Pourquoi il faut désarmer le Hezbollah libanais
Chercheur à l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII ; chercheur associé université de Gand (Belgique).
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En enlevant des soldats israéliens avant-hier, le Hezbollah libanais a rouvert le front avec Israël. Une fois de plus, le Hezbollah prend le Liban en otage d’une guerre ; une guerre injustifiée aux yeux de la majorité des Libanais depuis le retrait israélien du Sud-Liban en l’an 2000. Dans cette guerre, une part de responsabilité incombe à une communauté internationale silencieuse et au désengagement américain du processus de paix au Moyen-Orient.
Depuis le retrait israélien, le désarmement du Hezbollah est devenu une nécessité pour la stabilité politique et économique du Liban. Mais le Hezbollah, en situation de force, bien armé, présent au Parlement et au sein du gouvernement, ne désarmera que s’il en retire des avantages suffisants. Il est impératif que les parties libanaises soient prêtes à faire des compromis et incitent le Hezbollah à désarmer pacifiquement.
Faute de solutions viables qui soient satisfaisantes pour toutes les parties concernées, le rejet du désarmement par la milice pro-iranienne (chiite) pourrait mener le Liban vers un nouveau conflit civil. L’attitude du Hezbollah, qui refuse toute mise en cause de ses armes, ainsi que ses activités provocatrices à la frontière israélienne poussent inéluctablement les autres communautés religieuses du Liban à se rapprocher de leurs propres extrémistes. Dans le contexte actuel de friction entre sunnites et chiites dans la région, notamment en Irak, tant les Libanais sunnites que chrétiens finiront par ne plus tolérer les armes du Hezbollah. Ils chercheront à se doter de leurs propres moyens militaires pour défendre leurs acquis politiques.
Les chiites du Liban, y compris les sympathisants du Hezbollah, de même que l’Iran, doivent êtres convaincus du bien-fondé d’un tel désarmement. L’ascension du Hezbollah sur la scène politique libanaise s’est faite grâce au combat armé contre Israël. Il n’est pas question d’une remarginalisation socio-économique et politique de la communauté chiite.
Il est nécessaire de mettre en place une réforme non conventionnelle de l’armée libanaise. Le Hezbollah dispose de capacités militaires spécifiques qui offrent au Liban une force de dissuasion unique (infiltration de commandos, enlèvements de soldats, réseau élaboré d’espions, guerre psychologique). Il est dans l’intérêt de toutes les communautés libanaises, et pas seulement des chiites, de conserver et d’améliorer l’organisation de cette force de dissuasion. Il est inacceptable qu’elle reste indépendante de l’État et dirigée par l’idéologique islamiste du Hezbollah. L’armée libanaise pourrait être remodelée dans une structure aux méthodes de combats asymétriques. En cas d’attaque, les petites unités se retirent puis se redéploient pour harceler les positions de l’envahisseur, comme pourrait le faire une résistance armée.
Toutefois, cette « armée de résistance nationale » reste indiscutablement sous le seul contrôle du gouvernement multiconfessionnel, qui décide de la guerre ou de la paix. Les militants du Hezbollah ne pourront donc plus prendre en otage l’ensemble du pays pour mener leur guerre.
Les relations très proches que le Hezbollah entretient avec l’Iran doivent être canalisées dans le cadre des relations d’État à État entre le Liban et l’Iran. Le Hezbollah devrait s’engager à ne plus servir à l’Iran de force de riposte au cas où Téhéran ou ses installations nucléaires seraient attaquées. Il ne s’agit pas de mettre fin à la relation du Hezbollah avec l’Iran, ce qui est d’ailleurs impossible tant l’organisation islamiste est proche de ce pays. Il s’agit plutôt d’institutionnaliser leurs échanges, notamment entre les ministères de la Défense et des Affaires sociales. Le financement militaire qu’offre l’Iran au Hezbollah pourrait être intégré au budget de défense de l’État libanais dans le cadre des aides militaires étrangères reçues par le Liban. Il est même envisageable que l’armée restructurée se procure de l’aide logistique, entre autres, auprès des industries de défense iraniennes, qui ont de l’expérience dans les techniques de défense asymétriques.
En échange de ces concessions, l’État libanais devrait prendre les mesures diplomatiques nécessaires à la suppression du Hezbollah, devenu purement politique, de la liste américaine des organisations terroristes. Plus important, les communautés religieuses libanaises doivent reconnaître que les chiites vont gagner en influence sur une nouvelle armée plus effective. Toujours est-il que, pour l’instant, nous ignorons le niveau d’influence que le Hezbollah a sur l’armée libanaise mais le degré d’infiltration de cette dernière par des éléments proches du Parti de Dieu est probablement très élevé.
Certaines demandes formulées par le Hezbollah doivent par ailleurs être mises en place avant toute restructuration de l’armée : le retrait d’Israël de la région disputée des fermes de Shebaa (reconnues libanaises par les leaders politiques de tous bords), la libération des prisonniers libanais des geôles israéliennes et la démarcation définitive de la frontière entre le Liban et Israël suivie d’une reconnaissance onusienne.
Finalement, il est évident que les résolutions de l’ONU n’ont jamais suffi à protéger le Liban des agressions israéliennes, ni Israël des agressions paramilitaires lancées à partir du territoire libanais. La communauté internationale, avec le support de l’ONU, de la France, des Etats-Unis, de l’Iran et des États arabes concernés, devrait offrir d’autres moyens de protection comme une zone démilitarisée où se positionne une force onusienne fortement armée. Clairement, les gouvernements libanais successifs ont été incapables de contrôler les attaques menées à partir de son sol comme le montre la récente montée de violence de ces derniers jours. Le pragmatisme exige que cette responsabilité soit transférée à la Finul, la force intérimaire de l’ONU déjà présente au Liban depuis 1972.
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