“Tragédies Africaines”
Invités :
Roland POURTIER, géographe, Université Paris I,
Philippe GERVAIS-LAMBONY, Laboratoire Géotropiques, Université Paris X-Nanterre.
Dans une salle bondée, aux nombreux préparatifs à l’agrégation présents, Delphine Papin présente, avec son charme et sa fraîcheur habituels, le thème de la soirée.
Ce café géopolitique de décembre 2003 est dédié à la sortie du n°111 de la revue Hérodote, intitulé “Tragédies africaines”. Le titre est d’actualité, au regard de la situation tendue de la Côte d’Ivoire et de l’extension de l’épidémie de Sida. Le nombre de victimes de la guerre en Afrique est faible par rapport au nombre de victimes de cette maladie. Il existe en Afrique une série d’événements dramatiques qui permettent de parler de tragédies africaines au pluriel. Ces tragédies se doublent de phénomènes de violences inouïes, avec des guerres sans frontières bien éloignées de celles des années 1960 lors des indépendances.
Roland Pourtier évoquera la situation très complexe de la région des Grands Lacs, tandis que Philippe Gervais-Lambony dressera un bilan de l’Afrique du Sud, 10 ans après la fin de l’apartheid.
L’Afrique centrale, une région explosive.
Il est difficile pour un “africaniste” d’aborder les questions de l’Afrique avec un tel titre, “tragédies africaines”. Il se demande alors qu’est-ce qu’il fait dans ce continent depuis si longtemps ? n’y aurait-il pas une forme de masochisme à continuer de travailler sur un continent aussi tragique ? Non, Roland Pourtier est très optimiste. Les choses vont mal certes, mais elles iront mieux plus tard. Il faut construire un optimisme dans la durée. Tout est une question de temps.
Oui, l’Afrique va mal : Sida, guerres, famines sont les trois Parques de l’Afrique, toujours présentes et qui continuent de rôder. Les mutations du continent sont difficiles et se traduisent souvent par la violence, mais pas partout. Il faut parler au pluriel de l’Afrique. Il ne faut pas oublier qu’il existe des zones de clarté dans ce tableau africain bien sombre.
Les guerres africaines sont avant tout des guerres civiles.
Il y a une très grande stabilité de la carte politique de l’Afrique depuis les indépendances : les frontières ont beaucoup moins bougé que celles de l’Europe sur la même période. Les guerres sont internes aux pays qui souvent fonctionnent mal. Elles ont pour but essentiel la quête du pouvoir : en Afrique, c’est le pouvoir politique qui donne accès à la ressource économique qui est redistribuée au clan au pouvoir, ce qui entraîne la frustration des autres groupes nationaux et des tensions qui se traduisent dans la violence. Précisons que la vision dépréciatrice de l’Afrique du tribalisme est fausse. Cette vision tend à faire croire que l’Afrique est composée de tribus qui ne peuvent pas vivre ensemble. Mais c’est faux. Bien plus que la question de l’ethnie, c’est la question de l’Etat qui se pose. La faiblesse de l’encadrement étatique laisse la place au développement de ces groupes contestataires. Jean François Bayart dans L’Etat en Afrique, la politique du ventre, chez Fayard, 1989, montre que tout est question de politique en Afrique. Prenons l’exemple de la Somalie. Il s’agit d’un Etat homogène sur le plan ethnique et linguistique, pourtant s’y est développée une guerre civile, du fait des volontés d’indépendance du Somali Land et du Puntland. Ce processus d’éclatement n’est finalement pas plus choquant que celui des Balkans.
L’apparition d’un phénomène nouveau : la contagion de la guerre.
On assiste à une véritable régionalisation de la guerre en Afrique, guerre qui concerne deux régions actuellement : l’Afrique centrale (Zaïre et Grands Lacs) et l’Afrique occidentale (de la Sierra Leone à la Côte d’Ivoire). On peut mettre en évidence plusieurs facteurs d’explication à ces guerres.
Les guerres reposent sur des héritages :
la traite esclavagiste, avec une opposition entre le littoral, ancienne terre des marchands d’esclaves, et l’intérieur, ancienne terre des esclaves, comme en Angola, les guerres de libération (Angola ou Mozambique), les problèmes post-coloniaux, (Côte d’Ivoire).
Les guerres se déroulent dans un contexte de grande pauvreté dans lequel les gens n’ont rien à perdre, dans un contexte d’extrême jeunesse des populations, dont plus de 50% ont moins de 15 ans et 60% moins de 20 ans. La croissance démographique, de plus de 3% par an, est difficile à absorber et entraîne le chômage de ces jeunes qui deviennent des enfants des rues voire des enfants soldats prêts à suivre tout aventurier pouvant leur donner un statut et une place dans la société.
