Turquie. Une chaîne de télévision réduite au silence en direct
AVEC AFP
MARDI, 4 OCTOBRE, 2016
HUMANITE.FR
Lorsque la police turque envahit les studios à Istanbul, les journalistes de la chaîne pro-kurde IMCTV se tiennent prêts à livrer leur dernier combat pour défendre, dans une tentative désespérée, la liberté de la presse.
Mardi matin, dans la salle de rédaction de la chaîne IMCTV, sur le plateau ou en régie, les dizaines de journalistes crient: “On ne fera jamais taire la presse libre”. Les images, retransmises en direct par la chaîne, sont peu banales : des techniciens missionnés par les autorités débranchent les câbles.
Quelques minutes plus tard, IMCTV, qui défend pêle-mêle les droits de la minorité kurde, le féminisme et l’écologie, cesse d’émettre. L’écran est noir. Fondée en 2011, IMCTV, qui diffusait en langue turque, s’était vu notifier la semaine dernière une décision de justice annonçant sa fermeture, décidée dans le cadre de l’état d’urgence instauré après le putsch manqué.
La décision de justice concerne 12 chaînes de télévision soupçonnées d’être liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et accusées d’avoir soutenu la tentative de putsch. La direction de la chaîne IMCTV rejette en bloc les accusations et dénonce “une atteinte majeure à la liberté de la presse” qui n’a “pas sa place dans une démocratie”.
A l’arrivée des forces de l’ordre, son directeur général Eyup Burç les a interpellé : “Pourquoi vous cachez-vous le visage ?”. “Nous sommes contre tous les coups d’Etat et nous sommes contre ceux qui organisent leur propre coup d’Etat en se servant d’une tentative passée”, ajoute-t-il.
A la suite de la décision de justice, la chaîne a été supprimée du paquet satellitaire turc mais continuait à diffuser en ligne et sur le satellite européen Hotbird.
IMCTV est considérée comme l’une des chaînes kurdes les plus importantes en Turquie même si la chaîne de télévision publique TRT a lancé, après les réformes portées par le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir), son canal kurde, TRT Kurdi.
Depuis la semaine dernière, les journalistes et personnels de IMCTV s’attendaient à voir déferler la police à tout moment. “La police peut franchir cette porte à tout moment”, avait témoigné la veille de l’opération policière, la journaliste et présentatrice Banu Guven.
Pour cette ancienne collaboratrice de la chaîne NTV, IMCTV “ne menace la sécurité de personne. Bien au contraire, c’est une chaîne qui défend le droit d’informer les citoyens”. “S’il y a une seule erreur, c’est bien celle d’ordonner la fermeture de notre chaîne”, a renchéri Dilek Gül, déplorant que “la fermeture de médias soit devenue une scène familière en Turquie”.
Ce raid policier arrive alors que plusieurs associations se sont émues à maintes reprises d’une détérioration de la situation de la presse dans un pays qui figurait déjà à la 151e place sur 180 dans le classement annuel sur la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF).
“C’est extrêmement grave pour la liberté d’expression et pour la liberté des médias en Turquie”, s’est ému Erol Önderoglu, représentant en Turquie de RSF. Il a lui-même été emprisonné une dizaine de jours en juin pour “propagande d’une organisation terroriste”, celle du PKK, après avoir assuré le rôle de chef d’édition du journal kurde Özgür Gündem.
Sur le volet politique, la fermeture d’IMCTV prive le parti prokurde HDP (Parti démocratique des Peuples), de l’un de ses principaux canaux de communication. Devant son groupe parlementaire, le leader du HDP Selahattin Demirtas a ironisé mardi sur le fait qu'”il n’y a plus aucune chaîne pour retransmettre ce discours”, selon des propos rapportés par le parti sur son compte Twitter.
Au total, plus de 100 journalistes ont été arrêtés et plus de 100 médias jugés critiques à l’égard du pouvoir ont été fermés. Pour le directeur du syndicat des journalistes, Ugur Güç, le gouvernement prétexte de la tentative de coup d’Etat pour “faire taire toute l’opposition”. Pour lui, “le coup d’Etat a échoué mais un contre-coup d’Etat est en marche”.