nombreux prétendants à l’Elysée au sein de l’UMP consentent facilement à offrir cette chance à l’une des leurs. Les difficultés rencontrées par Nathalie Kosciusko-Morizet dépassent donc les classiques rivalités locales. En réalité, sous la Ve République, la droite parisienne ne fut unie que pendant le «règne chiraquien».
De 1977 à 1995, fort de son autorité de chef du RPR, Jacques Chirac sut mettre en place une stratégie géopolitique d’une efficacité redoutable : il disciplina les élus de l’Ouest et envoya sa garde rapprochée – Jacques Toubon, Alain Juppé, Alain Devaquet – à la «conquête de l’Est», dans des arrondissements populaires jusqu’alors contrôlés par les communistes et les socialistes.
Nathalie Kosciusko-Morizet saura-t-elle, en 2014, déplacer à l’est le centre de gravité politique historique de la droite parisienne ? Ses chances de succès en dépendent en grande partie.
Matthieu JEANNE Doctorant chercheur à l’Institut français de géopolitique (IFG)