Les guerres aboutissent à un glissement du terroir au territoire. La pression démographique est telle que le terroir devient un territoire que l’on veut exclusif et sans partage. La terre est finie. Dans ce contexte, les autres deviennent des allogènes, des étrangers qu’il faut chasser. On ne se bat pas pour conquérir un territoire, mais pour exclure ceux que l’on considère comme des étrangers.
A ces facteurs endogènes de la guerre, il faut ajouter les facteurs exogènes. Il y a bien sûr le deus ex machina : les anciennes puissances coloniales, toujours présentes à travers les trafiquants d’armes. Mais il y a aussi la mise en place d’économies rentières qui a créé une grande dépendance des Etats africains et qui se transforme en échange de produits miniers bruts contre des armes.
La première guerre continentale africaine.
En Afrique centrale, il existe deux foyers d’instabilité chronique qui impliquent une dizaine de pays : la crête Congo-Nil et le Zaïre.
La région des Grands Lacs est à l’origine de l’engrenage régional, de la généralisation de la violence dans toute l’Afrique centrale. Les conflits de cette zone sont un imbroglio d’une confusion extrême. Ce sont des conflits multidimensionnels, mais on peut tenter de mettre en valeur de cheminement de l’engrenage. A l’époque coloniale, les colons allemands puis belges ont été à l’origine de la construction des images antagonistes entre les Hutus et les Tutsis, qui coexistaient avant leur venue, sans barrière. En effet, la colonisation a été une entreprise de classification et de hiérarchisation des peuples. Ainsi, dans cette Afrique des hautes terres, un peuple, minoritaire mais dominant, fut jugé noble par les colons, peuple composé d’hommes grands et d’éleveurs, les Tutsis, tandis que l’autre peuple, agriculteur, les Hutus, était défini comme inférieur. Aussi, les Belges ont-ils envoyé les Tutsis à l’école. L’opposition entre les Hutus et les Tutsis s’est encore renforcée en 1959, quand les Belges ont cessé de soutenir les Tutsis, au profit des Hutus, au moment où l’élite Tutsie revendiquait l’indépendance. La “révolution sociale” est enclenchée par les Hutus s’est traduite par une méthode de gouvernement des Hutus, qui n’avaient pas eu d’éducation, fondée sur l’utilisation de la machette ! Les Tutsis survivants partirent en exil et trouvèrent refuge en Ouganda. Ils furent les premiers réfugiés africains. Mais en Ouganda, ils ne pouvaient ni être ougandais, ni accéder à la terre, aussi ont-ils soutenu la rébellion ougandaise de Yoweri Museveni, qui une fois au pouvoir tenta de se débarrasser d’eux en envoyant cette armée à la conquête du pouvoir au Rwanda au début des années 1990. Les Français ont alors essayé de faire barrage et ont stoppé le mouvement de l’histoire, ce qui est mauvais, car quand ils se sont retirés, les combats reprirent. Les Hutus au pouvoir ont tenu, par l’intermédiaire des médias de la haine, comme Radio Mille Collines, un discours génocidaire en rappelant le génocide des Hutus au Burundi. L’engrenage de la haine ethnique s’est enclenché. Le résultat chiffré est difficile à déterminer, entre 600 000 et un million de morts, surtout des Tutsis mais aussi des Hutus modérés. La nouvelle intervention de la France n’empêcha pas la défaite de l’armée hutue et au passage au Zaïre des génocidaires. Deux à trois millions de personnes ont fui le Rwanda. De nouveaux réfugiés, hutus cette fois, se sont entassés dans des camps au Zaïre, sur la frontière, situation intolérable qui s’acheva par des débordements de la guerre au Congo, dans la province du Kivu. Dans les camps du HCR, les Hutus se reformaient et s’entraînaient pour reconquérir le Rwanda. En 1996, les Rwandais utilisèrent les Tutsis du Zaïre pour provoquer la panique dans les camps de réfugiés hutus. Une partie retourna au Rwanda, 600 000 à 800 000 personnes, une autre partie fut massacrée, 200 000 à 400 000 personnes avec la complicité de Laurent-Désiré Kabila. Enfin, une partie put s’en sortir et forma les militaires mercenaires réfugiés au Congo Brazzaville, employés à 1 $ par jour. Quant à ceux qui se sont cachés dans la forêt, ils y sont encore. Le deuxième foyer de violences est le Zaïre lui même depuis la seconde partie du règne de Mobutu, qui vit le pays dans un délitement complet, en voie de sous-développement. La situation économique se dégrada au point d’être inférieure à celle de l’indépendance, dans une sorte de politique du chaos voulue. Pourtant, le sentiment