Sri Lanka : la démocratie raffermie, la réconciliation en vue -“Eric Meyer”.
Les résultats de l’élection législative du 17 août 2015 confirment ceux de l’élection présidentielle de janvier 2015. Les candidats de l’United National Party (UNP, élargi sous le nom d’United National Front for Good Governance, UNFGG, à des membres de la société civile, à des dissidents du Sri Lanka Freedom Party et à une fraction du Jathika Hela Urumaya) remportent la majorité des sièges dans 11 districts sur 22, les plus urbanisés, les plus jeunes et les plus mêlés ethniquement, obtenant au total 93 sièges; cette coalition regroupe l’essentiel des forces qui avaient soutenu la candidature à la Présidence de Maithripala Sirisena, et avaient gouverné le pays depuis janvier sous la direction du leader de l’UNP, Ranil Wickremasinghe, sans avoir la majorité au Parlement. L’United People’s Freedom Alliance (UPFA, dont la grande majorité des candidats appartiennent au Sri Lanka Freedom Party) conserve la majorité dans 8 districts cingalais du sud et du nord-ouest principalement ruraux, mais avec un score très inférieur à celui de 2010, et remporte 83 sièges; l’ancien président Mahinda Rajapaksa, battu en janvier, avait tenté de jouer sur la peur d’une résurgence du militantisme tamoul ; il comptait s’appuyer sur les candidats de ce parti qu’il avait sélectionnés en forçant la main de son successeur Maithripala Sirisena (théoriquement leader de ce même parti), afin de contraindre ce dernier à le nommer Premier Ministre au cas où l’UPFA l’aurait emporté. La Tamil National Alliance (TNA) remporte les élections dans les trois districts à majorité tamoule du nord et de l’est, avec 14 sièges. Le Janata Vimukthi Peramuna (JVP) n’obtient que 4 sièges, et les deux derniers sièges reviennent à un parti tamoul aligné sur l’UPFA (l’EPDP) et à un parti musulman, le Sri Lanka Muslim Congress (SLMC).
Le système électoral complexe combine l’élection à la proportionnelle dans le cadre de 22 districts électoraux de 196 députés sur des listes établies par chaque parti mais où les électeurs peuvent exprimer un vote préférentiel permettant d’établir un ordre de classement et donc d’éliminer ou de favoriser tel ou tel candidat de la liste. En outre, 29 députés sont désignés sur une liste nationale en proportion des voix obtenues à l’échelle nationale par chacun des partis dans l’ensemble du pays: l’UNFGG gagne 13 sièges nationaux, l’UPFA 12, le JVP et la TNA 2 chacun. Pour constituer un cabinet sûr d’une majorité stable au Parlement, Ranil Wickremasinghe pouvait obtenir l’appui ou la neutralité de la TNA et du SLMC, mais le projet qu’il avait élaboré avec le Président Sirisena de former un gouvernement d’union nationale impliquait d’y associer l’UPFA. Les semaines qui ont suivi les élections législatives ont donc été consacrées à des tractations compliquées entre les deux partis, qui ont abouti à l’isolement de la faction Rajapaksa au sein de l’UPFA, mais qui risquent de donner des gages à des politiciens opportunistes, contrairement à l’esprit du printemps sri lankais.
Ces élections confirment la maturité démocratique du corps électoral sri lankais. Le taux de participation moyen est de l’ordre de 75%, un peu inférieur à celui des présidentielles, mais bien supérieur à celui de beaucoup de démocraties occidentales: les seuls districts ayant un taux inférieur à 70% sont ceux de Jaffna (55%), d’où beaucoup d’électeurs potentiels ont émigré, et de Hambantota (64%), le district d’origine de Mahinda Rajapaksa, qui l’avait déserté pour se présenter à Kurunegala et laisser sa place à son fils, son frère et sa nièce… Ce sont les élections les plus pacifiques et les plus régulières dans ce pays depuis le début des années 1960. Après le cycle de violence amorcé dans les années 1970 avec les révoltes du JVP cingalais et leur répression en 1971 et 1989, après la montée en puissance des Tigres de l’Eelam Tamoul, la guerre de près de trente ans qui en est résulté, et leur écrasement sanglant par l’armée gouvernementale en 2009, et après la dérive démagogique et les atteintes aux droits de l’homme sous les deux présidences successives de Mahinda Rajapaksa (2005-2015), la démocratie est à présent raffermie dans un pays dont la jeunesse a décidé de tourner la page et de dépasser les années d’épreuves et de mauvaise gouvernance qui avaient fait de Sri Lanka l’homme malade de l’Asie du Sud. Le printemps sri lankais a porté ses fruits. Il restera de lourdes tâches au gouvernement, celles de consolider la démocratisation des institutions et des pratiques politiques, et de mettre en place les outils d’une véritable réconciliation nationale entre la majorité cingalaise bouddhiste et les minorités linguistiques et religieuses. A cet égard, le ralliement de membres influents du clergé bouddhiste à des positions ouvertes est un signe encourageant. Il fait écho à l’appel de plusieurs organisations de Tamouls de la diaspora à rentrer au pays et à jouer le jeu démocratique. Jamais depuis un demi siècle les conditions n’ont été aussi favorables à une solution pacifique des problèmes du pays.
Eric MEYER
Note: On trouvera sur le site adaderana.lk les résultats complets accompagnés d’une infographie de bonne qualité.