« Pourquoi la région a perdu la gouvernance du Gand Paris », par Philippe Subra
Un peu moins de six ans après son lancement par Nicolas Sarkozy, le projet du Grand Paris vient de franchir une étape décisive. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a repris à son compte le schéma du nouveau métro, malgré la crise financière et un coût largement réévalué. Toutes les lignes prévues devraient être réalisées, avec, si tout se passe bien, cinq ans de retard seulement sur le planning initial.
Sur ce terrain-là la victoire du président du conseil régional, Jean-Paul Huchon, est presque complète. La modernisation des RER est intégrée dans le projet et les infrastructures que la région juge prioritaires seront construites en premier : la rocade en petite couronne (reprise d’un projet régional, Arc Express), les nouveaux tramways, les prolongements en banlieue des lignes de métro existantes et du RER E vers La Défense.
Sur la question de la gouvernance, le conseil régional subit par contre une nouvelle défaite. En 2007, Jean-Paul Huchon expliquait que la région était la mieux placée pour prendre en charge le projet du Grand Paris, puisque les territoires de l’Ile-de-France et de l’agglomération coïncidaient à peu près. Après la victoire de la gauche aux municipales de 2008, Nicolas Sarkozy avait remisé l’idée d’une communauté urbaine dont la région ne voulait pas, mais pour confier à Christian Blanc un secrétariat d’Etat à la Région Capitale.
En 2010 la loi sur le Grand Paris a créé un nouvel établissement public, entièrement contrôlé par l’Etat, la Société du Grand Paris (SGP), chargé de la maîtrise d’ouvrage du nouveau métro en lieu et place du Syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF) que Jean-Paul Huchon préside depuis 2005. Ces derniers mois le président de la région a plaidé pour la création d’un Syndicat (régional) du logement d’Ile-de-France, sur le modèle du STIF, et pour une fusion de la SGP et du STIF, sous sa direction. Il n’y aura finalement pas de fusion (tout au plus une mutualisation des moyens financiers) et le dossier du logement sera confié à un nouvel établissement public, la Métropole Paris-Ile-de-France. Nouvel échec.
ALLIANCE ENTRE L’ETAT ET LES ÉLUS LOCAUX
Ce résultat est le produit d’une alliance objective entre l’Etat et les élus locaux. Le premier cherche, aujourd’hui, comme hier sous la présidence Sarkozy, à conserver une part du contrôle qu’il a toujours ou presque exercé sur le sort de la première agglomération française. Travailler avec les élus des différentes communautés d’agglomération, sur des projets concrets, lui garantit une influence bien plus grande qu’un tête-à-tête avec une région aux pouvoirs renforcés.
De leur côté, beaucoup de maires, tout en dénonçant la méthode de Christian Blanc et, de manière quasi rituelle, les atteintes à la décentralisation, ont très vite compris la formidable opportunité pour leurs territoires respectifs que représente le projet du Grand Paris et sont devenus d’ardents partisans du nouveau métro. Ils sont prêts à se lancer dans des opérations d’aménagement urbain ambitieuses autour des nouvelles stations, négociées avec les services de l’Etat, dans le cadre de contrats de développement territorial.
Mais ils veulent rester maîtres, autant que possible, du contenu de ces opérations, notamment en ce qui concerne les logements, clés des évolutions sociologiques, donc électorales, et, quand ils gèrent des communes et des départements riches, éviter de se voir imposer des transferts financiers trop importants vers les communes et les départements pauvres. Pour beaucoup de ces élus locaux, le vrai danger ne vient plus désormais de l’Etat, mais de l’émergence possible d’un pouvoir régional ou métropolitain fort.
UN SYSTÈME DE GOUVERNANCE PARTICULIÈREMENT COMPLEXE
Le gouvernement donne l’impression de trancher, en écartant à la fois la solution d’une région stratège et celle d’une métropole, au sens plein du terme.
C’est un choix réaliste qui tient compte des rapports de forces entre les collectivités territoriales et entre les grands élus socialistes d’Ile-de-France. Le problème est que ce choix se fait au profit d’un scénario qui ne satisfait totalement personne et laisse un goût d’inachevé. Emanation d’une trentaine de grosses intercommunalités et de la Ville de Paris (auxquelles se joindront des représentants de la région et des sept départements de banlieue), la future métropole francilienne ne sera pas en effet une super communauté urbaine comme celles de Lyon et des autres grandes villes de province. Ses compétences se limiteront à la construction des logements, à l’hébergement d’urgence et à la mise en œuvre d’une politique de développement durable dans le domaine de l’habitat. C’est à la fois beaucoup et pas assez.
Les transports continueront de relever du niveau régional et de l’Etat, le développement économique des communautés d’agglomération et de la région. Quant aux départements ils continueront à exister, même quand ils sont en quasi faillite (la Seine-Saint-Denis) et bien que la montée en puissance des intercommunalités les marginalise tous, peu à peu. Le système de gouvernance qui se met en place sous nos yeux est donc particulièrement complexe – chacun y conserve un rôle – et son efficacité sujette à caution. D’autant qu’on peut avoir quelques doutes sur la capacité des élus locaux à s’entendre au sein de la nouvelle métropole, donc sur la viabilité à terme de ce système de gouvernance : en janvier dernier ils n’ont pas réussi à présenter au gouvernement une position commune sur ce que sera le futur Acte III de la décentralisation. Quant aux citoyens – confrontés à la question : qui fait quoi ? – ils continueront de n’y rien comprendre.