d’appartenir au grand Congo -Zaïre est une chance, car il freine le développement de la guerre, mais les problèmes restent constants dans les provinces frontalières du Kivu et de l’Ituri. Dans ces régions, une grande partie des populations est d’origine rwandaise depuis la colonisation. Ces populations ne sont pas considérées comme Congolaises, ce qui crée un problème d’identité. L’occupation Tutsie de 1997 à 1998 s’est achevée par l’expulsion des Tutsis par Kabila au cours de la seconde guerre du Congo, avec l’intervention du Zimbabwe et de l’Angola contre la coalition Rwanda -Ouganda -Burundi. La généralisation de la guerre a été renforcée par l’appât minier du Congo. Ces richesses naturelles très importantes sont en fait un véritable drame et appauvrissent le pays, car la guerre se perpétue pour le contrôle des minerais par les pays voisins sous forme de vrais pillages. Les combats militaires ont pourtant davantage eu lieu entre les Ougandais et les Rwandais, devenus adversaires. Les trois millions de morts sont dus aux conséquences de la guerre : maladies, famines. Après deux ans de dialogue intercongolais et la création d’un grand ministère commun, un espoir de paix est en vue. Il ne reste que quelques combats dans l’Ituri où l’instabilité est maintenue par la prospection pétrolière locale. Pour le Congo, on peut être plutôt optimiste. La normalisation devrait s’établir dans les années à venir, mais tout est à reconstruire, alors si le cœur vous en dit, on a besoin de volontaires !!
L’Afrique du Sud, un modèle pour l’Afrique ?
Philippe Gervais-Lambony est frappé par ce qu’il vient d’entendre car son histoire est très différente, celle du passage du système de l’apartheid à une véritable démocratie qui fonctionne bien. Certes, il est optimiste, mais il y a aussi quelques points négatifs, même si il n’est pas sûr de son objectivité car sa relation avec ce pays d’étude est devenue très affective avec le temps. Son arrivée pour la première fois dans le pays date de 1994, à une époque où beaucoup d’espoirs étaient permis et où tout le monde parlait du miracle sud-africain. Si c’est à cette aulne là qu’il regarde l’Afrique du Sud aujourd’hui, alors il se doit d’être très critique, mais si il la compare au reste de l’Afrique, tout va bien. Pourtant, ces deux regards sont justes. Pour dresser le bilan de la décennie écoulée, Philippe Gervais-Lambony s’est inspiré de Roncayolo en tentant d’établir de quelle manière les choses ont évolué et évoluent sur des temporalités différentes.
Le temps du changement politique.
La rupture politique de 1994 est nette, mais pourquoi les choses n’ont-elles pas changé plus vite et profondément ? L’Afrique du Sud est devenue une vraie démocratie : des élections locales, provinciales et nationales ont eu lieu, le retrait de Nelson Mandela s’est effectué sans problème en 1999. Mais, si aux élections d’avril 1994, il y avait une affluence record devant les bureaux de vote, les prochaines élections de 2004 donnent lieu à des campagnes d’affichage d’incitation à l’inscription sur les listes électorales. En 10 ans les Africains du Sud sont passés de la passion enthousiaste au désistement. Est-ce le signe d’une normalisation du système démocratique telle qu’elle existe dans les pays du Nord ? Est-ce le signe d’une déception de la population qui n’attend plus rien des politiques ? De plus, des tensions sont apparues et sont de plus en plus importantes au sein de l’alliance politique qui a permis la fin de l’apartheid. Cette alliance regroupe l’ANC (African National Congress), le Parti Communiste africain et le syndicat COSATU (Confederation of South African Trade Unions), auxquels il faut ajouter un outsider, la SANCO, fédération des associations citoyennes créée en 1992. Depuis 1997, les tensions internes se sont accumulées par des politiques divergentes. L’ANC a réorienté sa politique économique vers une politique non plus de redistribution et de réparation de l’apartheid mais vers une politique plus libérale pour diminuer le taux de chômage (qui est dans certaines régions supérieur à 30% de la population active). Cette politique a consisté en de nombreuses privatisations d’entreprises, qui n’ont pas plu au PC ni au syndicat. Cette tension politique est inquiétante car cette alliance politique est la base démocratique du pays. Mais ce changement politique n’a pas été aussi rapide et profond qu’escompté car il y a une deuxième temporalité qui le freine.
Le temps de l’économique.
Au niveau économique, force est de constater que les grands acteurs économiques sont les mêmes qu’avant 1994, ce sont les grands groupes financiers anglo-américains, même si il existe une élite économique noire africaine. Les intérêts de ces groupes n’ont pas changé surtout avec leur internationalisation.
De plus, l’économie de l’Afrique du Sud a suivi, dans une temporalité entamée dans les années 1970, la même évolution que celle des pays du Nord : elle est moins minière et moins industrielle. Les grands pôles économiques nationaux, Johannesburg et Prétoria n’ont pas changé mais ils se sont tertiarisés, dans une économie devenue post-fordiste. Donc, cette classe ouvrière qui a permis la fin de l’apartheid est devenue minoritaire. Il n’y a pas eu de changement économique brutal.
L’inertie des structures spatiales héritées de l’apartheid.
A l’échelle urbaine, on assiste toujours à une opposition entre d’immenses quartiers blancs peu denses organisés autour d’un espace central de type Central Business District américain et de vastes ensembles de townships (comme le plus grand d’entre eux, Soweto) d’une dimension considérable pour les Noirs. Cette structure est très rigide et figée. Il n’a jamais été question de les raser. Pourtant, quelques changements sont observables. Les centres villes se vident de leur substance avec le développement en périphérie de nouveaux centres d’affaires.
A l’échelle nationale, la ségrégation raciale est très marquée. Les régions noires ont des caractéristiques communes : le poids démographique, l’enclavement des moyens de communication, la pauvreté. Ce sont des espaces de relégation où l’on vit, la plupart du temps, de pensions venant des migrants urbains. Ce sont des espaces sans activités économiques avec de fortes densités. Depuis 1994, ces espaces font l’objet d’une politique massive d’équipement (accès à l’eau, à l’électricité, constructions d’écoles, de dispensaires, de logements,…), mais qui n’est pas à la hauteur des espoirs de 1994.
Le temps des usages.
Mais la faiblesse de la déségrégation spatiale n’est qu’apparente. Se sont développées des élites noires économiques et politiques qui ont permis une certaine mixité dans les quartiers urbains. En revanche, il n’y a pas de mixité dans les zones de pauvreté. Il semblerait donc que si il y a eu une déségrégation raciale, il n’y a pas eu de déségrégation sociale. La problématique est donc différente : le township n’est plus un lieu de ségrégation raciale où cohabitaient des Noirs de différents niveaux économiques, mais un lieu d’une ségrégation sociale plus importante qu’avant. Il existe désormais deux nations en Afrique du Sud : ceux qui sont intégrés au système économique et ceux qui ne le sont pas.
Philippe Gervais-Lambony conclut son intervention sur une anecdote récente. Il y a trois semaines, le ministre des finances a présenté le budget de l’année 2004 en annonçant une politique de grands travaux afin de créer des emplois pour réintégrer les exclus économiques sud-africains, après la période de restructuration économique. Le gouvernement tendrait ainsi à relancer son interventionnisme en relançant le temps du politique, mais ne serait-ce pas qu’un effet d’annonce avant les élections de 2004 ?
DEBAT :
Les interventions ayant été fort intéressantes et complètes, le temps imparti au débat fut réduit à une demie- heure.
La première question est adressée à Roland Pourtier qui est prié d’expliquer ce qu’il pense de la situation en Côte d’Ivoire. Roland Pourtier précise qu’il ne parle qu’en son nom. La Côte d’Ivoire est confrontée à un double problème : la croissance démographique galopante et la disparition des réserves foncières. Pendant longtemps, l’arrivée de la main d’œuvre immigrée du Burkina Faso voisin a été encouragée par les détenteurs du sol ivoirien, souvent rentiers. Mais le système est arrivé à son terme : les étrangers arrivés dans le front pionnier du Nord ont pris le pouvoir économique. Les tensions ont été avivées par la récente loi foncière qui exclut les étrangers de la propriété terrienne. Se pose alors la question de l’ivoirité qui, d’une notion d’autochtonie, est passée à une question de citoyenneté. Or les étrangers représentent 25 à 40% de la population ivoirienne. A cela s’ajoute la tension chez les militaires, recrutés dans les régions pauvres du Nord et impliqués dans le coup d’Etat militaire de Noël 1999, qui n’ont pas obtenu une position honorable dans l’armée et qui se sont soulevés en 2002 dans une rébellion qui progresse vers le Sud. L’intervention française de “l’opération Licorne” a une fois de plus stoppé l’histoire en stabilisant le front et en négociant les accords de Marcoussis. Pendant la pause dans le conflit, chaque camp a pu se refaire en achetant des armes, constituant des milices, permettre l’arrivée de mercenaires. On remarquera que l’évolution est la même qu’au Rwanda ou au Congo. Sont apparus des médias de la haine qui diffusent un discours de l’élimination des personnes à nationalité douteuse. La situation est tendue, malsaine et difficilement contrôlable. Roland Pourtier craint une évolution à la rwandaise vers des massacres et une extension régionale. Yves Lacoste demande qu’elle est la position des Baoulés à l’heure actuelle en Côte d’Ivoire. Roland Pourtier précise que sous le règne d’Houphouët-Boigny, les Baoulés ont tenu le pouvoir contre les Bétés, or Bgagbo est un Bété. Cette opposition ethnique est aussi un affrontement entre le Nord pauvre et le Sud riche.
Roland Pourtier précise que l’Afrique centrale est une bombe démographique. Les densités du Rwanda sont actuellement de 300 hab/km², mais elles pourraient doublé dans les années à venir si il n’y a pas de politique démographique, avec des restrictions des naissances et une politique de migrations régionales. Les génocides dans un tel contexte démographique forment une sorte de régulation.
Béatrice Giblin demande à Philippe Gervais-Lambony si la situation démographique de l’Afrique du Sud est aussi tendue. Le pays est confronté au problème important que représente le Sida qui touche une personne sur neuf au moins. Cette pandémie a et aura des conséquences démographiques fortes et des conséquences économiques graves car elle touche principalement la population active. La question ethnique ne pose pour l’instant pas de réel problème en Afrique du Sud. Elle existe dans le cas des Zoulous, mais les problèmes sont gérés localement par l’intégration politique. De plus, le pays est très tolérant comme le prouve sa Constitution qui a défini 11 langues nationales reconnues. C’est une preuve que la politique de l’apartheid qui était fondée sur les ethnies est un échec. La question foncière, elle, est inégale. 15 millions d’hectares de terres appartiennent aux Bantoustans, contre 80 millions aux Blancs et aux villes. Il n’y a pas eu de réforme foncière, mais seulement deux axes politiques de rééquilibrage. Le premier axe est la restitution de terres aux populations spoliées pour causes raciales après 1913 (date du 1er Land Act séparant les terres des Blancs des terres des Noirs). Mais la spoliation doit être prouvée par des justificatifs et portée devant les tribunaux qui jugent de la recevabilité de la demande. Le deuxième axe est la redistribution, qui est très marginale : elle n’a concerné qu’un million d’hectares. Le foncier demeure très inégalitaire. Pour autant, il n’y a pas de problème agricole, car les Africains du Sud recherchent davantage un endroit où habiter qu’une terre à cultiver. Enfin, la politique “d’Affirmative Action” fondée sur la race avantage les anciens désavantagés. Mais il reste à savoir pour qui elle est faite : pour les Noirs, les colorés et les Indiens ou juste pour les Noirs, ce qui créerait une nouvelle discrimination ?
Quel a été l’impact de la politique de réajustement structurel en Afrique ? Cette politique a consisté à geler les salaires, à limiter les emplois publics. Mais il est difficile de stopper les pratiques africaines, qui veulent que l’emploi soit davantage conditionné par l’obédience et la proximité parentale que par les compétences. Elle a surtout abouti à des pertes d’emploi et donc de pouvoir économique dans des pays à la fonction publique pléthorique. Cet abaissement des ressources a principalement touché les classes moyennes, en aggravant le contexte de tension politique. L’avenir de l’Afrique, pour Roland Pourtier, sera surtout le grand défi de stopper le culte de la kalachnikov chez les jeunes.
Le Sida ne va-t-il pas renforcer le cercle de la violence en créant encore plus d’enfants des rues et donc des enfants soldats ? Roland Pourtier l’admet, car le Sida laisse beaucoup d’orphelins, qui, dans un contexte de pauvreté, ne peuvent pas jouir de la solidarité familiale qui a de plus en plus de mal à s’exprimer. Or, plus les jeunes sont rejetés du système, plus la situation devient dangereuse. Mais, il faut avoir espoir : la société civile et les Organisations Non-Gouvernementales font un travail formidable en Afrique.
La guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée n’est-elle pas plus une guerre de frontières dans le style guerre de tranchées qui entraîne la consolidation des deux antagonistes ? Face à cette dernière question, Roland Pourtier eut alors le mot de la fin de cette soirée passionnante : “Tout le monde sait que l’Ethiopie n’est pas l’Afrique” !
Alexandra MONOT, agrégée de géographie.
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